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Actualités - REPORTAGE

Les Ituréens, un peuple du Liban remontant au IIe siècle avant J-C Julien Aliquot explore l’identité de ces princes brigands qui ont régné sur la Békaa et le Nord

Les princes ituréens, leur identité ethnique et les pays qu’ils ont occupés étaient les thèmes de la conférence donnée par Julien Aliquot, au musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), spécialiste de l’épigraphie du Proche-Orient aux périodes classiques, Aliquot a apporté un éclairage sur un peuple dont on n’a jamais entendu parler auparavant?: les Ituréens. Installés vers la fin du IIe siècle avant J-C dans la montagne libanaise, ils se sont taillé une principauté autour de Chalcis du Liban, à Majdel Anjar, au moment où la monarchie Séleucide connaissait de graves crises de succession et subissait la pression extérieure des Lagides et de Rome. Leur petit État indépendant présenté comme une «?acropole?» par Strabon survivra jusqu’au milieu du premier siècle de notre ère, avant d’être soumis au roi Hérode et à ses descendants. S’appuyant sur des textes anciens (particulièrement Strabon et Flavius Josèphe), des inscriptions, des témoignages numismatiques, mais aussi sur les prospections et les fouilles archéologiques, Julien Aliquot retrace l’histoire de ce peuple «?turbulent?» qui a occupé Arca au Liban-Nord?; Abila de Lysanias, dans la vallée du Barada et Chalcis du Liban, localisé à Majdel Anjar où a régné la dynastie des Mennaïdes, descendants de Mennaios. Ces princes «?brigands?», qui ont également dominé le plateau du Golan et la Syrie du Sud, pillaient les cités voisines et exerçaient un pouvoir tyrannique lié à la loi du besoin en raison de leurs territoires difficilement cultivables. Cumulant les titres de Tétrarques et de grands-prêtres, ils «?dirigeaient des États rappelant ceux des souverains grecs de l’époque hellénistique (...) et affirmaient leur indépendance par la frappe de monnaies à l’effigie de leur souverain?», indique le conférencier. Sous leur domination au Ier siècle avant notre ère, Baalbeck était leur sanctuaire, et c’est là «?qu’on trouve sous l’Empire romain le tombeau d’un descendant de la dynastie mennaïde?». Le conférencier signale d’ailleurs la continuité entre les deux époques. Il explique que la triade Baalbeck-Jupiter-Vénus-Mercure, pourrait avoir une origine locale, car des divinités du même type sont gravées sur les monnaies des princes mennaïdes. «?Il y a tout lieu de penser que les Romains, à la suite de la fondation de la colonie de Béryte, ont réorganisé les cultes de la Békaa que pratiquaient les Ituréens en leur donnant un caractère public et officiel.?» Quant à l’origine géographique de ce peuple, «?le problème reste entier?», souligne le chercheur à l’IFPO, faisant observer que, par tradition, «?on a conçu l’apparition des Arabes au Proche-Orient comme le résultat des vagues de migrations successives venues de la péninsule arabique?». La Genèse contient la liste généalogique des douze fils d’Ismaël, l’ancêtre mythique des Arabes et les savants biblistes considèrent cette liste comme l’inventaire d’une fédération de tribus formée entre la fin du VIIIe et le milieu du VIIe siècle avant notre ère. Il faudrait, selon eux, chercher la région d’origine de ces tribus dans le nord de l’Arabie. De là, les Ituréens auraient migré en direction du nord-ouest. Mais le conférencier préfère ne pas retenir cette hypothèse, car «?les sources historiques mentionnant les Ituréens remontent seulement à la seconde moitié du IIe siècle avant J-C, au moment où le pouvoir séleucide faiblit. Tout ce que l’on peut affirmer est qu’il existe alors un territoire peuplé d’Ituréens ou sous domination ituréenne?». Sous l’Empire romain, les sources permettent de préciser que ce peuple parmi lequel des soldats sont recrutés pour former les troupes auxiliaires de l’armée romaine a été «?officiellement reconnu par Rome?». Leur castellum est mentionné dans une inscription latine conservée au Musée archéologique de Venise. Ce texte est l’épitaphe du préfet Quintus Aemilius Secundus qui se prévaut d’avoir enlevé la citadelle des Ituréens. «?L’emploi du mot castellum pour désigner la citadelle rappelle précisément la position forte de Majdel Anjar. On sait que le site avait déjà accueilli une forteresse sous les Lagides, celle de Gerrha. À l’époque d’Auguste, la lutte contre le brigandage se serait donc soldée par la prise de l’ancienne capitale mennaïde. Ensuite, la bourgade fortifiée de Chalcis a pu être intégrée soit dans un domaine impérial, soit dans le très vaste territoire rural de la nouvelle colonie romaine de Beryte?», indique Aliquot. Toujours sur le chapitre de l’origine de ce peuple, Strabon évoque la présence dans les régions montagneuses «?de repaires fortifiés d’Ituréens et d’Arabes, tous malfaisants (...), tous des brigands, déjà combattus par Pompée et encore actifs à l’époque d’Auguste?». Pour sa part, l’historien romain Dion Cassius considère les Ituréens comme «?des Arabes parmi d’autres?». Dès lors, comment expliquer ces divergences?? «?Il faut tenir compte du fait que les Ituréens ne sont pas les seuls occupants de la montagne libanaise. Dès l’époque d’Alexandre, la région est habitée par des Arabes dont rien ne laisse croire qu’ils sont Ituréens?», explique le conférencier, soulignant que tous les Arabes de l’Antiquité ne viennent pas nécessairement d’Arabie?; qu’«?il existe plusieurs Arabies non contiguës?» susceptibles de partager des traditions communes, notamment dans le domaine de la vie religieuse et d’adopter certains traits de cultures dominantes comme l’araméenne, la grecque ou la romaine. Il relève néanmoins des indices permettant de donner «?une certaine consistance à l’identification des Ituréens à des Arabes?». Les divinités représentées sur les monnaies des princes ituréens rappellent la vénération toute particulière des Arabes pour les dieux en habit militaire?: les Dioscures revêtus d’une cuirasse?; Artémis portant le carquois?; Athéna, qui correspond à Allat, la déesse guerrière dont le culte serait commun à tous les Arabes du Proche-Orient?; la déesse chasseresse. «?Il faut reconnaître cependant que d’autres dieux ne sont pas spécifiquement arabes. Zeus et Hermès rappellent que les Ituréens adoptent certains traits de la culture grecque.?» Une monnaie gravée de lettres araméennes laisse supposer qu’ils ont été aussi marqués par la culture araméenne. «?Il est tentant de rapprocher ce témoignage d’une dédicace découverte à Yanouh. Ce texte est le premier qui atteste l’usage de l’araméen comme langue d’affichage au Liban. Il commémore la construction du temple en 110-109 avant notre ère, ce qui correspond à l’époque où le pouvoir ituréen s’affirme dans la région. La dédicace exceptionnelle de Yanouh pourrait constituer un témoignage de la culture ituréenne sur le versant maritime du Mont-Liban?», souligne Julien Aliquot. Il signale aussi que les travaux de la mission de Yanouh ont livré de nouvelles informations sur l’époque de la domination ituréenne. Une série de sites d’habitats fortifiés ont été repérés et datés de l’époque hellénistique. Ces petits fortins, difficiles d’accès, sont du type de l’éperon barré. L’ensemble forme un réseau semblable à celui des repaires que décrit Strabon. Aux premiers siècles de l’ère chrétienne, ils ont été abandonnés par les montagnards qui se seraient installés dans des secteurs plus propices à l’agriculture, entre 1?000 et 1?600 m d’altitude, notamment à proximité du sanctuaire de Yanouh. May MAKAREM
Les princes ituréens, leur identité ethnique et les pays qu’ils ont occupés étaient les thèmes de la conférence donnée par Julien Aliquot, au musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), spécialiste de l’épigraphie du Proche-Orient aux périodes classiques, Aliquot a apporté un...