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Actualités - CHRONOLOGIE

Au cœur de la controverse, une question : l’Occident est-il derrière l’exacerbation des sentiments religieux ? Débat au centre Issam Farès sur l’ouvrage de Georges Corm « La question religieuse au XXIe siècle »

C’est un de ces débats qui remplissent à la fois l’esprit et le cœur, où les idées sont exposées en profondeur et restent longtemps dans la tête pour être assimilées et complétées. Et si les points de vue sont divergents, ils s’affrontent sur le plan de la pensée et montrent qu’au Liban, en dépit d’une vie politique stérile, il y a toujours une place pour la réflexion. Le trublion, c’est Georges Corm qui avait publié au début du siècle un ouvrage sur La question religieuse au XXIe siècle. À l’occasion de la parution de la traduction arabe de ce livre, le centre Issam Farès a demandé au père Youssef Mouannès, au Dr Radwane Sayyed et au Dr Ali Fayad de le discuter, et c’est l’ambassadeur Abdallah Bou Habib qui a mené le débat. Pour rappel, le livre de Georges Corm, qui, au moment de sa parution en français avait fait grand bruit, se penchait en gros sur le phénomène de l’influence grandissante des religions sur la société. Il expose ainsi une étude historique de l’importance des religions dans la vie politique, mais aboutit à la conclusion suivante : le phénomène actuel n’est pas tant une prééminence des religions qu’une utilisation par la politique de l’élément religieux. Il attribue aussi la recrudescence des identités religieuses à la simplification identitaire qu’a constituée la mondialisation poussée à l’extrême. Tout en prônant un retour aux valeurs religieuses qui sont aussi à l’origine des mouvements de modernisation dans le monde, il a vanté l’esprit républicain et les lois civiles, pour ne pas utiliser le terme laïc qui peut, a-t-il dit, effrayer certains. Il a aussi mis l’accent sur un retour aux guerres religieuses qui ont secoué l’Europe depuis plusieurs siècles, alimentées par la grande puissance que sont les États-Unis, qui utilisent le facteur religieux pour gouverner le monde en créant des conflits. Cet ouvrage est en quelque sorte une réponse historique et académique au fameux « choc des civilisations » annoncé par Samuel Huntington. Le débat autour de cet ouvrage, mené par l’ambassadeur Bou Habib, a permis des échanges étonnants. Tout d’abord, et sans vouloir simplifier, le Dr Radwane Sayyed et le Dr Ali Fayad ont pratiquement présenté les mêmes remarques, estimant que l’explication de Corm est un peu simpliste et réductrice, alors que le père Mouannès y a vu un éloge profond des vraies valeurs religieuses et une dénonciation de la politisation des religions pour asseoir des pouvoirs ou donner une dimension spirituelle à un pouvoir séculaire. Pour le Dr Sayyed, le phénomène religieux existe bel et bien, et s’il n’était pas aussi important, les politiques n’auraient pas eu besoin d’y recourir pour asseoir leur pouvoir. Le Dr Sayyed s’est aussi demandé comment l’islamisme, qui, s’il faut en croire Georges Corm, aurait été lancé par les États-Unis, est devenu aujourd’hui le principal ennemi de cette puissance. Le Dr Ali Fayad a été moins catégorique, mais il a estimé que la question religieuse est revenue en force dans les équations du XXIe siècle, en raison notamment des problèmes identitaires posés par la mondialisation. Il a appuyé l’idée de l’auteur selon laquelle le phénomène religieux actuel serait comme celui d’une femme qui met au monde un monstre, mais il a été plus loin, affirmant que si l’extrémisme religieux pourrait être un instrument des États-Unis, le sentiment religieux répondait à un besoin chez les populations, notamment chez les Arabes qui ont essayé le nationalisme au siècle dernier. Face à l’échec de ce concept, ils en cherchent un autre, qui peut être la religion. Fayad a noté que les mouvements islamistes dans la région, comme le Hamas, les Frères musulmans en Égypte et le Hezbollah au Liban, ne sont plus en opposition radicale avec l’État. Au contraire, selon lui, ces mouvements cherchent une formule de coexistence avec l’État. Fayad a rejeté en tout cas l’idée que « wilayet al-fakih » serait une dérive du religieux sur le politique, précisant qu’il s’agit d’une question uniquement religieuse, et Georges Corm a aussitôt exprimé son accord. Radwane Sayyed a encore rejeté l’idée selon laquelle l’histoire se répète, ajoutant que le conflit actuel est au sein d’une même religion. Il a encore déclaré que si les islamistes avaient commencé par attaquer les musulmans, ceux-ci seraient complètement effondrés, mais, selon lui, ils s’attaquent surtout à l’Occident. Pour Georges Corm, c’est une approche simpliste, car il est convaincu que l’Occident n’est pas innocent dans l’émergence des extrémismes religieux. Selon lui, les islamistes minent l’islam bien plus que l’Occident. Il a rappelé qu’au départ, Israël a occupé la Palestine au nom de la religion et c’est pourquoi il est normal que la résistance à cette occupation revête un aspect religieux. Il a aussi rappelé que, comme il y a plusieurs siècles, les guerres d’aujourd’hui ont souvent une connotation religieuse au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs encore. Il a enfin affirmé que la mobilisation religieuse ne peut se faire sans une préparation préalable. Et c’est là, selon lui, qu’intervient l’Occident. De son côté, le père Mouannès a insisté sur le fait que les religions dites du Livre sont des révélations, puisqu’elles viennent de Dieu, et il a rappelé le rôle constructeur des hommes de religion dans l’élaboration des grandes idées du siècle des Lumières, si chères à Georges Corm, évoquant au passage le rôle de l’abbé Sieyès dans la Révolution française et l’émergence du rôle du Tiers-État, par exemple. Le débat aurait pu encore se prolonger, mais il a fallu lever la séance au grand dam de nombreux présents qui voulaient aussi intervenir dans la discussion. C’est dire que le phénomène religieux concerne tout le monde et en particulier les Libanais, qui ont dû longtemps lutter contre les barrages installés entre eux au nom de la religion... Scarlett HADDAD
C’est un de ces débats qui remplissent à la fois l’esprit et le cœur, où les idées sont exposées en profondeur et restent longtemps dans la tête pour être assimilées et complétées. Et si les points de vue sont divergents, ils s’affrontent sur le plan de la pensée et montrent qu’au Liban, en dépit d’une vie politique stérile, il y a toujours une place pour la...