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Actualités - OPINION

Mensonges et préjudices

L’histoire est ce qu’on en fait : elle est soit indiscutable, soit falsifiée. Elle est le verdict, mais elle peut être aussi la gueuse, celle qu’on manipule, qu’on dénature. Le monde évolue, mais vit naturellement dans la remémoration du passé. Anniversaires pour célébrer des moments heureux, commémorations pour rappeler les atrocités commises, pour qu’elles ne se reproduisent plus. Une démarche saine pour exorciser les démons, dissiper les craintes, garantir un avenir meilleur. Mais le monde a témoigné et témoigne encore des distorsions apportées à l’histoire. Révisionnistes ou négationnistes, les faux témoins sont légion. Il y a malheureusement pire, c’est l’exploitation qui est faite de réalités historiques à des fins de propagande, de règlements de comptes, une dérive qui n’épargne ni la veuve ni l’orphelin, qui tire profit de la détresse des uns, de la frustration des autres pour paver le chemin à la haine, à la soif de vengeance. Est-ce là le lot des Libanais ? À n’en point douter au vu des déclarations, des prises de position qui ont accompagné et suivi la commémoration du 13 Avril. Une porte largement ouverte pour remuer le couteau dans des plaies suppurées. Ainsi en est-il de la question des fosses communes en régions chrétiennes honteusement étalée sur la scène publique, jetée en pâture à des trafiquants d’âmes assoiffés de vengeance, à des individus qui ne pérennisent leur présent que par le rappel d’atrocités passées, une folie meurtrière à laquelle tous ont contribué par leurs forfaits, leurs vains combats ou leurs folles aventures. Des corps qu’on s’acharne à vouloir déterrer de charniers introuvables pour mieux accabler les morts-vivants : belle contribution à la réconciliation nationale alors que le Liban se déchire déjà dans des tragédies sans cesse renouvelées, comme celle d’hier soir à Zahlé. La vérité, toutes les vérités, « oui », mais nullement dans un esprit de vengeance et de surenchère politique, et quand, dans le camp chrétien, le bon sens aura enfin prévalu. Il est, par contre, une autre commémoration qui reste enracinée dans notre mémoire collective et qui ne souffre aucune contestation, une unanimité autour d’un souvenir marqué au fer incandescent : le massacre de Cana. Une barbarie qui a soulevé l’indignation universelle, qui a induit une énergie encore plus forte dans les rangs de la Résistance, une volonté farouche qui ne pouvait qu’aboutir au retrait israélien de l’an 2000, à une fête célébrée tous les ans, celle de la Libération. Une fête mais aussi, et surtout, une occasion ratée, une apothéose manquée, celle qui aurait pu voir l’État central renaître de ses cendres, réimposer son autorité sur tout le territoire national, redevenir la référence unique, seule détentrice du potentiel militaire, de la décision de guerre ou de paix. Mais Chebaa a vite pointé le bout de son nez, un Taba libanais que l’État aurait pu récupérer par la diplomatie comme l’Égypte l’avait fait pour son enclave, pour son dernier territoire occupé. Mais le Hezbollah et la Syrie, bien évidemment, ne l’entendaient pas de cette oreille, défense de la cause commune oblige, et ce qui devait arriver arriva : regain de tension, prise d’otages, représailles israéliennes, l’horreur de juillet 2006. Sur le front syro-israélien, courageusement, pas une balle n’a été tirée, pas un canon n’a tonné. Le Qatar, entre-temps, ami fidèle du Hezbollah, accueillait en grande pompe Shimon Peres, et ultérieurement Tzipi Livni. La politique, évidemment, a ses raisons que la raison ignore ! Puisqu’il est question d’anniversaires, rappelons à ceux qui auraient pu l’oublier que le Liban, depuis l’an 2005, commémore une autre libération : le retrait syrien, la fin de longues, très longues années d’indignité. Mais là aussi l’imposture n’a pas tardé à se dévoiler : sortie par la grande porte, vouée aux gémonies par une foule en colère, la Syrie n’a pas tardé à revenir par la fenêtre, une baie ouverte par des alliés bien obligeants, le retour à une case départ faite de compromission et de lâcheté. Relations diplomatiques, tracé des frontières, dossier des prisonniers libanais en Syrie, tout cela pouvait bien attendre. Bachar el-Assad a d’ailleurs donné sa parole à Nabih Berry : ces questions seront réglées en temps dû. À la saint-glinglin bien entendu. Mensonges et préjudices, tel pourrait être le titre d’un film sur l’histoire moderne du Liban, un thriller où l’horreur le disputerait à la duplicité. Âmes sensibles s’abstenir. Nagib AOUN
L’histoire est ce qu’on en fait : elle est soit indiscutable, soit falsifiée. Elle est le verdict, mais elle peut être aussi la gueuse, celle qu’on manipule, qu’on dénature.
Le monde évolue, mais vit naturellement dans la remémoration du passé. Anniversaires pour célébrer des moments heureux, commémorations pour rappeler les atrocités commises, pour qu’elles ne se...