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Actualités - CHRONOLOGIE

PATRIMOINE - Conférence d’Anne-Marie Afeiche sur les 22 stèles inscrites sur le registre de l’Unesco Préserver les inscriptions de Nahr el-Kalb, périmètre exceptionnel de notre mémoire collective

Salle comble au musée de l’AUB où Anne-Marie Afeiche, archéologue, responsable des études et publications à la Direction générale des antiquités (DGA), a donné une conférence sur «?Les stèles de Nahr el-Kalb?: IIe millénaire avant J.-C.- IIe millénaire AD?». Sculptés à même le roc d’un promontoire dangereusement escarpé, qui autrefois barrait la route côtière reliant le sud du pays au nord, 22 stèles, reliefs et inscriptions commémoratives, dont les plus anciens portent des caractères hiéroglyphiques et cunéiformes, évoquent la longue série des dominations connues par le Levant depuis la Haute Antiquité jusqu’à la période contemporaine. En 2005, à l’initiative de la Commission nationale libanaise de l’Unesco, ces monuments ont été inscrits sur le registre de la Mémoire du monde en 2005. Dans son exposé, Anne-Marie Afeiche retrace l’intérêt qu’a soulevé ce musée à ciel ouvert notamment à partir du XVIIIe siècle, décrit les 22 stèles qui illustrent des pages importantes de l’histoire du Liban et présente les travaux de réhabilitation financés par la Fondation nationale du patrimoine, en 2003. Toutefois, pour protéger les stèles, mais aussi ce site unique en son genre, la DGA s’est fixé un but?: classer la région de Nahr el-Kalb en zone non edificandi. Tout d’abord, un aperçu général du site qui «?ne peut être appréhendé et compris que par son contexte géographique?», souligne Anne-Marie Afeiche. S’appuyant sur les sources anciennes, les écrits des chroniqueurs, géographes et voyageurs, les archives de la DGA ainsi que sur des gravures et des cartes postales du XXe siècle dont celles appartenant à la collection de Sami Toubia, elle indique que «?les thèmes qui reviennent continuellement sont la difficulté du passage et son importance stratégique, le fleuve et la légende du chien, les stèles, la beauté de l’endroit et sa tranquillité?». Nahr el-Kalb était autrefois un «?passage redouté?», qualifié de «?scabreux?» par Dunand. Aussi, la présence des premiers monuments peut-elle s’expliquer «?par la difficulté de franchir ce défilé?; les conquérants qui l’ont accompli dans le passé ont signalé en cet endroit même ce fait exceptionnel au moyen d’inscriptions et de bas-reliefs?», dit la conférencière, signalant que trois accès ont été aménagés dans le promontoire sud où se situent la majorité des stèles?: la voie côtière, tracée à l’époque ottomane, était autrefois un sentier rasant presque les flots?; trente mètres plus haut, «?la voie romaine?» déroule un chemin étroit qui «?contourne le promontoire pour rejoindre la route de Zikrit?» et, serpentant à soixante mètres au-dessus du niveau de la mer, la voie égyptienne se termine en cul-de-sac. Au sommet du promontoire se dresse Mar Youssef el-Burj, et en face Notre-Dame de Louaizé. ? Dès le XIVe siècle, l’architecture s’infiltre au sein du paysage. En amont du fleuve du chien (le Lycus) s’installe un pont à trois arches construit par le sultan mamelouk Barqouq. Il sera remanié par l’émir Béchir?II en 1909-1910. Un autre ouvrage à cinq arches construit en 1881 par Rustum Bacha sera remplacé par un pont ottoman bâti au début du XXe siècle et utilisé jusqu’à nos jours. Un pont métallique installé en 1874 a été remplacé en 1942 par le chemin de fer puis détruit en 1995 pour laisser place à la voie rapide actuelle. Selon les chroniqueurs, la zone de l’embouchure était constituée de culture de mûriers, de citronniers, de canne à sucre et dotée de khans, d’hôtels ou de cafés «?restés en usage jusqu’au début du XXe siècle?». La conférencière signale d’autre part que lors de la construction de la ligne de chemin de fer, une grotte préhistorique a été découverte au pied de la falaise. «?Une partie de cette grotte avait été sanctionnée au cours de ces aménagements?». Entre 1940 et 1960, d’autres grottes ont été mises au jour. Elles datent du paléolithique moyen (aux alentours de 90?000 ans), du chalcolithique et de l’âge du bronze ancien (6?000 à 3?000 ans). «?Nulle autre investigation archéologique n’a été entreprise?» sur le site. «?Les seules évidences d’installation humaine datent de la période préhistorique?», ajoute encore la responsable des études et publications à la DGA . Sauvées de l’oubli grâce aux publications des XIXe et XXe siècles C’est dans ce cadre que se déroule la procession des stèles dont le souvenir de quelques-unes aurait pu totalement s’évanouir sans la description laissée dans les publications des XIXe et XXe siècles. En effet, «?l’érosion de la pierre fait que certains reliefs ou inscriptions ne sont plus visibles, ni lisibles, et il faut s’en tenir à ce qui a été déchiffré dans le passé?», relève la conférencière, citant à titre d’exemple la deuxième édition du Précis Hiéroglyphique de Champollion qui fait mention des inscriptions hiéroglyphiques gravées à Nahr el-Kalb?; des copies des inscriptions de Nahr el-Kalb faites par l’orientaliste allemand Max Weidenbach, en 1845?; d’une étude globale effectuée sur le site et les stèles par F.H. Weissbach, en 1922, et par le père Mouterde (Le Nahr el-Kalb, Guide archéologique), en 1932. De même, des conférences ont été données à la Royal Society of Litterature, à Londres, par Joseph Bonomi, en juin 1834, et cinquante ans plus tard, par Chad Boscawen qui présente un plan détaillé du site et des stèles. Grâce à ces ouvrages, on sait aujourd’hui que des trois stèles égyptiennes (n°?5, 14 et 16) célébrant les voyages d’inspection de Ramsès?II (1279-1213 avant J.-C.) au pays de Canaan avant et après la bataille de Qadesh, il ne reste plus que deux (14 et 16), présentant une scène rituelle où, face au dieu Rê, Ramsès?II saisit par les cheveux l’ennemi hittite à genoux. La troisième (n°?5) a été remplacée par l’inscription de Napoléon?III, en 1861, au terme d’une expédition entreprise au Liban après les violents affrontements de 1860. «?Son souvenir aurait totalement disparu sans la description donnée par J. Bonomi lors de sa visite en 1834?», signale Afeiche, ajoutant que les détails de la stèle sont connus grâce au relevé qu’en fit R. Lepsius en 1845. S’appuyant d’autre part sur les écrits de Weissbach (1922), elle rapporte que l’inscription de Napoléon III fut à son tour détruite par un officier de l’armée ottomane durant la Première Guerre mondiale. Elle a été restaurée au début de la période mandataire, et donc «?la stèle visible aujourd’hui ne date pas de 1861, mais bien de 1919?». Les six stèles assyriennes (6, 7, 8, 13, 15, 17) ont été sculptées au 1er millénaire avant J.-C. lors des campagnes militaires menées contre les rois de Tyr et de Sidon, soutenus par l’Égypte. «?La silhouette en léger relief d’un souverain vêtu d’une longue robe, le bras droit levé, le bras gauche ramené à la ceinture et tenant le pommeau d’une épée qui se prolonge en biais sur le tiers inférieur de sa longue robe, apparaît sur toutes les stèles?», précise Mme Afeiche. «?Celle portant le n°?8 a disparu, mais son emplacement a été identifié grâce à la description qu’en fait Boscawen en 1882.?» La conférencière indique aussi que «?l’accolement par trois fois des stèles égyptiennes et assyriennes sur le site signale délibérément la nouvelle hégémonie?». Située pratiquement sur la berge du fleuve, la stèle néobabylonienne (n°?1) ciselée à la gloire de Nabuchodonosor est l’unique témoignage sur le promontoire nord de Nahr el-Kalb. Découverte sous la végétation lors de la construction d’un canal d’irrigation, en 1878, elle décline une surface de 2m?x?5,85m et comporte «?une double inscription de 20 colonnes de longueur variable (jusqu’à 44 lignes), l’une écrite en babylonien ancien et l’autre en babylonien récent?». Le contenu du texte, gravement érodé, a été sauvé de l’oubli par le relevé effectué en 1881 par Loytved et publié par Weissbach en 1922. Il relate les différentes constructions érigées par le roi, la conquête du Liban et le commerce de bois de cèdre. La même double inscription se trouve à Brissa (Wadi Sharbine), dans le Hermel. De même, le cartouche de la stèle de l’empereur romain Caracalla, érigée à l’occasion de l’élargissement de la route de Nahr el-Kalb, portait une inscription aujourd’hui disparue?: «?Invincible empereur Antonin Auguste, puisses-tu régner de nombreuses années.?» Grâce aux publications du début du XXe siècle, nous savons aussi que la pierre n°?9 dressée par les Anglais pour commémorer l’entrée des Alliés ainsi que celle des troupes du roi Hussein à Damas, Homs et Alep, avait occulté la participation de la France?! L’inscription rééditée en 1930 mettra en vedette l’armée française. Abordant ensuite le chapitre de la conservation et de la mise en valeur du site, la conférencière a rappelé qu’en 2003, à l’initiative de la Fondation nationale du patrimoine dirigée par Mona Hraoui, la DGA avait chargé Yasmine Maakaroun Bou Assaf de l’étude puis de l’exécution du projet de réhabilitation de la vallée de Nahr el-Kalb. Les travaux de la première phase, comprenant le traitement du parcours (sentier, escalier, balustrade mise aux normes de sécurité, clôture du site), le nettoyage des stèles et l’installation des panneaux signalétiques et explicatifs, sont terminés. La deuxième phase prévoit le traitement des accès, la déviation de la bifurcation du tunnel, l’aménagement d’une zone de stationnement, l’éclairage du site et l’aménagement de la stèle de Nabuchodonosor, sérieusement rongée par l’érosion. Et ce n’est pas tout. La mémoire collective stockée dans ce périmètre unique ne serait à l’abri d’une dégradation que si la région de Nahr el-Kalb est classée zone non edificandi, a conclu en substance Anne-Marie Afeiche. * * * Le Lycus ou la légende du chien Anne-Marie Afeiche se réfère à la légende que rapporte le chevalier d’Arvieux (1635-1702). Il raconte que le site était gardé, selon la légende, par un chien sculpté dans le rocher au haut du cap, et dont les aboiements qui arrivaient jusqu’à l’île de Chypre signalaient l’arrivée des armées ennemies. La légende dit aussi que les Turcs abattirent le monument et le jetèrent dans la mer. La conférencière notera que sur le versant sud, «?une assise taillée dans le rocher surplombe la mer. Néanmoins, nulle indication ne prouve qu’elle portait dans le passé une statue. Selon une autre hypothèse, le piédestal aurait plutôt supporté une borne militaire d’époque romaine?». La responsable des études et publications à la DGA ajoute toutefois qu’en 1942, une unité de la compagnie australienne de construction du chemin de fer signale avoir repéré dans la mer au-dessous de la pointe de Nahr el-Kalb une antique statue de chien. Le New York Times rapporte la nouvelle indiquant que la statue, excepté la tête, était en bonne condition et qu’elle pesait plusieurs tonnes. May MAKAREM
Salle comble au musée de l’AUB où Anne-Marie Afeiche, archéologue, responsable des études et publications à la Direction générale des antiquités (DGA), a donné une conférence sur «?Les stèles de Nahr el-Kalb?: IIe millénaire avant J.-C.- IIe millénaire AD?». Sculptés à même le roc d’un promontoire dangereusement escarpé, qui autrefois barrait la route côtière reliant le...