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Actualités - CHRONOLOGIE

CONFÉRENCE - « Venise et le Coran » par le professeur Eros Baldissera La première édition typographique du Coran à Venise en 1538 : une entreprise ratée...

L’on sait que la Bible a été le premier ouvrage imprimé au monde, après la mise au point par Gutenberg à Mayence, vers 1440, du procédé de composition à caractères mobiles. L’on sait également que le travail des imprimeurs se concentra au départ sur les ouvrages religieux. Ainsi, dès le début du XVIe siècle, apparurent en Europe des psautiers plurilingues en latin, grec, hébreu, araméen et arabe, puis c’est à Venise que fut imprimé en 1514 le premier incunable entièrement composé en caractères arabes mobiles et destiné aux chrétiens du Levant. Mais qu’en est-il des premières versions imprimées du Coran ? Auraient-elles pu être l’œuvre d’imprimeries occidentales ? Et à quelle époque ont-elles fait leur apparition ? C’est un peu à ces questions qu’a répondu le professeur Eros Baldissera, de l’Université Ca’Foscari à Venise, au cours d’une conférence intitulée « Venise et le Coran » qu’il a donnée à la faculté de théologie de l’USEK, à l’invitation de l’Institut culturel italien, au cours de laquelle il a surtout abordé le sujet de « La première édition typographique du Coran à Venise en 1538 ». Comme l’a signalé dans son introduction du conférencier italien le professeur Victor el-Kik : « Les traités conclus entre les souverains chrétiens et musulmans, à commencer par le traité conclu en 1285 par Pierre le Grand, roi d’Aragon, avec le souverain de Tunis, et ceux qui s’ensuivirent avaient attisé l’intérêt des chrétiens de la péninsule Ibérique et d’autres pays d’Europe pour la connaissance de l’islam. Déjà, au milieu du XIIIe siècle, une Vita Mahometi, d’après une perspective chrétienne, avait été diffusée et, au siècle précédent, le Coran avait été traduit en latin, grâce à Pierre le Vénérable, abbé réformateur de Cluny. La première édition typographique du Coran à Venise terminée en 1538 était donc le fruit d’un long parcours et de climats politico-économico-religieux variés qui n’ont cessé de prévaloir depuis le XIIIe siècle en Europe. » Des visées commerciales Pour Eros Baldissera, l’initiative lancée à Venise en 1538 et qui visait la publication d’un Coran imprimé était purement commerciale. « Étant donné que dans les premières décennies du XVIe siècle la Bible était l’ouvrage le plus répandu dans les milieux européens cultivés, Paganino et Alessandro Paganini, imprimeurs vénitiens, imaginèrent que le monde arabo-turc accueillerait en quantités le livre sacré propre à la religion musulmane. La preuve qu’ils visaient une affaire commerciale destinée aux marchés orientaux réside dans le fait que leur édition comprenait le seul texte arabe, sans introduction ni traduction latine. » Sauf que cet essai ne put aboutir, à cause de l’incompétence manifeste des Paganini quant à la mise en alphabet de la langue arabe ainsi que leur ignorance des caractéristiques, esthétiques et de précision, requises pour le livre sacré des musulmans. Relevant dans un exemplaire imprimé du Coran vénitien de 1538 nombre d’erreurs tant sur le plan typographique que du contenu, le conférencier a signalé qu’ « on ignore encore qui furent les conseillers des Paganini. Des Arabes, des Turcs, des musulmans ou des chrétiens ? Toujours est-il qu’ils n’étaient pas au courant de la résistance qu’opposait alors le monde musulman à la reproduction imprimée d’un texte, en général, et du Coran, en particulier », a indiqué Baldissera. Lequel a souligné qu’« en terre d’islam, le nouvel art typographique avec graphie arabe n’apparut qu’au cours des premières décennies du XVIIIe siècle et ne pouvait – selon une fatwa demandée par le sultan ottoman Ahmed III en 1727 – s’appliquer aux ouvrages religieux, d’autant moins au Coran, car pareille initiative aurait été jugée profanatrice ». Pour en revenir au Coran de Venise de 1538, « les Paganini se rendirent rapidement compte que leur entreprise mercantile était vouée à l’échec. C’est probablement dès le stade de la correction des premières épreuves qu’ils prirent conscience du nombre d’erreurs impossibles à redresser et qu’ils abandonnèrent leur projet. Entreprise qui, directement ou indirectement, entraîna la faillite de leur imprimerie ». Une histoire purement vénitienne « D’autres tentatives plus ou moins fructueuses devaient suivre (Hambourg en 1694, Saint-Pétersbourg en 1787, Téhéran en 1828, Tabriz 1833 et Istanbul en 1877), mais trois siècles au moins s’écoulèrent avant la publication d’un Coran imprimé digne de ce nom et répondant aux exigences tant esthétiques qu’orthographiques et de précision entourant l’exécution d’un tel ouvrage », a par ailleurs affirmé le conférencier. Précisant que « cette édition moderne qui est aujourd’hui le texte de référence pour la majorité des musulmans a été réalisée en Égypte à l’initiative du roi Fouad en 1923 ». En conclusion, et pour reprendre les propos d’Angela Nuovo, spécialiste en incunables du XVIe siècle, qui découvrit en 1987 un exemplaire de ce fameux Coran dans la bibliothèque du couvent des frères franciscains à San Michele (île où se trouve le cimetière de Venise) : « L’histoire de ce Coran arabe est typiquement vénitienne, car elle touche à un secteur de l’économie, la typographie, à l’époque hautement prometteur et très dynamique en raison de la furieuse concurrence à laquelle il était exposé. Il fallait se lancer dans des entreprises toujours nouvelles et avoir l’œil ouvert sur tous les marchés (...). Il est donc naturel de penser que pareil projet ne pouvait être conçu et tenté que dans la République de Venise, porte de l’Orient par sa situation géographique et son histoire. Que l’on songe à l’affaire colossale qu’aurait représentée, sans les obstacles qu’elle devait rencontrer, l’édition d’un tel ouvrage destiné à des acquéreurs musulmans profondément religieux et en nombre potentiellement considérable... ». Z.Z.
L’on sait que la Bible a été le premier ouvrage imprimé au monde, après la mise au point par Gutenberg à Mayence, vers 1440, du procédé de composition à caractères mobiles. L’on sait également que le travail des imprimeurs se concentra au départ sur les ouvrages religieux. Ainsi, dès le début du XVIe siècle, apparurent en Europe des psautiers plurilingues en latin,...