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Actualités - CHRONOLOGIE

Deux expertes de l’Unicef se penchent sur l’éducation et sur la protection de l’enfance au Liban Le travail sur la violence et la santé psychosociale de l’enfant, une priorité Anne-Marie EL-HAGE

Après avoir évoqué avec deux experts de l’Unicef la situation de l’enfant au Liban au niveau de la santé et de l’accès de la population à l’eau potable (voir L’Orient-Le Jour du 9 février 2008), c’est sur les problèmes liés à l’éducation et aux droits de l’enfant que nous avons choisi de nous pencher aujourd’hui. Deux expertes de l’Unicef, la responsable de la section de l’éducation, Leila Dirani, et la chargée de la protection de l’enfance, Maha Damaj, se penchent sur l’absence d’une politique globale d’éducation et sur les problèmes de la violence et de la santé psychosociale de l’enfance, des points jugés aujourd’hui prioritaires par l’organisation. «Le problème essentiel réside dans l’absence d’une politique globale d’éducation, de même qu’une politique d’éducation précoce et d’éducation des enfants à besoins spéciaux », lance tout de go Leila Dirani. La responsable au sein de l’Unicef estime le système éducatif libanais « très rigide » et met l’accent sur la nécessité « d’épousseter les lois qui régissent l’éducation au Liban ». « L’élève libanais en est encore à mémoriser au lieu d’innover et de développer son sens critique », constate-t-elle. Montrant du doigt aussi bien le secteur public que le secteur privé, elle tient toutefois à saluer quelques initiatives privées, mais dénonce les grandes disparités de niveaux à travers le pays : « Tout enfant n’a pas accès à une éducation de qualité au Liban », déplore-t-elle, ajoutant que l’accès à la culture est également différent selon les régions. Enseignement public sans maternelles Et même si, « dans la théorie, tout enfant libanais a accès à l’éducation », les constatations sur le terrain montrent qu’il existe « une grande proportion d’illettrisme au niveau de la classe de huitième » et ce, parce que « le redoublement est interdit avant cette classe » et que même les enfants qui n’ont pas le niveau requis passent automatiquement de classe. À travers ce problème, transparaît « le manque de qualification du corps enseignant », observe Mme Dirani, précisant qu’il n’y a aucun équilibre entre leur formation théorique et pratique et qu’ils sont donc incapables de donner de bonnes bases aux enfants. « Que dire aussi de leur incapacité à prendre en charge les enfants qui présentent certaines difficultés d’apprentissage ou des difficultés d’un autre ordre ? » demande-t-elle. Est également mis en exergue le problème de « l’absence d’éducation précoce ou de classes maternelles dans le secteur public ». Selon la loi, l’enseignement est obligatoire de 6 à 12 ans, autrement dit dans les classes primaires (seul un décret, qui doit être signé chaque année, rend l’enseignement obligatoire jusqu’à 16 ans). Mais avant l’âge de 6 ans, il n’existe aucune structure qui accueille les enfants, mis à part les garderies et les maternelles privées. Leila Dirani ajoute que même si le nombre d’enfants inscrits dans les écoles est très élevé et plafonne à 96 % (surtout lorsque l’Arabie saoudite a pris à sa charge les droits d’enregistrement des élèves dans le secteur public), « cela n’est en aucun cas une preuve de fréquentation élevée de l’école ». Et d’expliquer qu’« un grand nombre d’élèves sont inscrits, mais ne fréquentent l’école que de manière saisonnière, notamment les enfants bergers, paysans et agriculteurs ». « Ces problèmes favorisent le décrochage scolaire », autrement dit, encouragent les enfants à quitter l’école, notamment après la classe de huitième, car ils ne peuvent plus rattraper leur retard, observe Mme Dirani. Elle indique à ce propos que parmi tous les enfants scolarisés au Liban, on constate « 40 % de décrochage scolaire, un chiffre qui est en augmentation », déplore-t-elle. Elle précise aussi que les régions du Nord, de la Békaa et du Sud sont les plus gravement touchées par le décrochage scolaire. « Ce phénomène est également lié à la pauvreté et au niveau socioculturel des parents », ajoute l’experte de l’Unicef, soulignant que « la plupart des enfants quittent l’école pour travailler ». Leila Dirani tient aussi à évoquer certains problèmes dont l’acuité resurgit à chaque crise politique, notamment la ségrégation religieuse dans les écoles, la ghettoïsation, la violence dans l’éducation que l’on confond à tort avec l’autorité, ainsi que les répercussions des discours politiques sur le comportement des élèves et sur les conflits entre eux. « Sommes-nous en train d’éduquer une nouvelle génération de guerriers ? » demande-t-elle à ce propos. « La connaissance de ces problèmes résulte juste d’observations », remarque Leila Dirani, qui précise qu’il n’existe aucune étude nationale sur l’éducation. L’Unicef agit aujourd’hui avec différents ministères pour la mise en place d’une politique de l’éducation respectueuse des droits de l’enfant et pour promouvoir « l’école amie de l’enfant ». Mais pour que cette politique globale de l’éducation soit efficace, « il ne faut pas hésiter à engager de véritables réformes », souligne Mme Dirani, autrement dit « à remercier les personnes qui ne sont pas à leur place et à fermer certaines écoles qui méritent plutôt le nom de boutiques ». À ce titre, la spécialiste de l’éducation observe qu’au Liban, « un élève de l’école publique coûte autant qu’un élève d’une école privée de haut niveau ». La protection de l’enfance Au niveau de la protection de l’enfance et en l’absence de statistiques sur les problèmes liés à ce dossier, l’Unicef concentre ses efforts à long terme et depuis deux ans déjà sur deux sujets qui ont une influence sur tous les enfants du Liban, toutes classes confondues : la violence et la santé psychosociale de l’enfant. Deux sujets qui figurent aussi parmi les causes des problèmes de l’enfance, notamment le travail de l’enfant, le décrochage scolaire.... Définissant la violence contre l’enfant comme allant de la négligence à l’agression sexuelle, en passant par la traditionnelle correction administrée à l’enfant et par la gronderie, Maha Damaj explique que « la violence contre l’enfant, indépendante de la violence liée à la guerre, est un phénomène inhérent à la culture libanaise ». « La violence existe dans l’éducation, aussi bien au niveau de la famille qu’à l’école », tient-elle à préciser, tout en affirmant qu’« aucun parent ne fait intentionnellement de mal à son enfant ». Elle souligne à ce propos que « la négligence envers l’enfant peut paraître même lorsque les parents nourrissent correctement leur enfant, l’habillent et l’envoient à l’école ». Elle ajoute que « l’agression sexuelle est un sujet encore tabou et caché, notamment dans les classes supérieures de la société ». Et de constater qu’au Liban, « aucun système ne protège réellement l’enfant contre la violence », même pas la loi 422 qui est néanmoins un important pas vers la protection de l’enfant, car elle présente des alternatives à l’emprisonnement des mineurs. Dans l’objectif de mettre en place un projet de défense de l’enfant contre la violence, l’Unicef met aujourd’hui l’accent sur la nécessité de « sensibiliser la société libanaise au problème et d’effectuer un travail de longue haleine pour développer une nouvelle culture », car « les missions ponctuelles ont échoué », constate Maha Damaj. Elle précise qu’il s’agit d’un processus « de consolidation de la base sociétale qui vise à tisser un réseau de protection de l’enfant », à tous les niveaux, notamment au niveau de la mise en place de lois, de leur application... Quant au moyen de développer ce projet, la spécialiste explique que « le travail se fait au niveau des communautés, en fonction de leurs priorités et de leurs besoins ». Certaines communautés travailleront directement sur le principe de la violence alors que d’autres préféreront se pencher sur le travail des enfants, sur l’alphabétisation des adultes ou sur la pauvreté, observe Mme Damaj tout en indiquant que « le processus est plus important que le sujet ». Elle ajoute par ailleurs que l’Unicef envisage de mener une action de formation auprès des juges, afin de les sensibiliser aux mesures alternatives prônées par la loi 422. Concernant la santé psychosociale de l’enfant, Maha Damaj souligne que « la situation du pays avant, pendant et après la guerre, de même que la crise politique actuelle, se répercutent négativement sur tous les enfants du pays ». En effet, outre les moments difficiles qu’ils ont vécus durant la guerre, « ces derniers répètent aujourd’hui comme des perroquets les discours véhiculés par les médias, par leurs parents ou par d’autres enfants, à l’école ». L’experte déplore également le fait que « les enfants des différentes communautés grandissent séparément », ne se connaissant qu’à travers des rencontres organisées par des ONG ou des organisations. Elle insiste sur l’importance d’une intervention pour « protéger l’enfant à ce niveau, l’éveiller et le sensibiliser à la nécessité d’apprendre à écouter l’autre, sans pour autant qu’il ressente la peur de disparaître ». « Il est également important de faire parvenir ce message aux parents », explique-t-elle, précisant que cela aura un effet direct sur l’enfant. En choisissant de se pencher sur la violence et la santé psychologique des enfants, l’Unicef « fait la lumière sur des solutions alternatives à la guerre pour résoudre les problèmes », une façon pour l’organisation d’œuvrer à éviter une nouvelle guerre, à l’avenir. « La violence est souvent la réponse de la personne désespérée », observe à ce propos Maha Damaj, tout en expliquant que le rôle de l’Unicef consiste à « travailler sur les causes, à faire de la prévention ». Les défis de l’Unicef visent à mettre l’éducation et la protection de l’enfant sur l’agenda des hommes politiques et des parents. Le problème est que vu la situation politique, l’enfant n’est plus une priorité aujourd’hui. Mais l’action de l’organisation est de longue haleine et les résultats ne seraient visibles que d’ici à une quinzaine d’années.
Après avoir évoqué avec deux experts de l’Unicef la situation de l’enfant au Liban au niveau de la santé et de l’accès de la population à l’eau potable (voir L’Orient-Le Jour du 9 février 2008), c’est sur les problèmes liés à l’éducation et aux droits de l’enfant que nous avons choisi de nous pencher aujourd’hui. Deux expertes de l’Unicef, la responsable...