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Actualités - REPORTAGE

Quelle couverture sociale pour Dahieh, la délaissée ? La banlieue sud, un concentré d’ONG actives surtout dans le domaine social Clémentine LAVAIL

« Pourquoi allez-vous à Dahieh ? » La visite de la banlieue sud de Beyrouth a commencé par les regards interrogateurs du chauffeur de taxi chargé de nous emmener, rendant ainsi la fracture entre deux visions du Liban, entre ces « deux mondes » plus vivace à nos yeux. Il est vrai qu’arrivés aux abords de l’aéroport Rafic Hariri, la cohue se fait intense et le trafic chaotique. Les rues sont étroites, ce qui ne facilite pas la circulation et il est difficile de se repérer dans les faubourgs de la banlieue sud. Parfois à rebours des idées établies, Dahieh n’est pas un ghetto. Il s’agit plutôt d’un microcosme où cohabitent plusieurs institutions, tantôt publiques, tantôt privées, toutes ayant pour but de venir en aide aux populations souvent démunies. L’organisation sociale de Dahieh se divise entre plusieurs acteurs. Les acteurs publics ont, tout d’abord, un champ d’action limité aux quartiers dans lesquels ils sont présents. Dahieh regroupe 7 municipalités. Celles-ci sont principalement chargées de questions liées aux infrastructures et à la reconstruction. Leur présence sur le terrain les amène, cependant, à traiter de questions sociales. Le président du conseil municipal de Bourj el-Brajneh, Mohammad el-Harakeh, a ainsi déclaré à L’Orient-Le Jour que la municipalité essayait d’élargir son travail social dans les limites de ses pouvoirs et de son financement, pour faire en sorte que « les différentes populations de Bourj el-Brajneh deviennent une seule ». L’institution a donc essayé de s’organiser en différents comités, sociaux ou médicaux. Le chargé des affaires sociales de Bourj el-Brajneh, Jammal al-Darsa, nous a confié, par exemple, que la commune finançait les achats de livres pour une partie de ses jeunes étudiants dans l’incapacité de pourvoir, par eux-mêmes, à de tels besoins. La municipalité a aussi construit deux jardins publics et essaie d’organiser régulièrement des tournois de football. L’institution travaille également avec plusieurs partenaires issus de la société civile. Mohammad el-Harakeh insiste fréquemment sur la date-charnière de juillet 2006, qui a fait s’intéresser un nombre croissant d’ONG locales et internationales à la situation de la banlieue sud. Selon l’élu, ces dernières émanent, la plupart du temps, de l’étranger, venant de pays tels que la Norvège, le Danemark, la France, l’Italie ou encore l’Iran. Le chargé des questions sociales ajoute, d’autre part, que l’institution essaie d’aider les associations locales et internationales, après examen de leurs projets, à n’importe quelle association qui lui « semble donner assistance à notre société, dans la mesure de nos moyens », souvent en « mettant des endroits à leur disposition pour que puissent se tenir les différents projets » de ces acteurs sociaux. En guise de conclusion, le chef de la municipalité déclare cependant qu’il n’est pas toujours facile de tenir un rôle social car celui-ci a un coût que « nous ne pouvons pas toujours supporter et, ajoute t-il, il ne faut pas oublier que seulement 40 % de la population de Bourj el-Brajneh habite sur des constructions légales ». Cela rend donc mal aisés les recensements de populations et, par conséquent, des besoins, dans la mesure où seules les personnes inscrites sur les listes électorales sont prises en compte dans les statistiques publiques. Le gouvernement est aussi présent à Dahieh par l’intermédiaire des centres du ministère des Affaires sociales. Il nous a été quasi impossible de connaître quels étaient leurs attributions et leur nombre, puisque chaque acteur, quel que soit le niveau, nous renvoyait au ministère qui, en dernier, exigeait de connaître nos questions au préalable, à déposer dans ses locaux. En dehors des émanations du secteur public, qu’elles soient locales ou nationales, la banlieue sud de Beyrouth regorge d’acteurs sociaux privés de genre et de préoccupation différentes. Un fourmillement d’acteurs Il existe, de plus, un nombre assez important mais difficile à évaluer de structures locales qui se caractérisent par leur présence à Dahieh uniquement. Il s’agit souvent d’ONG internationales ou locales, qui ne sont pas toutes sympathisantes d’une politique plus que d’une autre. Certaines ONG internationales ont choisi de concentrer leurs activités dans le sud de la capitale libanaise. C’est le cas de l’association française DIA précitée qui a, selon ses acteurs, fait « le pari de Dahieh en dépit des représentations établies ». Venue s’implanter à Beyrouth après la guerre de juillet 2006, l’ONG a décidé de s’installer dans la partie méridionale de la ville car « la problématique post-conflit ajoutée à notre préoccupation constante à l’égard de la jeunesse et l’absence de programmes destinés à cette catégorie de la population, nous ont fait penser que nous étions légitimes à Dahieh ». Le programme que DIA a mené pendant une année et qui a pris fin ces derniers jours a consisté à organiser des activités psychosociales. En partenariat avec des écoles, les centres du ministère des Affaires sociales et d’autres ONG locales et internationales, DIA a ainsi organisé des activités destinées aux jeunes âgés de 12 à 18 ans. Des ateliers de théâtre, de yoga, de football féminin, de création de marionnettes ont régulièrement été tenus. Ces derniers faisaient place, ensuite, à des groupes de parole lors desquels les jeunes, s’ils le souhaitaient, étaient invités à s’exprimer sur les sujets leur tenant à cœur : la guerre, la violence, mais pas seulement, la famille et les relations entre les filles et les garçons sont aussi des thèmes qui ont régulièrement été abordés. Fort du succès de son entreprise, le personnel de DIA a aussi formé certaines femmes, travaillant pour le compte d’autres organisations, telles que le Centre islamique de la santé et l’association al-Jarha. Ces dernières, manifestant un intérêt pour le travail psychosocial, ont elles aussi décidé de mettre en place des ateliers tels qu’ils ont été organisés par l’association française. L’ONG a d’autre part tenté de canaliser une certaine volonté gouvernementale de mettre en place un travail psychosocial à la « zone Dahieh », par l’intermédiaire de structures sociales publiques existantes. C’est ainsi que Marion Junca, chef de mission de DIA au Liban, déclare à L’Orient-Le Jour que « nous avons voulu créer un lien direct entre les groupes de paroles que nous organisions et l’équipe de l’hôpital du Mont-Liban, qui ne s’est pas contenté d’organiser des formations nationales, mais est venu sur le terrain afin de connaître quels sont concrètement les besoins en la matière. » L’association française DIA a toujours mené des programmes transversaux à destination de la jeunesse et ce, depuis 1989, pourquoi donc vouloir se concentrer sur le psychosocial au Liban, à Dahieh en particulier ? « La psychologie est, culturellement, un domaine oublié. Dans la communauté chiite, nous répond Marion Junca, je pense qu’il y a une volonté d’avancer par la famille et la religion principalement. Cela étant, nous trouvions qu’il était intéressant de mener de tels programmes dans la période qui a suivi la guerre de 2006, spécialement dans une zone qui a été particulièrement touchée. » Une présence « déplacée » Il existe, en parallèle de ces structures locales, beaucoup d’autres organisations dont le champ d’action géographique est transversal, c’est-à-dire dont le spectre n’est pas uniquement celui de la banlieue sud de Beyrouth. Le genre des acteurs varie également. Certains sont l’émanation de partis politiques et ont un rayonnement plus réduit par les activités qu’ils se sont assignées. C’est le cas, notamment, du Centre islamique de la santé qui ne traite que de questions médicales. Il est intéressant de noter, ici, que le parallèle avec le ministère de la Santé est frappant, dans la mesure où il nous a été très difficile d’obtenir un contact et une adresse. Une fois celle-ci obtenue, le personnel du Centre islamique de la santé nous a fait comprendre que notre présence était déplacée, qu’il fallait obtenir rendez-vous formel et autorisation avant de pénétrer dans les locaux et obtenir quelques informations, aussi simples soient-elles. L’association al-Jarha se distingue également en ce qu’elle s’occupe, non seulement à Dahieh, mais aussi à l’est et au sud du pays, des blessés et handicapés de guerre. Hoda Bazzi, une de ses représentantes, a ainsi déclaré à L’Orient-Le Jour que l’association concevait ses activités à la manière d’un tout. « Il s’agit pour al-Jarha de s’occuper de la réhabilitation des handicapés de manière psychologique, physique, sociale, académique, sans oublier l’insertion professionnelle. » Al-Jarha mène d’autre part ses activités en collaboration avec d’autres ONG – internationales cette fois-ci –, ce qui lui permet d’élargir son champ d’action. Le travail social, en particulier auprès des handicapés et des populations qui ont été confrontées à la guerre, nécessite « une méthodologie efficace ». Ainsi, Hoda Bazzi nous a expliqué quels étaient les bénéfices que l’association a tirés des formations suivies auprès de DIA. Les activités d’al-Jarha sont très caractérisées et il est important, selon sa représentante, de mener une action allant dans un sens non seulement social, mais « psychosocial » afin d’aider au mieux ces personnes sensibles. Aussi : « Pourquoi, qui et quelles sont les conséquences d’un tel travail ? » sont autant de questions auxquelles les acteurs d’al-Jarha ont essayé de répondre. Contrer la « logique de ghettoïsation » D’autres associations ont, aussi, des champs d’action très ciblées. C’est le cas de l’ONG World Vision, qui travaille dans 4 quartiers de Dahieh et autour de la zone Aïn el-Remmaneh, Furn el-Chebback, Chiyah et Ghobeiri. Ses activités se découpent en deux troncs principaux : l’éducation et l’établissement de conditions favorables à la paix. « Nous travaillons dans des régions instables, déclare Zeina Dib, coordinatrice pour le compte de l’association, aussi, nous essayons de créer des conditions nécessaires à l’instauration d’un climat de confiance par le biais d’activités sociales, telles que le sport, la danse et le théâtre. » Ce qui importe ainsi à World Vision est de permettre la communication entre les différentes communautés libanaises. Il est prévu, dans cette perspective, d’organiser un marathon sur les lieux mêmes des émeutes du 27 janvier. L’ONG internationale est présente également sur 11 régions libanaises « pour, toujours selon Zeina Dib, ne pas contribuer à une logique de ghettoïsation de la banlieue sud. Nous ne voulons pas, non plus, que nos activités se résument à de l’assistanat auprès de ces populations défavorisées ». Plus que d’assister, l’idée est donc de fortifier les partenaires, en organisant des séances de formations, avec un suivi régulier pendant quelque temps, afin qu’ils soient en mesure de se prendre en charge. Le travail social à Dahieh est, en fin de compte, difficile à quantifier car chaque partenaire essaie de remplir sa mission dans la mesure de ses moyens, chaque espace public devenant dès lors un acteur social potentiel. Certaines écoles, par exemple, mettent en place des programmes à leur niveau, aidées en cela par les ONG présentes à Dahieh. L’école publique de Ghobeiri, par exemple, a pu réhabiliter, grâce à l’aide internationale, une partie de ses locaux pour mener à bien les activités que lui a enseignées l’association française DIA.
« Pourquoi allez-vous à Dahieh ? » La visite de la banlieue sud de Beyrouth a commencé par les regards interrogateurs du chauffeur de taxi chargé de nous emmener, rendant ainsi la fracture entre deux visions du Liban, entre ces « deux mondes » plus vivace à nos yeux. Il est vrai qu’arrivés aux abords de l’aéroport Rafic Hariri, la cohue se fait intense et le trafic...