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Actualités - REPORTAGE

« La Croix des années rouges » de Nadim Abboud Émouvant témoignage d’un ancien secouriste sur le volontariat en temps de guerre

« Je viens de redécouvrir ces principes. Je les connaissais pourtant par cœur ! Tout ce qui était resté dans ma mémoire avant que je ne replonge dans cette période de ma vie ! Tout au plus, les grandes lignes. Je ne m’en rappelais même plus ! Je m’étais pourtant juré de les suivre en tout temps, j’en avais fait serment ! Ce n’est peut-être qu’aujourd’hui que je réalise combien je les ai vécus, combien pendant toute cette période et, par la suite dans ma vie “civile”, je les ai réellement suivis sans vraiment réaliser ce qu’ils représentent. » Ces principes sont ceux de la Croix-Rouge. L’auteur de ces lignes est Nadim Abboud, un ancien secouriste durant les années de guerre, actuellement avocat. Le contexte de leur parution est son nouveau livre, « La Croix des années rouges – Beyrouth 1985-1993 ». Un ouvrage où il relate les souvenirs de son volontariat durant les années rouges comme il les appelle, qui se révèle être non moins qu’un travail de mémoire sur la guerre, crucial à une époque où le bruit de bottes redevient assourdissant. Un livre-hommage, surtout, à ces centaines de jeunes qui, au lieu de s’abriter des bombardements, risquaient leur vie pour celle des autres. Et continuent à le faire. La couverture du livre de Nadim Abboud, La Croix des années rouges, est particulièrement suggestive : on y voit le symbole de la Croix-Rouge, sur lequel est épinglé le titre comme avec une trombone, et, dans la partie supérieure, des taches de sang. Parce que du sang, les secouristes en ont vu : celui des autres, les blessés qu’ils transportaient aux hôpitaux de toutes les régions (étant les seuls à pouvoir se déplacer ainsi partout), celui des morts auxquels ils rendaient une part de dignité, et, surtout, le leur, quand leurs ambulances sont visées et que des secouristes perdent la vie, ou se retrouvent eux-mêmes à l’hôpital. Dans le passage cité plus haut, qui n’est autre que les premières lignes de l’avant-propos, Nadim Abboud raconte s’être replongé dans une époque dont il ne lui restait plus que les « grandes lignes ». Toutefois, à lire l’ouvrage, on se rend compte qu’il ne lui échappe aucun détail de cette vie passée qui a été la sienne. Il égrène ses souvenirs, en les faisant précéder de la date exacte des événements. Et avec lui, ce ne sont pas seulement ses souvenirs personnels que l’on découvre, mais tous les aspects de la vie des centres de secouristes à l’époque, dans ses difficultés, ses risques, ses tragédies, mais aussi ses petits bonheurs, ses satisfactions, ses amitiés. Les secouristes nous apparaissent dans toute leur force, cette force qui émane de ce don continuel de soi (par opposition au pouvoir des armes, omniprésent en ces années noires), et ils nous apparaissent aussi dans toute l’étendue de leur humanité et de leur fragilité. C’est adolescent que Nadim Abboud a été admis à la CRL, à 17 ans à peine. En ce temps-là, c’était les années de vache maigre. Les moyens étaient limités, mais la bonne volonté, elle, ne l’était pas, comme nous l’apprend l’auteur. Il s’attarde sur l’atmosphère qui régnait dans les centres, les blagues pour décompresser, la naissance des surnoms… Il y avait aussi les missions, les risques encourus (comme lorsque les ambulances deviennent une cible pour les francs-tireurs), ou encore les succès (comme cette réanimation réussie après un arrêt cardiaque en pleine route, dans l’ambulance). Ramener la vie Le récit est ponctué de passages qui nous permettent de comprendre la psychologie de ces secouristes qui passaient par des moments plus qu’éprouvants, donnant au livre une profondeur supplémentaire : « Ne jamais exprimer d’émotions, ne jamais reparler d’une mission sitôt de retour. Les histoires des missions, nous en parlions tout le temps entre nous, mais d’une façon dénuée d’émotion et en trouvant immanquablement une anecdote à raconter (…). Avec des missions pareilles, on se sent vraiment bien, presque invincibles. Nous avons ramené quelqu’un à la vie. C’est un sentiment incroyable et c’est à ce moment que l’on comprend pourquoi on s’est tellement entraîné à cela, pourquoi les anciens secouristes nous racontaient en détail leurs massages cardiaques dans l’ambulance. Je suis très fier, et un sentiment de satisfaction incroyable me fait oublier la journée, la fatigue, la faim, tout… » Le livre est un récit, écrit avec un style limpide, qui présente les réalités d’une manière très directe, sans fioritures, avec humour aussi parfois. Tous ceux qui ont vécu la guerre y retrouveront des détails qui les ont marqués, mais cette fois, vus à travers les yeux de ceux qui étaient en première ligne sans porter les armes. Un témoignage émouvant et percutant à la fois, et toujours d’actualité même s’il parle d’une époque révolue. En effet, la CRL n’a-t-elle pas perdu un de ses secouristes dans la guerre de juillet 2006 et deux autres dans le conflit de Nahr el-Bared ? L’auteur s’est montré très soucieux de rendre hommage à tous les secouristes sans les « indisposer », comme il le dit lui-même, d’où le fait qu’il ne cite pas leurs vrais noms, ni même surnoms. L’ouvrage, édité par les éditions Tamyras, se trouve actuellement dans les librairies ; il sera signé par son auteur aujourd’hui, à 17h, au Time Out (Monnot), et le 14 mars dans le cadre du Salon du livre à Paris. Un prélancement avait eu lieu le 22 février lors d’un déjeuner de gala organisé par l’auteur au profit de la CRL, et au cours duquel il a pu collecter 10 000 dollars qu’il a offerts à l’organisation. Le déjeuner avait eu lieu en présence du président de la CRL, Sami Dahdah, de la présidente du département des secouristes, Rosy Boulos, du directeur du département des secouristes, Georges Kettaneh, et de plusieurs hauts responsables de la CRL. « J’espère que ce livre permettra aux jeunes et moins jeunes de mieux comprendre ce qui se passe dans la tête de ces secouristes, ce qui les pousse à aller de l’avant, de mesurer les sacrifices qu’ils font et qui passent sous silence, qui sont ignorés ou que tout le monde prend pour acquis », avait alors déclaré Nadim Abboud. S. B.
« Je viens de redécouvrir ces principes. Je les connaissais pourtant par cœur ! Tout ce qui était resté dans ma mémoire avant que je ne replonge dans cette période de ma vie ! Tout au plus, les grandes lignes. Je ne m’en rappelais même plus ! Je m’étais pourtant juré de les suivre en tout temps, j’en avais fait serment ! Ce n’est peut-être qu’aujourd’hui que je...