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Actualités - OPINION

Armes légères et règles internationales lacunaires P. Fady FADEL

Face à la montée de l’angoisse résultant de l’éventuelle prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord, se dessine, à l’heure qu’il est, un climat préoccupant et dangereux en raison des conflits armés actuels et potentiels. En effet, de tels conflits se déclenchent principalement dans les pays en développement où les armes légères et de petit calibre sont autant d’outils principaux de violence. Ainsi, on estime aujourd’hui le nombre d’armes légères et de petit calibre en circulation à travers le monde à 500 millions, un chiffre qui augmente en moyenne de 8 millions chaque année, 70 % de ces armes étant concentrées aux mains de particuliers et de milices dans des pays en développement. Ce type d’armes constitue précisément la seule catégorie d’armes utilisées dans 90 % des conflits récents où une victime sur deux appartient à la population civile, soit un total de 1 000 victimes au quotidien. Force est de reconnaître à cet effet l’efficacité des armes légères dans les conflits en cours dans les pays pauvres, notamment où s’opposent des factions et des groupes armés traditionnels. Ces armes sont aussi disponibles à des prix très abordables qui en rendent l’accès et l’acquisition faciles ; certains groupes vont même jusqu’à gaspiller et dilapider les richesses naturelles de leur pays pour obtenir de telles armes. Les armes légères et de petit calibre sont des armes particulièrement meurtrières et se distinguent des armes militaires développées par leur mode d’emploi simple et la facilité de leur entretien, une longue durée de vie et une solidité sans faille. En outre, il est assez aisé de les dissimuler, d’où la difficulté de les tracer. Enfin, ces armes sont tellement légères et faciles à porter qu’elles constituent l’instrument idéal pour les groupes et les factions n’ayant pas bénéficié d’une formation rigoureuse et poussée, notamment les femmes et les enfants soldats. Les montants dépensés sur une base annuelle dans le marché des armes légères et de petit calibre sont de l’ordre de 5 à 7 milliards de dollars américains, soit 3 % en dessous du taux de ventes d’armes à l’échelle mondiale. L’utilisation de ces armes a des effets dangereux et préoccupants, puisqu’elles font des millions de morts et sont source de déportation et d’exode de milliers de personnes. Ces armes sont également lourdes de conséquences sur le plan des droits de l’homme et de la sécurité en général, notamment durant les conflits qui frappent les pays effondrés ou en voie d’effondrement, ce qui nécessite des actions, voire une réaction rapide, vigoureuse et structurée de la part des organisations internationales et régionales. Au Liban, et indépendamment des rapports officiels, nationaux et mondiaux qui expliquent en détail les moyens dont usent les groupes libanais et les individus pour acquérir de telles armes, le danger qui guette pourrait précipiter le pays dans une nouvelle guerre civile, sous prétexte de protéger les libertés publiques, telles que la liberté d’expression, de manifestation et de circulation. La portée et les limites du droit international Dans le cadre du trafic d’armes légères, la part du marché noir dépasse les 25 %. Aussi, est-il normal de se demander si les armes utilisées dans les conflits contemporains proviennent dans leur totalité ou dans leur majeure partie de ce commerce illégal. En réalité, 300 producteurs d’armes légères se répartissent sur 50 pays et le contrôle du parcours entier des armes au sein de cette industrie gagne en difficulté, d’autant que lesdits producteurs vendent leurs droits de fabrication (et non seulement les armes). À cela s’ajoute l’existence d’« un marché gris » où le marché est subventionné par certains gouvernements qui, de ce fait, enfreignent leur politique publique proclamée. Or il s’avère en même temps que les initiatives visant au marquage, à l’enregistrement et au traçage des armes sont efficaces dans une certaine mesure, mais le manque de précision dans la localisation de ces armes ou le manque de respect des délais fixés pour le maintien et la protection des données d’enregistrement de la plupart des instruments attestent bien l’existence de sérieuses lacunes. En outre, de multiples résistances musclées viennent entraver les tentatives d’identification des marquages de munitions. Certes, la technologie moderne permet de déterminer l’emplacement des armes, mais la décision qui mène à une réglementation rigoureuse du trafic et du port d’armes reste tributaire de nombreuses considérations politiques et notamment économiques. Les organisations internationales et les États développés ne nient pas l’importance et la nécessité de relever les défis relatifs à la prolifération et à la circulation d’armes légères et de petit calibre ; prétendre le contraire constituerait un manquement de la part des puissances hégémoniques à l’égard de leur opinion publique ; sans oublier toutefois qu’une part considérable des bénéfices du « rapport militaro-industriel » est versée à ces États, que ce soit de manière directe ou indirecte. Nombreux sont les instruments juridiques statuant sur ce sujet qui ont été émis, tant par des tribunaux internationaux que par des initiatives bilatérales, dont la plus illustre est la Convention interaméricaine contre la fabrication illicite et le trafic en armes légères, munitions, explosifs et autres matériaux, ainsi que la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. Ces conventions proposent de fixer un calendrier prometteur pour le contrôle des armes légères et de petit calibre, en particulier à travers des procédures permettant leur marquage, enregistrement et traçage. Cependant, il est indéniable que ces conventions accordent de nombreuses concessions susceptibles de les affaiblir, et leur application se situe dans un contexte politique très limité en termes de lutte contre la criminalité transnationale organisée. Ces instruments juridiques ont donné lieu à de nombreuses réflexions dans le but de les promouvoir et de parvenir à un lien permettant d’établir un véritable réseau mondial efficace pour le contrôle du processus d’armement, et plus particulièrement le contrôle des armes légères et de petit calibre. Le comité des Nations unies chargé de mettre en place une convention sur le trafic d’armes s’est réuni pour la première fois en octobre 2006 ; il est aujourd’hui perçu comme un exemple encourageant dans ce domaine. Toutefois, il est regrettable de constater que ce cadre optimiste s’est soumis aux desiderata des acteurs internationaux concernés qui ont vu dans l’application d’un tel système une menace contre leur mécanisme de défense de leurs intérêts propres, tant politiques qu’économiques. Comme nous le montre le début du film Lord of War sorti récemment, les cinq puissances mondiales exportatrices d’armes sont la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie qui sont, par hasard, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. À ce stade, il est important de faire référence aux résolutions du Conseil de sécurité relatives aux armes des milices et des groupes armés illicites et visant à brider leur activité, à limiter leur rôle dans la société civile et politique, à mettre la main sur leur potentiel, à les dépouiller de leurs armes légères et lourdes et à les dissoudre une fois pour toutes. En effet, face à des résolutions internationales comme la 1701 et la 1559 et aux rapports périodiques du secrétaire général des Nations unies, nous ne pouvons aborder notre réalité libanaise en prétendant qu’il existe un vide juridique international sur cette question ; le vide viendrait plutôt du manque de volonté politique locale de pointer du doigt les groupes armés illégitimes (par rapport au principe de monopole de la force qui doit être uniquement aux mains des autorités libanaises), volonté tiraillée par des enjeux régionaux et internationaux, d’une part, et du manque de soutien international au niveau des organisations internationales afin d’aider le pouvoir local à maîtriser la situation sur le terrain à travers une solution pacifique et le renforcement du potentiel des forces de défense et de sécurité libanaises, d’autre part. En attendant donc que se constitue une volonté politique ferme et déterminée à affronter ces défis et devant l’hésitation des organismes internationaux à agir à cet égard, et vu le chaos national qui se manifeste par l’absence d’organisation efficace du port des armes légères, sans oublier la reconnaissance populaire irresponsable à l’égard de la détention d’armes individuelles dans les maisons et les familles libanaises (…), nous ne pouvons que voir dans tous ces symptômes des éléments denses et favorables au déclenchement d’un conflit interne prêt à exploser à tout moment ! Cela dit, les responsables libanais sont appelés aujourd’hui plus que jamais à faire montre de prudence et de vigilance qu’ils devraient puiser dans leur rôle pionnier, à savoir servir l’intérêt général dans un environnement de démocratie pacifique fondée sur le dialogue et loin des confrontations, des guerres et de toute forme d’intimidation. P. Fady FADEL Professeur de droit public et secrétaire général de l’Université antonine Article paru le mardi 12 février 2008
Face à la montée de l’angoisse résultant de l’éventuelle prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord, se dessine, à l’heure qu’il est, un climat préoccupant et dangereux en raison des conflits armés actuels et potentiels.
En effet, de tels conflits se déclenchent principalement dans les pays en développement où les armes légères et de petit calibre sont autant...