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Actualités - REPORTAGE

Développement - Deux experts de l’Unicef se penchent sur la santé de l’enfant et sur l’accès à l’eau potable Au Liban, la morbidité infantile reste très importante

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a publié en janvier dernier son rapport 2008 sur la situation de l’enfance dans le monde, indiquant que plus de 26 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque jour et préconisant la mise en place de stratégies intégrées de santé susceptibles de sauver des vies d’enfants. À partir de ce rapport, nous avons effectué avec deux responsables de l’Unicef à Beyrouth, Imran Mirza et Mahboob Bajwa, tous deux de nationalité pakistanaise, un bilan sur la situation de l’enfant libanais au niveau de la santé et de l’accès de la population du pays à l’eau potable. S’il est difficile à l’heure actuelle, et vu le manque de données, de se baser sur des chiffres fiables et de développer des programmes efficaces, les deux spécialistes espèrent que les études conjointes qui seront lancées en 2008 par le gouvernement libanais et l’Unicef donneront des indicateurs plus nets non seulement sur la santé de l’enfant et sur la distribution et la qualité de l’eau potable, mais aussi sur les éléments de base liés au développement. «La mortalité infantile est relativement basse au Liban, mais c’est la morbidité infantile, autrement dit le taux de maladie infantile qui est élevé », constate Imran Mirza, responsable de la santé au sein de l’Unicef. Observant que le taux de mortalité infantile avant l’âge de 5 ans a atteint trente pour mille en 2006-2007, il déplore la lenteur des progrès réalisés à ce niveau. En effet, tient-il à préciser, « ce taux était déjà de trente-sept pour mille en 1990 ». Quant aux causes de la mortalité et de la morbidité infantile, elles résultent de problèmes congénitaux et des conditions d’accouchement. Il insiste sur le fait que les problèmes de santé des nouveau-nés sont souvent « liés à l’anémie de la femme enceinte qui accuse une déficience en vitamines et en fer et qui se nourrit mal, de manière générale ». « Près de 30 à 35 % des femmes libanaises souffrent d’anémie », dit-il à ce sujet. Et d’ajouter que parmi les enfants qui meurent, 65 % meurent au cours du mois suivant leur naissance. Imran Mirza estime que « la lente évolution permet de penser que le Liban est incapable d’atteindre en 2015 l’objectif du millénaire fixé par l’ONU, autrement dit de parvenir à un taux de mortalité infantile de douze pour mille ». Et pourtant, « le gouvernement libanais, à l’instar d’autres gouvernements, s’était engagé à atteindre cet objectif », observe M. Mirza. Un taux d’allaitement exclusif très bas Quant aux raisons de ces mauvais résultats, elles sont multiples, explique le responsable de la santé. Et d’évoquer les conflits, la crise, l’incapacité des ministères à implanter des stratégies, les pressions politiques et la grande disparité des services dans les régions. « Les régions du Akkar et du Nord sont très mal desservies par le secteur public, alors que le secteur privé ne s’implante que dans les régions riches », constate l’expert. M. Mirza ajoute à ce propos que 70 % des soins de santé sont payés par la population et que seulement 30 % des soins médicaux sont payés par l’État. Quant au budget du ministère de la Santé, il est consacré « à 80 % aux frais d’hospitalisation et seulement 5 % à la prévention ». Certes, tient-il à remarquer, environ « 95 % des accouchements sont faits par des professionnels, médecins ou sages-femmes, mais le problème est la qualité des soins ». Et de noter, à ce propos, que durant leur grossesse, de nombreuses femmes sont poussées à se soumettre à des tests ou à des examens inutiles. Il dénonce aussi « la moyenne, très élevée, de 23 % des accouchements par césarienne », alors que les standards maximaux de l’Organisation mondiale de la santé se limitent à 10 % de césariennes. « Certains hôpitaux privés pratiquent les césariennes de manière presque systématique », poursuit M. Mirza, indiquant que le taux de césariennes dans ces hôpitaux atteint parfois 50 %. « C’est une façon pour les hôpitaux et les médecins d’avoir des rentrées d’argent plus importantes », accuse-t-il encore, affirmant que « l’accouchement naturel est l’idéal aussi bien pour la santé de la mère que pour celle de l’enfant ». Le spécialiste de la santé affirme par ailleurs qu’au Liban, « le taux d’allaitement exclusif de 40 % est nettement inférieur à la moyenne requise de 80 % ». « Les pédiatres n’encouragent pas l’allaitement exclusif notamment dans les villes », déplore-t-il, précisant que nourrir l’enfant au sein durant les six premiers mois lui donne l’immunité, renforce le lien entre la mère et l’enfant et élimine les risques liés à l’hygiène des biberons. Des chiffres officiels basés sur des suppositions Concernant les taux de vaccination, M. Mirza observe que « le Liban rapporte des taux trop élevés de vaccination des enfants contre la rougeole, de l’ordre de 98 à 99 % ». Il explique que « le ministère de la Santé annonce qu’il couvre 50 % des vaccinations et suppose que les 50 % restants sont couverts par le secteur privé ». « Or il n’existe aucun chiffre à ce propos », remarque-t-il, affirmant qu’« on ne peut se baser sur des suppositions ». Et d’ajouter qu’une étude conduite par le Projet panarabe pour la santé familiale (Papfe) rapporte que le taux de vaccination contre la rougeole au Liban ne dépasse pas 43 %. « Cette étude est plus crédible que les chiffres donnés par le gouvernement », note M. Mirza. D’ailleurs, « le Liban avait annoncé qu’il a éradiqué la rougeole, et pourtant, de nombreux cas ont été rapportés par le gouvernement lui-même ». Ainsi, au Akkar et à Baabda, « 950 cas ont été rapportés en 2006 et environ le même chiffre a été rapporté en 2007 », précise-t-il, soulignant que nous sommes dans l’ignorance du nombre de cas qui n’ont pas été rapportés. Le problème majeur est qu’au Liban, « il n’existe pas de statistiques officielles fiables ». Imran Mirza évoque également les répercussions nocives du tabagisme des parents sur la santé de leurs enfants. Selon une étude conduite par l’Université américaine de Beyrouth (AUB), 53 % des enfants du Liban de moins de 5 ans sont des fumeurs passifs à cause de leurs parents qui fument la cigarette ou le narguilé. « Cela provoque une augmentation des cas d’asthme et des infections respiratoires chez l’enfant », dit-il à ce propos. Une autre étude sur la santé à l’école (Global school health survey) entreprise avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne, selon Imran Mirza, que 10 à 15 % des enfants scolarisés de 12 à 13 ans commencent à boire de l’alcool. « Cela représente un danger car l’enfant peut facilement glisser dans l’alcoolisme », précise-t-il. Le responsable de l’Unicef conclut en précisant que l’organisation collabore avec le gouvernement libanais au niveau de douze cazas dans quatre principales régions, le Nord, le Akkar, la Békaa et le Sud. L’objectif le plus important reste d’abaisser le taux de mortalité à douze pour mille en 2015. Mais pour ce faire, le gouvernement devra effectuer un énorme travail au niveau de la période néonatale, de la grossesse, de l’accouchement et de la période post-accouchement. L’accès à l’eau Le problème de l’accès à l’eau a réapparu depuis la guerre de juillet 2006, alors qu’il n’était plus prioritaire pour l’Unicef depuis la fin de la guerre civile. « Le gouvernement libanais s’occupe de l’eau de manière générale, estime le responsable de la section de l’eau, des systèmes sanitaires et de l’environnement au sein de l’Unicef, Mahboob Ahmad Bajwa, mais il ne se soucie pas vraiment de la qualité de l’eau. Il ne mène d’ailleurs aucune politique concernant l’eau potable. » Par ailleurs, l’absence de statistiques concernant aussi bien l’accès à l’eau que la qualité de l’eau potable représente un véritable problème car elle empêche le développement de programmes à ces deux niveaux. « Nous tentons de réduire le fossé entre l’Unicef et le gouvernement libanais sur la différence de conception au niveau de l’eau », observe M. Bajwa, précisant qu’un programme de 4,5 millions de dollars a été signé pour l’année 2008 entre l’organisation internationale et le ministère de l’Énergie concernant la qualité de l’eau potable. Ce programme se déroulera principalement dans cinq régions, au Akkar, au Hermel, à Baalbeck, à Bint Jbeil et à Tripoli. Et d’affirmer que le programme démarrera par des discussions entre l’Unicef et le ministère de l’Énergie sur la mise en place en 2008 d’une politique officielle de l’eau. Le spécialiste indique à ce propos qu’une étude de 500 000 dollars sera menée conjointement cette année par le gouvernement libanais et l’Unicef sur la couverture de l’eau potable et sur les contraintes techniques et matérielles pour l’amélioration du réseau. « Cette étude devrait débuter en mars », précise-t-il, tout en affirmant que « pas plus de la moitié de la population reçoit l’eau à travers le réseau public de distribution ». « Et pourtant, dit-il, le Liban a rapporté que l’accès à l’eau potable était de 98 %. » « Mais il est important de faire la différence entre le fait d’être connecté au réseau d’eau potable et le fait d’avoir de l’eau », note-t-il, indiquant qu’un des problèmes majeurs à ce niveau est que la population du Liban peut être connectée au réseau sans toutefois recevoir de l’eau. « D’ailleurs, chaque famille doit dépenser en moyenne 500 dollars par an pour acheter de l’eau potable et de l’eau domestique. » Il estime à ce propos que le gouvernement doit prendre ses responsabilités et assurer l’eau à la population, affirmant que « le droit à l’eau est un droit des Nations unies » et qu’un commerce parallèle ne devrait pas être créé à ce niveau, comme cela se passe au Liban. Boire une eau contaminée « Les autorités libanaises rapportent aussi, poursuit M. Bajwa, que parmi ces personnes ayant accès à l’eau, 100 % obtiennent une eau de qualité, autrement dit réellement potable. » Or il constate que « l’eau distribuée par le réseau n’est pas potable et n’est donc pas sûre, car elle est biologiquement et physiquement contaminée ». Elle contient d’une part des coliformes (excréments humains) et autres déchets, car le réseau d’eau potable est souvent infecté par les réseaux d’eaux usées et d’égouts mal isolés ou même par les déchets solides. Sa teneur en calcium est d’autre part trop élevée. D’où les nombreuses maladies que la population attrape, notamment les diarrhées, les infections respiratoires, l’hépatite B dans certaines régions et les infections rénales. « Certaines familles sont, de ce fait, tentées de recueillir et de boire l’eau de pluie », constate l’expert. Il explique toutefois que l’eau de pluie ne contient pas de minéraux et qu’une eau potable saine doit en contenir. « L’idéal consiste donc pour la population à boire une eau de roche traitée », affirme-t-il. Mahboob Bajwa souligne par ailleurs que l’Unicef développe des programmes de promotion de l’hygiène dans les écoles publiques. Ces programmes sont basés sur une approche de l’enfant et de l’enseignant. Ils consistent dans l’éducation à l’hygiène personnelle. « Nous leur apprenons des gestes simples à effectuer au quotidien, comme notamment se savonner les mains avant de manger et après être allés à la selle », explique-t-il. L’organisation contribue, de plus, à améliorer les installations sanitaires de certains établissements. Soixante écoles publiques ont ainsi été intégrées à ce programme en 2008 et 87 établissements publics ont été intégrés au programme en 2007. Et de conclure en affirmant qu’une seconde étude sera bientôt menée à l’échelle nationale par l’Unicef en collaboration avec le gouvernement libanais sur la qualité de l’eau. Anne-Marie EL-HAGE
Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a publié en janvier dernier son rapport 2008 sur la situation de l’enfance dans le monde, indiquant que plus de 26 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque jour et préconisant la mise en place de stratégies intégrées de santé susceptibles de sauver des vies d’enfants. À partir de ce rapport, nous avons effectué avec...