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Actualités - CHRONOLOGIE

« L’armée est de connivence avec les Forces libanaises », accusent des militants du mouvement Amal Au lendemain des émeutes, un calme précaire règne sur le secteur Chiyah-Aïn el-Remmaneh Patricia KHODER

C’est un calme précaire qui régnait dans la matinée d’hier sur le secteur de Chiyah-Aïn el-Remmaneh. Des deux côtés de l’ancienne ligne de démarcation qui avait marqué la division de Beyrouth durant les événements du Liban, des fonds de commerce avaient gardé leurs rideaux baissés. En début d’après-midi, l’armée avait retiré ses chars, et les restes de pneus qui avaient servi à bloquer la route la veille avaient été dégagés. Dans le secteur de l’église Mar Mikhaël, une zone qui grouille de monde durant les journées ordinaires, la circulation était fluide et peu de gens s’attardaient dans la rue. À Chiyah, quartier chiite de la banlieue de Beyrouth auquel appartiennent les émeutiers, beaucoup préfèrent ne pas parler à la presse. Ceux qui ont ouvert leurs magasins affirment qu’ils n’avaient rien vu dimanche, qu’ils n’étaient pas présents dans le secteur ou qu’ils avaient fermé boutique aussitôt que les manifestants avaient pris la rue. Dans une station d’essence, un ouvrier égyptien, invité par son employeur à raconter les faits, indique qu’il « y a eu des affrontements entre la troupe et les manifestants ». Un chauffeur de taxi présent sur place et habitant Chiyah accuse les Forces libanaises. « Les FL veulent créer des problèmes entre l’armée et le mouvement Amal. D’ailleurs, les hommes de la milice chrétienne ont tiré sur la foule », affirme-t-il. Un peu plus loin, dans le quartier de Chiyah, des jeunes du mouvement Amal se préparent à participer aux funérailles d’Ahmad Hamzi, cadre du mouvement tué dimanche lors des affrontements entre l’armée et les émeutiers. « Il y a neuf tués dans nos rangs. Nous n’allons pas nous taire. Nous nous vengerons. Si ce n’est pas aujourd’hui, ça sera dans un futur proche. Nous ne nous reposerons que quand nous aurons tué neuf des leurs », promet Moussa. Vont-ils tuer neuf soldats de l’armée ? « Non, neuf miliciens des Forces libanaises », dit-il en tournant la tête vers Aïn el-Remmaneh. Moussa et d’autres jeunes hommes présents racontent que l’armée est de connivence avec les Forces libanaises. « Les miliciens chrétiens étaient sur le toit des immeubles. Nous avons vu leurs fusils à infrarouge. Des snipers avaient tiré sur les manifestants, alors que l’armée tirait en même temps en notre direction. Tous nos morts ont été touchés à la poitrine », affirme-t-il. Ali renchérit : « C’est l’armée qui a tué Ahmad Hamzi. Nous étions en train de manifester calmement et les soldats dans leurs chars sont venus nous passer à tabac. Ils ont tiré dans notre direction. L’un de mes amis a été roué de coups alors qu’il tentait d’éteindre un pneu... Ils font tout cela parce que nous sommes chiites, des déshérités. L’armée n’osera jamais faire ça aux chrétiens ou aux sunnites ; elle les protège. » « Nos héros : Nasrallah, Berry et Aoun » « Si nous manifestons, c’est à cause de la crise économique et nous faisons ceci pour tous les Libanais. Nous les appelons à manifester avec nous… Ils nous accusent d’être pro-iraniens et prosyriens… Dimanche soir à Chiyah, c’est le Mossad qui est intervenu en plein Beyrouth pour tuer nos camardes », indique encore Moussa. Ali et les autres jeunes présents sur place se demandent « pourquoi Samir Geagea (le chef des Forces libanaises), un criminel condamné à mort, a été remis en liberté »...  Ils sont tous d’accord qu’il n’y a de héros qu’au Liban-Sud, invoquant Dieu pour qu’il protège le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le chef du mouvement Amal, Nabih Berry, le chef du CPL le général Michel Aoun, et l’ancien ministre Sleimane Frangié. Alors que les jeunes donnent leurs avis, une camionnette blanche s’approche de la petite foule, son chauffeur salue les jeunes présents, nous demande nos papiers et nous invite à quitter immédiatement les lieux. Direction Aïn el-Remmaneh. Dans ce quartier chrétien, habitué aux combats depuis 1975, les habitants sont las. Il n’y a pas de révolte, mais de la lassitude. Georges, qui tient une épicerie, indique : « Nous ne sommes pas contre ceux qui manifestent. Mais qu’ils aillent ailleurs. Si quelqu’un a des requêtes vis-à-vis du gouvernement, qu’il manifeste devant le Sérail, pas à Aïn el-Remmaneh. Les émeutiers de dimanche doivent savoir que Fouad Siniora (le chef du gouvernement) ne vit pas chez nous à Aïn el-Remmaneh. » Georges était avec sa mère à la messe quand les émeutes ont éclaté. Ils ont marché entre les chars et les véhicules militaires pour pouvoir rentrer chez eux. De son côté, Alain indique que les habitants de Aïn el-Remmaneh et de Chiyah sont « frères ». Invoquant Dieu pour protéger l’armée « seul salut du pays », il note que le secteur abrite des chrétiens, des chiites et des sunnites. Un peu plus loin, se dresse un immeuble blanc. Certains habitants de Chiyah avaient indiqué que son toit avait accueilli des snipers. Au dernier étage du bâtiment habite une famille chiite. Mohsen, l’un des habitants de l’appartement, raconte qu’il a choisi de vivre dans ce quartier parce qu’il est « plus calme que Chiyah ». Il dit aussi qu’il n’y avait personne sur le toit de l’immeuble dimanche. Cette version est confirmée par plusieurs habitants de l’immeuble. « Boucs émissaires » Dans une rue parallèle, toujours dans le secteur des minoteries (Matahen), là où les manifestants avaient lancé une bombe en direction d’un groupe de personne originaires du quartier, un jeune homme raconte que pour sécuriser la zone, des soldats de l’armée se sont déployés sur le toit de quelques immeubles. « À partir de ces immeubles, on a une vue sur Chiyah et sur l’ancienne route de Saïda », explique-t-il. Toujours dans cette rue, deux ouvriers syriens, qui habitent Aïn el-Remmaneh depuis cinq ans, racontent que les émeutiers sont entrés dans le quartier en blasphémant et en lançant des insultes contre les chefs chrétiens du 14 Mars. « Toutes les familles ont quitté le quartier pour se mettre en sécurité. Les gens ont peur », raconte l’un d’eux. Dans un café Internet de la rue Bkassini, là où la bombe avait été lancée, deux jeunes hommes présents sur les lieux dimanche soir racontent qu’ils ont accouru aux cris des femmes. « Les émeutiers sont entrés dans la rue. Ils étaient plusieurs centaines. Ils lançaient des pierres en blasphémant. Dans les appartements, les femmes ont commencé à crier. Nous sommes descendus dans la rue. Nous n’avons pas eu le temps de voir ce qui se passait. Ils ont lancé une grenade dans notre direction, il y a eu sept blessés », raconte Girgi. Mike indique de son côté : « Les manifestants portaient les drapeaux du mouvement Amal et du Hezbollah. L’armée était là, dans la rue. Nous l’avons appelée à nous protéger. Elle n’a rien fait, n’a pas réagi. Comme nous, elle regardait les manifestants avancer. C’est quand un émeutier a lancé la grenade qu’un soldat a tiré en l’air pour disperser les manifestants. » « Pourquoi faut-il que nous soyons toujours des boucs émissaires ? se demande Girgi en soupirant. Cette fois-ci, c’était une grenade, la prochaine fois, ils nous lanceront des roquettes Katioucha. » Dans ce quartier décoré de drapeaux des Forces libanaises et des portraits de Samir Geagea, l’on parle surtout des trois blessés toujours hospitalisés et qui devaient encore subir des interventions chirurgicales. Souheil, propriétaire d’un magasin dans le quartier, parle des voitures saccagées et de la destruction. « Ce n’est pas la première fois que des émeutiers s’en prennent à ce quartier de Aïn el-Remmaneh, mais bien la troisième. D’ailleurs, il y a six mois, l’armée a mis en place une caserne dans la zone », dit-il, montrant du doigt des conteneurs blancs abritant des soldats. « Nous sommes pour la démocratie et tout le monde a le droit de donner son avis. Bien sûr, nous souffrons autant que nos frères chiites de la crise économique et nous sommes prêts à manifester avec eux s’ils décident de le faire d’une façon civilisée, et non en lançant des pierres et des grenades, en cassant des voitures et en brûlant des pneus », dit-il. Tout comme dimanche soir, hier, la sœur de Souheil, qui a des enfants en bas âge et qui habite le quartier, n’a pas dormi à la maison. Elle fait partie de plusieurs dizaines, voir d’une centaine de familles de Aïn el-Remmaneh ayant préféré quitter provisoirement les lieux par précaution.
C’est un calme précaire qui régnait dans la matinée d’hier sur le secteur de Chiyah-Aïn el-Remmaneh. Des deux côtés de l’ancienne ligne de démarcation qui avait marqué la division de Beyrouth durant les événements du Liban, des fonds de commerce avaient gardé leurs rideaux baissés. En début d’après-midi, l’armée avait retiré ses chars, et les restes de pneus qui avaient...