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Plaidoirie pour une fiscalité juste, intègre et efficace

Quand le vacarme de la bataille présidentielle sera enfin derrière nous, la nouvelle équipe gouvernante, quelle qu’en soit la couleur politique, devra affronter sept chantiers, de par leur nécessité citoyenne et leur poids financier apolitiques, non confessionnels, urgents et contraignants : la protection sociale (assurance-maladie et maternité, et régimes de retraites), la défense nationale, la sécurité intérieure, l’eau, l’énergie, l’emploi et l’éducation. La contrainte et l’urgence sont en effet à la mesure du coût exorbitant que subiront à tous points de vue toutes les composantes d’une nation exsangue, en cas d’atermoiements ou de dérobade à lancer ces projets. En effet, la plupart de nos administrations sont quasiment en situation de cessation de paiement. Des pans entiers de la population ne sont protégés ni dans leur santé ni dans leur retraite. L’armée combat, avec beaucoup de foi mais avec un arsenal disparate et suranné, des ennemis acharnés, fanatiques et fortunés. L’eau et l’énergie électrique sont payées doublement pour cause de pénurie consentie sinon organisée. L’emploi et l’éducation laissent à désirer et sont devenues les principales pompes à émigration de notre jeunesse. Mais surtout, leur financement à travers une fiscalité juste, intègre, efficace est la clé de voûte de la pérennité de notre ambition d’un Liban moderne ; car cette fiscalité déterminera le choix crucial et nécessaire entre une mendicité devenue chronique et son cortège d’atteintes répétées à notre souveraineté, et une liberté nourrie et soutenue par une gestion austère et intègre de notre richesse nationale. Le refus de s’atteler à ces tâches équivaudrait à esquiver des problèmes devenus pressants et dont l’impact sur la qualité de l’avenir du pays est de plus en plus déstabilisateur. Des problèmes que l’anarchie des quarante dernières années n’a cessé d’exacerber, avec des coûts sociaux rendus de plus en plus insupportables par une paupérisation et une corruption galopantes. Des problèmes, qui sont autant d’appels d’air à des ingérences étrangères dévastatrices, souvent sous couvert humanitaire : services rendus par les appareils de l’OLP dans les années 70, brèche israélienne dans notre frontière sud à travers la « Bonne Porte », organisations paravent de l’extrémisme religieux régional et, pour finir, un État dans l’État : le Hezbollah. Autant de raisons impérieuses pour lancer ces réformes sans délai. N’oublions surtout pas à ce propos le crime des forces d’occupation qui se sont relayées, avec leurs collaborateurs respectifs. Leur pillage organisé et leur destruction systématique de nos ressources, fruits de la renaissance libanaise après des siècles d’oppression ottomane, ainsi que de l’héritage légué par le mandat français, n’ont fait que renforcer l’acuité de ces problèmes ; il souligne ainsi l’urgence d’empêcher immédiatement une détérioration irréversible de tout ce qui constitue, dans notre mémoire collective, le Liban. Dans cette perspective, on arrive à mieux saisir l’importance fondamentale d’une administration fiscale dont l’équité est garantie par une législation avisée, issue d’une représentation fidèle du peuple, et par un corps d’inspection intègre et exigeant. Une structure qui reflétera la puissance de l’État et surtout sa capacité à faire participer ses sujets, citoyens ou résidents, ainsi que les citoyens non résidents, au financement des dépenses de contrainte de la nation. La crainte qu’une telle fiscalité aboutisse à une fuite de capitaux ne devrait pas être un obstacle, car si cette fuite est la règle dans un premier temps, elle a tendance à se renverser et les capitaux reviendront au pays au fur et à mesure que le nouvel environnement aura porté ses fruits pour l’économie et la nation en général. On se souvient à cet effet des transferts, quelquefois dans des circonstances rocambolesques, de fortunes françaises vers la Suisse dès l’avènement de l’ère Mitterrand. Fortunes qui ont souvent pris le chemin du retour, encouragées par l’activité économique et accompagnées parfois de mesures d’amnistie fiscale. À part le fait qu’elle fournit à l’État une autonomie pour réaliser ses projets, autonomie nécessaire à l’indépendance et à la souveraineté de la nation, une fiscalité juste unit dans la peine de la ponction financière toutes les composantes de la société – une union bienvenue, quelle qu’en puisse être la cause. Elle favorisera ainsi sous la pression populaire l’émergence d’une classe politique plus attentive aux besoins du peuple et donnera toute son envergure à l’aspect législatif des corps élus. En traquant les revenus illicites, elle sera un instrument d’une efficacité redoutable pour assainir les milieux politiques et d’affaires et répondre ainsi aux exigences de transparence des citoyens devenus vrais contribuables. Est-il besoin de rappeler que l’argent est le nerf du crime organisé, de quelque nature qu’il soit, et que la principale arme contre les mafias de toutes sortes et les réseaux terroristes est avant tout un contrôle financier strict ? En effet, une fiscalité efficace force une certaine moralité dans les milieux de l’argent. Ainsi l’État pourra demander des comptes à quiconque vit au-dessus de ses moyens déclarés, et s’assurera que la nation bénéficie de sa juste part des richesses individuelles de ses citoyens et résidents. Il ne faut pas croire cependant que cela va éliminer en un tournemain une corruption bien enracinée dans l’esprit humain, et nourrie au Liban du fumier du clanisme familial et confessionnel car le pouvoir corrompt, ne l’oublions jamais. Il reste quand même que sans les agents de l’impôt, Al Capone n’aurait jamais pu être arrêté… Mais les bienfaits d’une fiscalité juste ne s’arrêtent pas là : il faut y ajouter, entre autres, la possibilité de canaliser les investissements pour atteindre des objectifs nationaux de croissance, de plein emploi, ou de protection de l’environnement. Et pour finir, la participation des expatriés à la gestion du pays en leur offrant des débouchés pour investir leurs capitaux ou leurs talents. Une parenthèse à ce propos pour rappeler que les pays du Golfe où s’expatrient nos concitoyens ne possèdent pas de régimes de retraite et que la demande pour ce filet de protection est fort élevée, ainsi que la demande pour l’assurance-maladie et frais de maternité au Liban pour ces expatriés et leurs familles. Or une administration qui a sauvé en son temps la MEA de la faillite est une administration capable, si on le lui demande, de créer et de gérer de telles institutions et d’attirer ainsi vers elles les fonds nécessaires. Des fonds qui pourraient être investis pour transformer en autant de MEA renaissantes et génératrices de profits les secteurs de l’eau, de l’électricité et du transport en commun, et démarrer ainsi un cycle de financement sain des systèmes sociaux et de redressement (sans subventions) des services de base de la nation. Pour revenir à la fiscalité, est-il besoin de rappeler que le Liban, malgré les plaintes relayées dans tous les médias, preuve s’il en est de l’universalité de la peine fiscale, vit une récréation fiscale qui dure depuis l’émancipation du joug ottoman ? Le résident libanais, citoyen ou pas, est une espèce rare sur cette planète, du moins entre pays importateurs de pétrole, qui ne remplit pas de déclaration de revenus. Les employés voient leur dîme à l’État retenue à la source par leur employeur, mais dans une écrasante majorité ne savent pas de combien ils s’acquittent en termes d’impôt sur le revenu ou de cotisation sociale. Les employeurs quant à eux sont, dans une très large mesure, les champions toutes catégories du travail au noir et de l’abus du bien social pour ne pas dire plus. L’introduction réussie, dans des délais assez brefs, de la TVA à 10 %, du reste ridiculement basse en comparaison à d’autres pays, laisse augurer du bon niveau de la préparation de l’administration fiscale libanaise, épaulée jusqu’à récemment par une équipe française, en vue de mettre en place une structure plus sophistiquée de l’impôt. Le chef de cette équipe, dont je ne me rappelle malheureusement pas le nom, avait d’ailleurs clôturé sa mission en rappelant que l’Administration était l’outil à travers lequel on accomplit la volonté de la nation. On veut que nos routes soient belles et sûres, mais partout dans le monde les routes sont financées avec la taxe sur les carburants ; or celle-ci est quasi inexistante au Liban alors qu’elle atteint des pics de 80 % du prix à la consommation dans beaucoup de pays non producteurs. Mais si au Liban l’essence est aussi bon marché, elle l’est surtout au profit des conducteurs de 4x4 et autres supervéhicules gloutons, qui n’en ont pas vraiment besoin, et au détriment des petites voitures qui s’usent tellement rapidement sur nos chemins délabrés faute d’entretien. Cela sans mentionner que l’état de nos routes est la cause première des accidents et donc du décès et invalidités permanentes qui frappent principalement les jeunes. En taxant convenablement l’essence, on finance la réfection des routes, on contribue à réguler le parc automobile, on démocratise les routes en protégeant les petites voitures et enfin on économise sur la facture pétrolière et, cerise sur la gâteau, on réduit sensiblement la pollution. La liste des besoins impactés positivement par la fiscalité peut s’allonger dans la mesure où on a envie d’observer et d’appliquer chez nous les progrès réalisés dans les sociétés avancées. Une fiscalité équitable ne consiste pas à tirer à boulets rouges sur le contribuable ; elle fournit surtout un outil pour changer en bien la société et attirer l’investissement producteur, et ne doit donc pas être diabolisée par ignorance. Finalement, c’est en les guidant à travers leur portefeuille qu’on peut commencer à introduire un peu plus de raison dans les choix électoraux du citoyen ordinaire, de quelque confession ou bord qu’il soit. Présentement, les gens dissocient les élections et la politique de l’économie, et plusieurs déclarations au cours de cette folle année 2007 ont contribué à enraciner cette fausse vérité dans les esprits. En effet, il n’y a pire insulte pour les hommes politiques que de leur demander d’isoler l’économie des conséquences de leurs actes ; une gentille manière de condamner leur incapacité à gérer les affaires de la nation, mais aussi une manière abrupte de leur rappeler que l’économie, au lieu d’être au service de la nation, doit aussi échapper au contrôle de ses élus. Or nul n’est au-dessus de la loi, et dans ce sens, le rôle de la fiscalité est prépondérant ; sachons en faire bon usage. Wassim HENOUD Consultant en stratégie
Quand le vacarme de la bataille présidentielle sera enfin derrière nous, la nouvelle équipe gouvernante, quelle qu’en soit la couleur politique, devra affronter sept chantiers, de par leur nécessité citoyenne et leur poids financier apolitiques, non confessionnels, urgents et contraignants : la protection sociale (assurance-maladie et maternité, et régimes de retraites), la...