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« Poutine est populaire car il incarne les changements attendus par une grande partie de la population »

Chercheur associé au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (EHESS, Paris) et actuellement Research Fellow au Central Asia and Caucasus Institute à Washington, Marlene Laruelle analyse les ressorts sur régime de Vladimir Poutine. Q – Quels sont les ressorts de la popularité de Vladimir Poutine auprès de la population russe ? R - « Poutine est populaire car il incarne les changements attendus par une grande partie de la population russe, à savoir la stabilisation politique et économique. Même s’il n’est pas responsable en soi de l’amélioration de la situation économique du pays, qui est en grande partie fondée sur le prix du pétrole et gaz, il a su profiter politiquement de cette situation et la population lui en est redevable. Il a également réussi à mettre fin au délitement intérieur de la Russie, à l’incapacité totale de l’État à faire respecter la loi, à l’image dégradée du pays sur la scène internationale. Le caractère symbolique et affectif de certains de ces changements ne doit pas être négligé : de nombreux Russes considèrent que les humiliations subies par la Russie dans les années 1990 doivent être dépassées et qu’il est temps que la population soit de nouveau fière de son appartenance nationale, comme dans les autres pays du monde. L’enjeu ne s’apparente pas à un sentiment de “revanche” – même si le terme est souvent employé – mais à la volonté de “normalité” des citoyens russes, qui veulent vivre dans un État qui fonctionne politiquement et économiquement et dans lequel ils peuvent imaginer faire leur vie. » Q - À quel point les médias sont-ils tenus par le régime ? R - « L’immense majorité des medias a été reprise en main par le pouvoir dès 2000-2001. Ils ont été rachetés par des groupes de presse directement liés aux plus grandes sociétés nationales russes ou à des oligarques proches de Poutine. Toutes les chaînes de télévision sont aujourd’hui maîtrisées. Il reste toutefois certains médias autonomes, comme la radio Echo de Moscou, ou le journal Novaia Gazeta, où travaillait Anna Politkovskaia, mais ils ne peuvent avoir de grand impact. Les pressions sur les médias Internet grandissent, mais, par principe, ne pourront avoir d’effet de long terme. » Q - Dans quelle mesure le pouvoir est-il concentré entre les mains du Kremlin ? Quel est le pouvoir réel du gouvernement et de la Douma ? R - « Le gouvernement et la Douma ont très peu de pouvoir. Le Parlement ne sert quasiment plus que de “chambre d’enregistrement” des décisions prises par le président. Le gouvernement dispose lui aussi de peu de latitude et est “doublé” par l’Administration présidentielle, qui constitue le vrai lieu de prise de décision, là où les différents clans politiques, corporations industrielles ou lobbies divers (en particulier les services secrets) se confrontent. Le pouvoir est donc largement concentré dans les mains du Kremlin. Le pouvoir politique, mais également le pouvoir économique puisque toutes les grandes entreprises d’État sont passées sous le contrôle de proches de Poutine. Cela ne suffit toutefois pas pour dire que Poutine décide seul. Il est entouré de fidèles qui représentent des clans aux intérêts divers et il est probable qu’il doive négocier avec eux et mener un “jeu d’équilibriste” parfois complexe. » Q - Peut-on parler de dérives autoritaires du régime de Vladimir Poutine ? R - « Oui, il y a “dérive autoritaire” au sens où la marge de manœuvre des médias est de plus en plus limitée, où certaines personnalités qui veulent dénoncer des abus sont traînées en procès par une justice à la solde du politique, où le poids de l’idéologie devient de plus en plus présent dans le système éducatif, où les ONG sont contrôlées et les financements occidentaux quasiment interdits, etc. Mais il n’y a pas de “dérive autoritaire” au sens où tous les citoyens se sentiraient menacés par l’État : dans leur vie quotidienne, la majorité des Russes, non engagés en politique, vivent sans pression directe de l’État, pensent ce qu’ils veulent du régime, peuvent le dire sans prendre de risques et organiser leur vie personnelle sans quasiment aucune interaction avec l’État. On ne peut donc pas comparer la Russie avec l’Union soviétique, car la pression idéologique n’est forte qu’envers ceux qui s’engagent publiquement sur des sujets considérés par l’État comme sensibles, et non pas envers le citoyen moyen. » Q - L’opposition à Poutine a-t-elle une réelle base populaire ? R - « Non, je crois que l’opposition à Poutine n’a pas de réelle base populaire. Les anciens libéraux comme Iabloko ou l’Union des forces de droite sont largement discrédités car ils n’ont pas fait leur “mea culpa”. Pour l’opinion publique, ils incarnent la brutalité des changements des années eltsiniennes, l’impact social négatif des privatisations des années 1990, l’accaparement des richesses nationales par les oligarques, et le risque de délitement de la Russie. Leurs références à l’Occident comme modèle sont mal reçues par la majorité de la population, qui est soucieuse avant tout de “redressement” économique et de stabilisation. La nouvelle opposition, incarnée par l’Autre Russie et Garry Kasparov, ne dispose elle aussi d’aucune légitimité, elle n’a pas de base sociale si ce n’est dans les milieux engagés, ONG et défenseurs des droits de l’homme, qui sont soupçonnés de vouloir uniquement se faire repérer des médias occidentaux, sans avoir de réelles propositions d’avenir pour la Russie. » Q - Au plan international, Vladimir Poutine a-t-il réellement les moyens de ses ambitions ? R - « La Russie n’a en réalité pas beaucoup d’atouts, si ce n’est ses richesses en hydrocarbures, ses minerais précieux et sa capacité militaire. Mais elle ne pourrait en aucun cas gérer un conflit ouvert avec une grande puissance. Je ne crois pas que Poutine le veuille : les déclarations de politique étrangère, parfois considérées comme agressives, ont pour objectif de se faire reconnaître par les États-Unis ou l’Union européenne en tant que partenaire égal dans les discussions considérées comme importantes (Moyen-Orient, Iran, Corée du Nord, remilitarisation de l’Europe, etc.). L’enjeu n’est en rien de provoquer un conflit ni même d’entrer en situation conflictuelle, mais de disposer d’une marge de manœuvre, ou d’une capacité de chantage pour se faire respecter en tant que puissance mondiale ayant son mot à dire sur tous les sujets. » Q - Quelle va être, selon vous, la stratégie de Poutine pour la présidentielle 2008 ? R - « La prospective est un jeu difficile, surtout en Russie. Il est clair que Poutine souhaite rester à la tête du pays, mais il est difficile de savoir sous quelle forme. Il sait qu’une modification de la Constitution lui permettant de rester à la tête de l’État serait mal perçue sur le plan international. Il sait également qu’il est toujours risqué de laisser le poste de président à l’un de ses proches, qui pourrait “s’autonomiser” rapidement et devenir un concurrent. Il peut chercher à transformer le système politique russe en un régime parlementaire et en prendre la tête en tant que Premier ministre. Je crois que Poutine est un pragmatique et qu’il n’a pas encore pris de décision, il gère la situation au cas par cas et avance différents pions en même temps afin de disposer du plus de cartes à jouer possible lorsque le moment sera venu de prendre une décision. Il ne faut pas non plus oublier qu’il n’est pas seul à décider : il doit concilier de nombreux lobbies aux intérêts contradictoires, ce qui en fait limite plus qu’on ne le croit sa marge de manœuvre. » Propos recueillis par É.S.
Chercheur associé au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (EHESS, Paris) et actuellement Research Fellow au Central Asia and Caucasus Institute à Washington, Marlene Laruelle analyse les ressorts sur régime de Vladimir Poutine.
Q – Quels sont les ressorts de la popularité de Vladimir Poutine auprès de la population russe ?
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