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Actualités - CHRONOLOGIE

Achoppements, clonies, prolongations de sons, fuite du regard, crispations… Le bégaiement, un trouble qui touche 1 % de la population mondiale Rubrique réalisée par Nada Merhi

Buter sur nos paroles lorsque nous sommes émus ou fatigués est une chose normale que nous rencontrons tous lors d’une conversation. Ce qui est anormal, c’est lorsque ces achoppements deviennent répétitifs et qu’ils durent. On parle alors de bégaiement, un trouble qui affecte 1 % de la population mondiale, principalement les hommes. Quelles sont les causes de ce trouble ? Quand faut-il s’inquiéter ? Peut-on en guérir ? Autant de questions auxquelles répond Mme Joumana Rizk Mokhbat, présidente de l’Association libanaise des orthophonistes. Le bégaiement est un trouble de la communication qui affecte de façon plus ou moins accentuée la « fluence » verbale de l’individu. « Dans le cadre d’une communication, il y a un échange d’idées avec une autre personne, explique Joumana Rizk Mokhbat. Chez la personne bègue, il y a un dérèglement de ce principe de communication. Cette dernière écoute tellement la manière dont elle parle qu’elle perd en fait l’importance du contenu. L’autre n’existe plus. » Chez les personnes non bègues, un achoppement est suivi d’un comportement de tranquillisation. « Il s’agit d’un réflexe normal qui consiste à s’arrêter, à sourire, à reprendre sa phrase, etc., avant de poursuivre normalement la conversation, souligne-t-elle. Les bègues perdent ce réflexe. Pour eux, l’important c’est de cacher leur trouble. Au premier achoppement, soit ils bloquent, soit ils ignorent la difficulté. Ils insistent sur le mot jusqu’à ce qu’il sort. » Le bégaiement se manifeste par des répétitions de syllabes ou clonies, des prolongations de sons, des blocages toniques, des mouvements involontaires du visage ou des yeux, une fuite du regard et une perte du contact visuel. Il s’accompagne aussi de crispations, d’efforts et de tension du corps tout entier. Le facteur héréditaire joue un rôle dans l’apparition de ce trouble, mais il existe aussi des facteurs d’imitation. « L’enfant qui grandit dans un environnement de bègues a plus de risque de l’être, remarque Joumana Rizk Mokhbat. Il existe en fait des familles de bègues. » Les raisons de ce trouble du débit de la parole sont inconnues, en ce sens qu’il n’existe pas de « causes à effet direct ». « On sait toutefois qu’il existe des terrains fragiles, tels que les retards de langage, poursuit-elle. Dans le développement normal du langage, on constate beaucoup de bégaiement vers l’âge de 3-4 ans. Le trouble apparaît en effet dans 27 % des cas avant l’âge de 3 ans et dans 68 % des cas entre 4 et 7 ans. » Un sur quatre de ces enfants restera bègue. Chez les autres, ce trouble disparaît spontanément, sans aucune intervention. « Puisqu’on ne dispose pas des moyens qui permettent de dépister lequel des enfants restera bègue, on a intérêt à travailler ce trouble très tôt, insiste Joumana Rizk Mokhbat. Cela est en fait lié à la période où la pensée de l’enfant se développe, ainsi que sa capacité à avoir envie de partager qui est plus développée que ses mots. Donc, il a du mal à exprimer sa pensée, et là on a un bégaiement physiologique. » Les parents ont intérêt donc, à ce stade, à développer le langage et à le stimuler. « Plus les mots viennent facilement à l’enfant et plus le trouble passe plus facilement, sinon on encourt le risque que le bégaiement s’installe », constate-t-elle. C’est alors qu’apparaît toute une série de problèmes qui vont affecter la personnalité de l’individu qui bègue : la tension engendrée par la peur de bégayer, la désorganisation de la coordination entre la respiration et la parole, les syncinésies (crispations, rougeurs…) liées principalement à l’énergie qu’ils mettent à s’auto-écouter et à se contrôler. Certains finissent ainsi par développer des stratégies. Ils emploient, à titre d’exemple, le mot « euh », un tic de la parole que l’on retrouve chez tout un chacun, mais dont l’utilisation est consciente chez la personne bègue d’autant qu’il s’agit d’un mot secours. Les uns préparent leurs phrases à l’avance, perdant ainsi la spontanéité du langage. Les autres ont la phobie de certaines consonnes, en particulier les « k ». Systématiquement alors, ils cherchent à utiliser des mots qui ne contiennent pas la lettre « k ». Chez d’autres, c’est la prononciation d’un mot précis qui pose un problème. « Ils changent alors complètement d’idées ou expriment une idée qui n’est pas vraiment la leur, note l’orthophoniste. Chez les bègues, il y a un autocontrôle continu de la parole, qui n’est pas spontanée chez eux. Lorsqu’on perd la spontanéité, on ne communique plus. » Le bégaiement ne se pose toutefois que lorsque l’individu qui souffre de ce trouble se trouve devant une autre personne. Il ne bégaie jamais lorsqu’il est seul, même s’il parle à haute voix, ni en chantant, ni en chuchotant. Quant aux enfants, ils ne bégaient pas en parlant avec leur peluche… « Le côté relationnel est très présent, c’est la raison pour laquelle le bégaiement diminue ou disparaît dans certaines situations et s’accentue dans d’autres, comme le fait d’avoir à se présenter, à demander des renseignements, à parler au téléphone, etc. » Réduire les manifestations du trouble Chez l’enfant, la thérapie consiste à travailler le langage, pour « faciliter la mise en mots de la pensée », ainsi que la relaxation. On apprend ainsi à l’enfant à se détendre, à percevoir qu’il est tendu et crispé… dans le but de lui permettre de parler plus facilement. Chez l’adulte, une série de méthodes ont été développées, leur but étant de réduire les manifestations du bégaiement. « Le problème de ces thérapies demeure l’absence d’un effet durable, déplore Joumana Rizk Mokhbat. Il y a certes une amélioration des bégaiements, mais on note aussi un manque de spontanéité de la parole, puisque le patient est concentré sur le processus de la parole et sa forme au détriment de l’échange avec son interlocuteur. » Parmi ces méthodes dites rectificatrices, la technique progressive d’Ivan Impoco, lui-même bègue, est devenue populaire, « malgré ses nombreux détracteurs ». Violente, elle repose sur trois piliers : la maîtrise de son corps et de son esprit, l’expression de cette maîtrise dans une nouvelle attitude de confiance en soi et la technique Impoco qui consiste à articuler moins et à contracter les muscles du bras à chaque syllabe. Le patient, défini par Impoco comme « incertain oral », passe ainsi la tension de la bouche au bras. Et les bègues qui suivent cette méthode sont toujours en train de scander les syllabes (certainement = cer-tai-ne-ment). « C’est une méthode qui vise à faire prendre conscience à la personne qu’elle est bègue, qu’elle le restera et qu’elle ne pourra rien faire vis-à-vis de cela, explique Joumana Rizk-Mokhbat. À partir du moment où la personne accepte ce fait, elle va développer des stratégies pour comprendre. » Une deuxième technique, baptisée DAF (Delayed Auditory Feedback ou retour auditif retardé) et FAF (Frequency Shifting Auditory Feedback), a été développée aux États-Unis. Cette technique consiste à utiliser des machines électroniques qui enregistrent la voix à partir d’un micro et la renvoient dans les écouteurs après avoir été retardée d’une fraction de seconde (DAF) ou modifiée en fréquence (FAF). Cette technique permet d’atténuer le bégaiement, mais son effet cesse dès qu’on retire l’appareil. « L’idéal serait d’associer ce genre d’appareils avec des thérapies de rééducation ou de prise de conscience des problématiques et des symptômes », observe Joumana Rizk Mokhbat. D’autres thérapies cognitivo-comportementalistes consistent à analyser des comportements inadéquats, des pensées, des émotions qui accompagnent les bègues dans les différentes situations de langage. Favoriser la communication Les parents ont un rôle important à jouer dans la prise en charge des enfants bègues, parce que la manière dont l’environnement va envisager le bégaiement va permettre à l’enfant de se concentrer ou pas sur son trouble. « Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre le problème en compte, insiste Joumana Rizk Mokhbat. La fausse indifférence n’est pas non plus la bonne attitude. On conseille toujours aux parents de favoriser la communication, parce que ce que l’enfant a à dire est plus important que la manière dont il le dit. Il faut éviter de lui faire répéter les mots. Il s’agit plutôt de l’aider en lui posant des questions. On n’a pas besoin non plus de parler à sa place ou d’attendre pendant des heures que le mot sorte parce qu’on ne veut pas parler à sa place. Il faut rester spontané autant que possible. La tâche n’est pas pour autant facile. » Peut-on en guérir ? « Oui, d’où la nécessité d’une intervention précoce, assure Joumana Rizk-Mokhbat. Chez certains enfants, le bégaiement a complètement disparu. L’important, c’est de savoir que quand on achoppe, on n’est pas forcément redevenu bègue ni on est en train de bégayer, mais que cela appartient à la parole normale. Cela est essentiel. » * Pour plus d’informations, visiter le site web de l’Association libanaises des orthophonistes à l’adresse: www.orthophonistes.net.
Buter sur nos paroles lorsque nous sommes émus ou fatigués est une chose normale que nous rencontrons tous lors d’une conversation. Ce qui est anormal, c’est lorsque ces achoppements deviennent répétitifs et qu’ils durent. On parle alors de bégaiement, un trouble qui affecte 1 % de la population mondiale, principalement les hommes. Quelles sont les causes de ce trouble ? Quand...