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L’article 302 du code pénal turc sanctionne l’évocation du génocide arménien et des droits des Kurdes La liberté d’expression, une condition préalable à l’adhésion d’Ankara au club des Vingt-Sept

En Turquie, évoquer des sujets « controversés », comme le génocide arménien ou les droits de la population kurde, est interprété comme une « insulte » à l’identité nationale et peut être sanctionné d’une peine de prison, en vertu de l’article 301 du code pénal turc. Une soixantaine de personnes, dont de nombreux intellectuels, ont été poursuivies pour ces motifs en près de deux ans. La Commission européenne sur l’élargissement de l’UE et plusieurs organisations internationales des droits de l’homme, qui estiment que cet article est une menace directe à la liberté d’expression en Turquie, ont posé son amendement ou son abrogation comme condition préalable à l’adhésion d’Ankara au club des 27. Intitulé « Humiliation de l’identité turque », l’article 301 sanctionne de trois mois à six ans de prison « quiconque insulte ouvertement le gouvernement de la République de Turquie ou les institutions judiciaires, militaires ou sécuritaires de l’État ». Un article dont les organisations de défense des droits de l’homme considèrent qu’il constitue une menace grave à la liberté d’expression en Turquie, notamment en raison de ses termes vagues et généraux. Ne faisant pas de distinction entre la « critique » et le « dénigrement », cet article, selon Amnesty International, entraînera des interprétations arbitraires de la part des juges et des procureurs. L’ancien ministre turc de la Justice, Cemil Cicek, a lui-même déclaré que toute la question se réduit à l’interprétation des textes de lois. L’article 301 du code pénal turc a été introduit dans le cadre des réformes législatives du 1er juin 2005. Depuis cette date, plus de 65 personnes, dont de nombreux journalistes, écrivains et défenseurs de droits de l’homme, ont été poursuivies en vertu de cet article. La plupart de ces personnes ont été condamnées pour avoir ouvertement critiqué la Turquie sur des dossiers « controversés », comme le génocide arménien, la question kurde ou la corruption au sein de l’armée. Ainsi, le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk, a été poursuivi pour avoir accusé la Turquie d’avoir tué 30 000 Kurdes et un million d’Arméniens, et dénoncé le silence de la société turque sur ces « massacres ». Hrant Dink, le célèbre journaliste d’origine arménienne, abattu par un adolescent proche des milieux ultranationaliste en janvier 2007 devant les locaux de l’hebdomadaire bilingue Agos pour lequel il travaillait, avait également été poursuivi en vertu de l’article 301. Les prises de position de Hrant Dink, qui militait pour une réconciliation entre Turcs et Arméniens, lui avaient valu plusieurs procès et une condamnation de six mois de prison avec sursis pour « dénigrement à l’identité turque ». Son fils, Arat Dink, a lui aussi été récemment poursuivi en vertu de ce même article. Il a été condamné en octobre 2007 à un an de prison avec sursis pour avoir reproduit dans Agos un entretien accordé par son père à une agence de presse dans lequel il déclarait que les massacres d’Arméniens commis entre 1915 et 1917 en Anatolie constituaient un génocide. Critiquer l’institution militaire constitue également une « insulte à l’identité nationale ». En juin 2005, l’ancien lieutenant dans l’armée turque, Murat Pabuc, a publié un livre dans lequel il décrit la corruption institutionnelle au sein de l’armée et considère que les soldats suivent les ordres de leurs supérieurs sans réfléchir. En conséquence, il a été poursuivi pour « dénigrement public de l’armée ». Lors de son premier discours en tant que président de la Turquie devant le Conseil de l’Europe, Abdullah Gül a reconnu que l’article 301 du code pénal turc posait problème et s’est déclaré partisan d’une modification de cette loi, vivement critiquée par l’Union européenne. Dans ses rapports annuels sur la Turquie, la Commission européenne sur l’élargissement souligne constamment la nécessité pour Ankara d’avancer sur la situation de la liberté de la presse. Dans la conclusion du rapport de 2006, l’UE indique que « le cadre juridique actuel ne garantit pas encore la liberté d’expression de façon conforme aux normes européennes. (…)  L’article 301 de même que d’autres dispositions du code pénal turc restreignant la liberté d’expression, doivent être mis en conformité avec la convention européenne des droits de l’homme », dont la Turquie est signataire. Dans leur prochain rapport, qui doit être publié demain, les Européens vont très probablement réitérer leur appel en faveur d’un amendement de l’article controversé. Désormais, de plus en plus de pays européens, dont la France, qui sont opposés à l’entrée d’Ankara dans l’UE, estiment que la reprise des négociations d’adhésion avec la Turquie est peu probable tant que Ankara ne renonce pas à la lecture négationniste de son passé et ne favorise pas la liberté d’expression. R. M.
En Turquie, évoquer des sujets « controversés », comme le génocide arménien ou les droits de la population kurde, est interprété comme une « insulte » à l’identité nationale et peut être sanctionné d’une peine de prison, en vertu de l’article 301 du code pénal turc. Une soixantaine de personnes, dont de nombreux intellectuels, ont été poursuivies pour ces motifs en...