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Actualités - OPINION

Le dialogue, au Parlement, en Suisse, en France… et à Bkerké Trois conditions minimales de la politique du compromis Par Antoine MESSARRA*

Des médiateurs internationaux et des forces, personnalités et organisations libanaises recherchent dans les conjonctures actuelles, internes et externes, du Liban un compromis qui assurerait l’unité interne, la paix civile et (ce qui est moins évident) l’indépendance et la souveraineté du Liban. Les conditions du compromis dans un système consensuel de gouvernement, suivant la conception scientifique et constitutionnelle comparative et les limites juridiques de l’article 65 de la Constitution libanaise, et non suivant une terminologie polluée (tawâfuqiyya) actuellement en cours, sont-elles remplies ? Trois conditions minimales méritent d’être relevées : 1) L’équilibre des rapports de force : un fort déséquilibre est manifeste. Il y a d’une part une force politico-militaire, surarmée suivant ses propres déclarations, et directement liée par sa stratégie à une alliance régionale. Il y a, à l’opposé, d’autres forces politiques formées à la suite de l’attentat militaire terroriste du 14 février 2005 contre le président Rafic Hariri, la révolution du Cèdre ou printemps de Beyrouth. Les forces issues du 14 février 2005 (attentat contre le président Hariri) jouissent du soutien gouvernemental (bien qu’amputé), de la légitimité (même formelle), du soutien arabe et international, de la légitimité internationale à travers toutes les résolutions de l’ONU depuis 2005 et d’une large légitimité populaire (bien que contestée). D’une part donc la force armée parallèle à l’État et, de l’autre, la politique. 2) La référence minimale à une culture de légalité : y a-t-il un référentiel minimal de légalité qui rende le compromis équilibré, acceptable, sans vainqueur ni vaincu ? Le droit comporte deux composantes : son contenu et ses procédures. Dans les pires moments des guerres en 1975-1990, la Constitution libanaise, dont on réclamait la modification substantielle, servait toujours de référentiel procédural, par attachement au principe de légalité qui fonde une société. Le contenu peut être contesté, mais la procédure ou recours aux moyens qu’il dispense montre que la société, bien qu’en situation hautement conflictuelle, est attachée à des valeurs fondatrices, des valeurs républicaines sécurisantes en vue d’un règlement négocié et non imposé. Or, que montre la situation au Liban depuis l’attentat terroriste du 14 février 2005 ? On relève d’une part une résistance politique en faveur des procédures juridiques quant à la démission et continuité des gouvernements, la continuité de la vie parlementaire, et la stricte observation des échéances et délais qui fondent la légitimité des gouvernants. De l’autre bord, on relève un ensemble de moyens de nature putschistes : boycott par le chef de l’État de l’activité gouvernementale, boycott du Parlement par des députés pourtant élus pour faire leur travail, des discours putschistes, publiquement, avec assurance, détermination et un regard revolver (pas du tout séduisant) et un doigt ciblé comme menace à l’encontre du gouvernement en place, avec des expressions comme : « anqaliyû » (qu’ils déguerpissent) et d’autres expressions contre le chef du gouvernement : « Il n’aura pas le temps de rassembler ses petites affaires » (qalâqîshû). On relève encore comme non-droit (ce qui est pire du fait que l’illégalité renferme un référentiel juridique) les propos, déclarations et attitudes concernant le tribunal international pour mettre un terme, même symbolique, à l’assurance – impunité depuis 1975, et surtout depuis la série d’attentats terroristes et tentatives d’attentats en 2005-2006. L’un déclare publiquement à la télévision qu’il rabat le tribunal aux « semelles de ses souliers » (sirmaytî). 3) La disposition culturelle au compromis : c’est là une troisième condition minimale, qui n’est pas aujourd’hui remplie, en vue d’un règlement négocié, acceptable, sans vainqueur ni vaincu. Le Libanais, par nature, a une propension naturelle au compromis allant jusqu’à la compromission. Tout se dilue dans une vision accommodante de la vie. Il a fallu beaucoup d’efforts en Irlande du Nord, en Afrique du Sud… pour introduire une culture d’accommodation, alors que la culture dominante est dans ces pays plus compétitive (compétition) que coopérative. Les traditions d’accommodation, même à outrance (Politics of Accommodation, suivant l’expression d’Arent Lijphart à propos des Pays-Bas), sont ultradéveloppées au Liban. Pourquoi ce n’est plus le cas aujourd’hui ? Malheureusement ou heureusement ? Au cours de trois rencontres de dialogue organisées en avril-septembre 2007, au Mont-Pélerin (Suisse), je relève cette expression si éloquente d’une participante : « Pas de retour en arrière ! » D’autres l’expriment avec des élans d’une haute humanité : et le sang des martyrs depuis 1975 ? Et l’attentat contre le président Hariri ? Et les attentats contre des députés du printemps de Beyrouth, contre Samir Kassir, Gebran Tuéni… jusqu’au jeune Charles Chikhani ? Et les morts de l’armée libanaise à Nahr el-Bared ? Allons-nous, enfin, « mériter » (nastahiq) nos martyrs, comme le souligne Mgr Élias Audeh lors de la cérémonie de commémoration de la mort de Gebran Tuéni. Liban d’abord… et enfin ! En 1990, une chanson patriotique scandait : « Dites au moins une fois non ! » (Qulû shî marra lâ). Distinguer entre compromis (que le sociologue allemand George Simmel qualifie de « la plus grande invention de l’humanité ») et compromission a coûté cher aux Libanais et des siècles de sacrifice et de souffrance. Internaliser et pacifier Dans un tel contexte de « pas de retour en arrière », de démence au sens clinique d’un certain leadership politique, et de subordination régionale d’autres politiciens en armement et argent, et en opposition avec les résolutions internationales de l’ONU, trois perspectives sont ouvertes, nécessaires et urgentes de la part de tous les États qui soutiennent le Liban dans son combat, et de la part des forces politiques et sociales internes qui œuvrent pour l’indépendance et la souveraineté : 1) Internaliser autant que possible le conflit : une des conclusions pratiques de la rencontre au Liban, les 23-24 mars 2007, sous la direction de M. Regis Debray, était d’élargir autant que possible la dimension interne du conflit, d’internaliser autant que possible la crise par le renforcement de la base constitutionnelle procédurale et des valeurs républicaines polluées par le juridisme contraire au droit. 2) Promouvoir la paix civile et l’immunité : face à des menaces, réitérées et publiques, émanant de responsables syriens, face à la guerre israélienne du 12 juillet 2006, aux menaces explicites : « Al-tawâfuq (consensus sur la présidence) sinon le chaos », aux manipulations de toutes sortes depuis le retrait de l’armée syrienne pour rendre le système politique libanais ingouvernable, en transformant les pathologies des systèmes consensuels de gouvernement en normes de gouvernance, face à plus de vingt tentatives depuis 2005, dont le dimanche 5 février 2006, pour recréer un nouveau 13 avril… il faut protéger la paix civile, renforcer l’immunité des Libanais contre les guerres internes. Stratégie de mémoire et de moyens à développer. On avait pensé qu’après 1975-1990, il n’y aurait plus au Liban des aventuriers internes (mughâmirîn) dont le comportement frôle la démence au sens clinique ou des parieurs (muqâmirîn) sur l’extérieur contaminés par la contagion israélienne de la foi exclusive dans la force. Tout a été pourtant essayé au Liban qui a toujours été, durant 6 000 ans d’histoire, un piège plutôt qu’une carte, et un bourbier et labyrinthe pour tous les aventuriers et parieurs. 3) Œuvrer en vue des conditions minimales du compromis : après avoir bafoué le principe de légalité, bafoué la notion de « tawâfuq » (consensus) et perturbé en profondeur la légalité minimale procédurale, il faudra œuvrer en vue d’un compromis sans compromission, limité, conjoncturel, régulé, et sans de gros impacts sur la nature de l’entité libanaise et le système parlementaire. * * * Le compromis devient possible avec le retour aux procédures constitutionnelles lesquelles sont la garantie de la continuité des antagonistes eux-mêmes. Ces derniers seront, de diverses manières, hors du jeu et en débâche si l’échéance présidentielle n’a pas lieu, avec l’existence de deux gouvernements et des pouvoirs de fait. De tels propos et attitudes ont porté un participant étranger, après avoir écouté divers points de vue au cours d’une rencontre de dialogue, à dire, discrètement et en aparté : « C’est une autre… culture ! » Appelez cette culture « wilâyat al-fakih » suivant une interprétation déterminée, ou folie du pouvoir, ou protection des assassins… cela n’a pas d’importance. C’est en discordance absolue avec le principe élémentaire de légalité. La chance et l’espoir est que cette « culture », née de la praxis environnante (on sait en psychologie que la victime tend à imiter le bourreau) est imposée, étrangère au Liban, dangereuse pour tous. Les Libanais sont confessionnels, sectaires, clientélistes, individualistes… ce que vous voulez, mais 6 000 ans d’histoire en font un peuple avide de liberté dans un environnement théocratique, sioniste et d’arabisme des prisons, et non l’arabité de la renaissance arabe et de l’avenir. (*) Professeur, coordonnateur des programmes de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente. Article paru le mardi 30 octobre 2007
Des médiateurs internationaux et des forces, personnalités et organisations libanaises recherchent dans les conjonctures actuelles, internes et externes, du Liban un compromis qui assurerait l’unité interne, la paix civile et (ce qui est moins évident) l’indépendance et la souveraineté du Liban.
Les conditions du compromis dans un système consensuel de gouvernement, suivant la...