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Actualités - CHRONOLOGIE

Joseph Hatem dresse l’historique de l’organisme étatique Le Laboratoire central, de longues années d’efforts soutenus et pluridisciplinaires pour préserver la santé du citoyen

À la suite de la polémique suscitée par la décision prise récemment d’abolir le Laboratoire central, le Dr Joseph M. Hatem, qui fut pendant de longues années, avant et pendant la guerre, directeur du Laboratoire central, dresse un tableau de l’historique de cet organisme, de ses multiples réalisations dans différents domaines pour préserver la santé du citoyen et les realtions qu’il a tissées avec des organismes analogues internationaux et régionaux au fil des ans. Le Laboratoire central de santé publique a été inauguré en avril 1958, en présence du président Camille Chamoun. En fait, le laboratoire avait commencé ses activités plus d’un an plus tôt, ce qui a permis au président d’admirer non seulement le bâtiment et les installations, mais aussi de s’informer de ses activités. L’ambassadeur des États-Unis était aussi présent, car cette réalisation était le résultat d’un projet commun entre le gouvernement libanais et une assistance américaine, connue alors sous le nom de Point IV du plan Marshall. La réalisation du projet fut confiée au Dr Élias Hayek, diplômé de Harvard, qui y consacra toute sa carrière. Le Laboratoire central a été institué par une loi qui le rattachait au ministère de la Santé, dont il devint la troisième direction. La particularité de cette loi, qui assura le développement du nouvel organisme, fut l’indépendance financière. Une autre particularité fut une échelle de salaires spécifique et une prime de technicité qui attirèrent un personnel scientifique et technique de qualité. La beauté du bâtiment ne cachait pas l’importance de l’infrastructure : un générateur central de gaz propane, production d’eau distillée, chauffage central et eau chaude courante, chambres froides, chambres étuves, incinérateur, atelier, générateur de secours, animalerie. Le dépôt avait une réserve de matériel consommable ; il fournissait également produits et matériels aux laboratoires des hôpitaux gouvernementaux. Enfin, dans la bibliothèque, tout le monde pouvait consulter une centaine de revues et de nombreux livres sur les sujets relatifs aux activités du laboratoire. Le laboratoire était une belle réalisation dont les Libanais pouvaient être fiers et qui était la première du genre au Moyen-Orient. Le personnel scientifique – chefs de service, chefs de laboratoire – était composé de médecins, de médecins vétérinaires et de pharmaciens, tous spécialisés aux États-Unis dans les différents domaines de la microbiologie, la chimie et l’anatomie pathologique. Trois des membres furent nommés professeurs à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph et inscrits au tableau des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour mémoire, je me dois de citer les noms du personnel scientifique qui a mis en marche ce laboratoire : – les médecins Nagib Taleb, Joseph Hatem, Sahl Mourad et Edgar Gédéon ; – les médecins vétérinaires Kamal Arab et Moustafa Khaled ; – les pharmaciens Fouad Stéphan, Sami Naaman et Nadim Khallouf. Activités et rôle Un Laboratoire de santé publique est un élément indispensable dans la protection de la santé. Il travaille de concert avec les autres départements du ministère de la Santé et aussi avec les ministères de l’Agriculture (aliments) et de l’Industrie (médicaments), les Offices des eaux, les hôpitaux et les municipalités. Ce qui fut fait tout au long de son exercice. En chiffres absolus, la plus grande activité du laboratoire fut l’analyse de l’eau. Des centaines de milliers d’analyses bactériologiques furent réalisées. Les résultats positifs (eaux polluées) étaient immédiatement transmis aux autorités compétentes qui devaient entreprendre les mesures nécessaires. À titre d’exemple, une épidémie de fièvre typhoïde à Hadeth fut tracée à la contamination de l’eau de distribution. De plus, grâce aux analyses chimiques, le laboratoire possédait un répertoire complet de la composition des sources du pays. Hygiène alimentaire Une activité tout aussi fondamentale était l’analyse chimique et bactériologique des aliments. Le laboratoire était alerté en cas d’intoxication alimentaire collective. Les résultats de ces enquêtes furent publiés dans les revues médicales locales. En relation avec la consommation d’aliments contaminés, l’épidémie de charbon intestinal est un exemple type de l’importance du Laboratoire de la santé. De nombreux cas « d’abdomens aigus » observés par le Dr Antoine Ghossain dans la Békaa et restés, pendant des mois, sans diagnostic étiologique, furent découverts par le Laboratoire central comme étant provoqués par le bacille du charbon (bacillus anthracis), bactérie d’origine animale transmise à l’homme par la consommation de viande crue contaminée. Cela a permis au ministère de l’Agriculture d’éradiquer la maladie animale par les mesures appropriées et, par conséquent, la maladie humaine. Psittacose-ornithose Un cas de pneumonie atypique chez un soldat fut diagnostiqué par nos soins comme « psittacose-ornithose », maladie des oiseaux transmise à l’homme par voie aérienne. Ce fut le point de départ d’une enquête qui dura de 1964 à 1966. On décela 20 cas de la même maladie, encore jamais diagnostiquée au Liban ni dans les pays voisins. Choléra La pandémie de choléra El Tor arriva au Liban durant l’été 1970. Plus de 100 cas furent répertoriés avec une mortalité de 11 %. Le Laboratoire central fut le pivot de la détection et de la prévention de cette épidémie, au niveau national et régional. Des ateliers de travail eurent lieu au laboratoire pour la formation du personnel technique des pays voisins, où nos scientifiques furent envoyés comme experts. C’est au cours de cette pandémie que l’un de nous fut envoyé en mission en Libye afin de débloquer de la douane des fruits importés du Liban. Il fallait convaincre les autorités libyennes que ces fruits n’étaient pas porteurs de choléra. Ce qui fut fait. Entre-temps, les poires avaient pourri, mais les pommes avaient résisté. Grippe Le laboratoire fut en mesure d’isoler des virus grippaux au cours de l’épidémie de 1969. Les souches isolées furent envoyées à l’OMS pour confirmation. Le laboratoire participa aussi à d’autres études sur les virus respiratoires, sous l’égide de l’OMS. Rage Dès 1969, le Laboratoire central était capable de diagnostiquer la rage par des techniques de laboratoire de pointe, une première dans la région, à tel point que des cerveaux d’animaux nous étaient envoyés des pays voisins. Un cerveau de chameau fut même trouvé positif. Hépatite De nombreuses études sur les hépatites furent établies par le Laboratoire central. En 1970, un an après la découverte de l’antigène « Australia » par Blumberg et alors que les réactifs n’étaient pas encore disponibles commercialement, et grâce à l’amabilité de la Banque de sang nationale à Paris, nous avons pu procéder à la première étude au Moyen-Orient sur le taux de portage du virus de l’hépatite B au Liban, taux de 3,2 %, plus tard corrigé à la baisse par des techniques plus spécifiques. Le Liban fut proposé en 1979 comme centre de référence sur l’hépatite, mais la guerre en avait décidé autrement. Poliomyélite C’est une longue histoire qui débute avec ma participation officielle au 2e congrès mondial sur la poliomyélite tenu à Genève en juillet 1957. Depuis, de nombreuses études furent publiées, parfois en collaboration avec l’hôpital de l’Université américaine. Devant l’augmentation progressive et inquiétante de l’épidémie, nous avions décidé d’adresser en 1962 une lettre au ministre et au directeur de la Santé leur demandant de procéder sans délai à la vaccination antipolio. Nos vœux ne furent réalisés que durant l’été 1969, lorsque la situation devint catastrophique (plus de 300 cas) et grâce à la diligence du ministre Khatchig Babikian. Une campagne bien organisée à l’échelle nationale arrêta l’épidémie. Depuis, et grâce à la vaccination, la poliomyélite est pratiquement éradiquée au Liban. Plusieurs publications sur ce sujet parurent dans les revues locales et étrangères. Diagnostic du cancer Le service d’anatomie pathologique fonctionna à partir de 1963, mais dû arrêter ses activités en 1975 faute de personnel médical. Les biopsies prélevées dans les hôpitaux gouvernementaux étaient étudiées par d’éminents spécialistes ; de même pour les frottis, pour la détection du cancer du col de l’utérus. Ce service institua, avec l’OMS, le premier registre du cancer au Liban ; il fut le premier à présenter des statistiques fiables sur les lymphomes, les cancers de la vessie et le cancer du sein ; il organisa aussi de nombreuses conférences en association avec la Société libanaise du cancer. En fait, la bibliothèque du laboratoire était devenue le lieu privilégié de conférences données par les chefs de service ou par des invités. Médicaments Une première fut le contrôle des médicaments fabriqués localement ou importés ; l’OMS et le ministère avaient beaucoup investi dans ce projet qui aurait eu une importance régionale, n’étaient-ce les événements sur la scène locale. Publications Au cours de sa période active, surtout entre 1957 et 1977, les chefs de service du laboratoire ont eu à leur actif plus de 50 publications scientifiques dans les revues spécialisées locales et internationales. Relations internationales Le Liban, étant membre de l’OMS, fait partie de la région Méditerranée orientale (EMRO) dont le siège est à Alexandrie. À ce titre, la collaboration du Laboratoire central avec Alexandrie était très étroite : mise à jour des techniques, échanges d’informations scientifiques et techniques, stages de formation pour les techniciens, initiation à de nouvelles techniques, participation à des congrès, des séminaires et des colloques, fournitures de certains réactifs biologiques, de souches de bactéries et de virus, utilisation des centres de référence et octroi de matériel. Trois membres de notre personnel scientifique étaient inscrits au tableau des experts de l’OMS. À ce titre, ils pouvaient être consultés ou envoyés en mission, ce qui fut le cas pour une mission au Yémen, au Cambodge, en Iran. D’autres relations existaient aussi avec l’Unicef, l’Unrwa, le PNUD, des sociétés scientifiques et des laboratoires nationaux. Évolution La guerre libanaise eut évidemment un effet néfaste sur les activités du laboratoire. Plus d’une fois, le personnel ne pouvait arriver sur les lieux de travail, les coupures d’électricité arrêtaient les frigos et les congélateurs, faisant perdre les réactifs biologiques. Et à chaque fois, on recommençait. Le coup de grâce fut porté par l’invasion israélienne, le laboratoire ayant été touché par plusieurs obus. Après le retrait israélien, le gouvernement suisse prit à sa charge la réhabilitation du laboratoire et le don d’un générateur de 600 KVA ; l’OMS offrit un nouveau matériel. Une nouvelle inauguration eut lieu. Mais le charme était rompu. Les scientifiques démissionnaient ou partaient à la retraite. D’autres étaient décédés. Il n’y avait personne pour les remplacer. Le laboratoire fut « lâché » et abandonné à son sort, pour une lente agonie, sans personnel et sans ressources. On connaît la suite. Ce qui fut le joyau du système de santé libanais devenait des murs sans âme. Lorsqu’il fut décidé de fermer le laboratoire, on avança le prétexte des microbes dangereux et des coûts exorbitants. À noter que toutes les analyses étaient gratuites. Prétendre au danger des microbes, c’est une bonne blague à laquelle on ne peut s’arrêter. Dire que les prestations actuelles de ce laboratoire ne sont pas à la hauteur de leur coût, c’est méconnaître la valeur inestimable du rôle du laboratoire dans un système de santé. Les quelques exemples cités plus haut en sont une preuve flagrante, car ces services ne se mesurent pas en dollars. Peut-on chiffrer en monnaie la détection d’une épidémie ? L’éradication d’une maladie ? Le danger des eaux polluées ? Des aliments impropres à la consommation ? Des médicaments frelatés ? Des dangers de la pollution ? Il est facile de fermer une institution. Mais qui va remplir les fonctions dévolues à ce laboratoire. A-t-on prévu sa succession ? Va-t-on privatiser ces activités ? Pour nous, un Laboratoire de santé est indispensable dans un système de santé cohérent et efficace, et c’est ce que l’on constate dans les pays du monde entier. La solution est non seulement de rétablir le Laboratoire central dans ses fonctions originelles, mais aussi de le restructurer et de le développer. Il faudra peut-être des années pour engager et former de nouveaux cadres scientifiques et techniques et assurer un matériel modernisé. Mais l’État doit s’atteler à cette tâche. Il n’y a pas d’autres solutions pour préserver la santé du citoyen. Le Dr Joseph M. HATEM Ancien directeur du Laboratoire central
À la suite de la polémique suscitée par la décision prise récemment d’abolir le Laboratoire central, le Dr Joseph M. Hatem, qui fut pendant de longues années, avant et pendant la guerre, directeur du Laboratoire central, dresse un tableau de l’historique de cet organisme, de ses multiples réalisations dans différents domaines pour préserver la santé du citoyen et les...