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Actualités - OPINION

Impression Bonnes nouvelles

Après un an de galère dans la crise de la presse écrite, le quotidien Libération a pris une décision drastique. Désormais, il éviterait les sujets angoissants et se tournerait vers une information « énergétique, constructive et rafraîchissante ». Voilà qui nous renvoie à nos miroirs, beaux miroirs. Sauf le respect dû aux abonnés de la presse libanaise, force est de constater ici, tout en la saluant, leur assiduité masochiste. Car il faut désormais bien plus qu’un café pour faire passer le sinistre faire-part qui leur est servi au saut du lit. Nous en sommes les premiers consternés. Peut-on faire un journal de bonnes nouvelles ? Dans un pays aussi sensible que le Liban, quand une nouvelle est bonne pour les uns, elle est forcément mauvaise pour les autres. En revanche, une mauvaise nouvelle est mauvaise pour tout le monde. Aussi, nous y gagnons en crédibilité. Sachant que le lecteur a pris depuis longtemps le pli de ne s’attendre qu’au pire, il suffit de lui annoncer la fin du monde, prochaine de préférence, pour qu’il lise nos articles comme des prophéties et salue en nous des visionnaires. Avec ceci, qu’avons-nous à écrire de valable ? Une seule question taraude pour l’instant le public : Y a-t-il un président de la République dans notre boule de cristal ? Objectifs par déontologie, nous y voyons clairement… de la fumée. Beaucoup de fumée, vous dis-je. Cette information est à prendre au sérieux. Elle vient de source sûre. Le bon sens nous dicte qu’il y aura évidemment une élection présidentielle. Dans trois jours, dans un mois, dans un an, nous aurons un président. Après maintes crises vaines, nous aurons un président. Comme, par le passé, nous manquerons des occasions, nous gaspillerons de la salive et du temps, des énergies précieuses, peut-être des vies, mais nous aurons un président. Pour en faire quoi ? Luxe dérisoire, pour faire comme tout le monde, comme tous les pays et les peuples du monde. Nous n’aspirons qu’à la normalité. En matière de bonnes nouvelles, il en est une que je tiens de mon éducation chrétienne. À l’âge d’innocence, on m’affirma que Dieu renonçait à être une idole en colère. Il habiterait le visage des hommes, il serait aimé dans l’amour qui leur serait porté. J’ai bien vu que j’étais un atome dans le corps infini de Dieu, et cette appartenance m’a rassurée. Le deuxième alinéa de la bonne nouvelle indiquait que j’étais libre. Que mon existence n’était pas déterminée par un sort scellé d’avance et que j’avais pour mission d’en tirer le meilleur parti, sans autre consigne que l’amour du prochain. Cette bonne nouvelle vaut-elle ses 2 000 LL de papier recyclé sur huit pages recto verso, dont deux polychromes ? Traduite en politique, cette nouvelle signifie que chacun de nous est une cellule dans le corps « ogresque » de la patrie, et qu’aucun de nous ne peut prétendre vivre sur cette terre en ignorant l’autre. Cette nouvelle signifie aussi que si Dieu lui-même nous a affranchis de l’idolâtrie, ce n’est pas pour que nous allions idolâtrer des chefs. Encore moins que nous sacrifiions nos vies pour la leur. Cette nouvelle signifie enfin que votre journal, lui, ne contient aucun présage, aucun malheur joué d’avance, aucun désastre inéluctable. Est-il suffisamment « constructif, énergétique et rafraîchissant » de réaffirmer simplement que nous sommes libres, que l’avenir est ce que nous en faisons et qu’il est de notre devoir de sanctionner ceux qui nous mènent, plutôt que de nous plier à leurs caprices ? Ou de creuser sous leur férule les cimetières qu’ils nous donnent pour cités ? Avec votre café, ce matin, vous avalerez une fois de plus en gros titres les toxines du jour. Vous répéterez, un peu plus lourds que la veille les gestes quotidiens. Mais il sera bon (constructif, énergétique et rafraîchissant) de croire que, d’une façon ou d’une autre, il ne tient qu’à vous que certaines choses au moins changent. Fifi ABOU DIB
Après un an de galère dans la crise de la presse écrite, le quotidien Libération a pris une décision drastique. Désormais, il éviterait les sujets angoissants et se tournerait vers une information « énergétique, constructive et rafraîchissante ». Voilà qui nous renvoie à nos miroirs, beaux miroirs. Sauf le respect dû aux abonnés de la presse libanaise, force est de...