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Actualités - OPINION

L’ère des milices est-elle révolue ? II - L’armée à l’heure de la présidentielle

Machiavel dans Histoires florentines et Ibn Khaldoun dans al-Moukadima disent que les victoires et les défaites obtenues par des mercenaires ne sont jamais définitives et ne sont pas, à quelques exceptions, fondatrices de périodes stables (voir L’Orient-Le Jour du vendredi 19 octobre 2007). Je ne qualifie pas les milices libanaises de mercenaires, mais je relève quand même le parallèle entre les situations d’exception qui précèdent, accompagnent et suivent le règne des milices et des mercenaires, si ce n’est, au moins, l’absence d’une armée forte reconnue comme nationale et impartiale. Plus encore, si je n’accrédite pas personnellement la confusion entre milices et mercenaires, ne sont-elles pas perçues ainsi par leurs adversaires ? Les opposants au Hezbollah ne désignent-ils pas ses combattants comme des mercenaires au service de l’Iran ? Les Forces libanaises, pendant la guerre, n’étaient-elles pas considérées par leurs ennemis comme des mercenaires à la solde d’Israël ? En Irak, le proconsul Paul Bremer eut la brillante idée de dissoudre l’armée. Celle des États-Unis, à court de moyens, fit appel à des sociétés privées de sécurité (140 000 combattants !) euphémisme pour ne pas utiliser le mot dégradant de mercenaires. Quelles victoires éclatantes ont remporté ces supplétifs sur les insurgés irakiens ? Le vécu des Libanais, et ce qu’ils constatent dans la région, est-il suffisant, surtout pour les jeunes qui n’ont pas connu le règne des milices, pour les persuader de rééditer les exploits des années noires ? C’est ici qu’intervient un nouvel élément qui peut être déterminant. La victoire de l’armée sur les terroristes de Nahr el-Bared. Au commencement de la bataille, des esprits chagrins pariaient sur la dislocation de l’armée. D’autres, plus malins, prétendirent que le camp était une ligne rouge à ne pas franchir. Non seulement l’armée tient bon, mais la seule ligne rouge fut le flot de sang qui coula des corps des militaires lâchement assassinés le premier jour et qu’il fallait venger à tout prix pour rendre justice aux martyrs. L’esprit de corps s’avéra plus fort que tous les clivages confessionnels et politiques. Plus les soldats tombaient, plus leurs camarades se serraient les coudes. Des officiers moururent autant que des soldats. On vit des soldats blessés revenir sur le champ de bataille alors qu’ils tenaient à peine sur leurs jambes. Cette attitude de la troupe n’est pas inédite. Une enquête menée par le psychanalyste anglais Henry Dicks auprès de mille soldats allemands prisonniers des Alliés à Cherbourg en 1944 démontra que seuls 11 % des soldats appartenaient au parti nazi. Et pourtant l’armée allemande continua à se battre avec la même détermination jusqu’aux dernières semaines précédant la capitulation(1). De sombres augures prétendirent que si un nouveau front venait à s’ouvrir ailleurs, l’armée s’écroulerait. Mais en politique il n’y a pas de si et un autre front ne s’est pas ouvert. S’il existe encore des doutes sur la préférence des Libanais pour une armée nationale au détriment des milices, il n’est qu’à voir, malgré les honteuses récupérations publicitaires des grands acteurs économiques, l’enthousiasme des citoyens pour la troupe. Je voudrais à ce propos me référer à une enquête menée auprès des parents et des amis d’un soldat, habitant de Chiyah, qui conclurent que leur fils est aujourd’hui « aussi populaire que sayyed Hassan »(2) En définitive, un État ne se construit que si l’exclusivité de la coercition est accordée à l’armée. Même en Iran, les Gardiens de la Révolution et les Basiji relèvent de l’autorité du guide, la plus haute autorité de la République. Doute-t-on encore des capacités de l’armée ? Tiraillée entre son déploiement au Sud, le maintien de l’ordre à Beyrouth, la surveillance des frontières avec la Syrie, avec un armement désuet, elle s’est battue avec rage et succès contre des hommes surarmés, très bien entraînés, ne craignant pas la mort, dans les dédales tortueux d’un camp fortifié par des experts soviétiques quand l’OLP l’occupait encore. Pourtant, cette victoire comporte un danger. Si la classe politique ne lui reconnaît pas de façon unanime et sans faux-semblants (« La résistance sous l’égide de l’armée » et autres approximations) sa position unique dans le monopole de la coercition et si elle continue d’ignorer le sacrifice des soldats (je rappelle que pour chaque député assassiné, un jour de grève fut décrété alors que la mort de 170 soldats ne fut même pas saluée par une minute de silence !), l’armée risque de s’autonomiser pour défendre ce privilège. Forte de l’appui populaire, elle peut prétendre à jouer un rôle qui n’est pas le sien. L’arrivée de son chef à la tête de l’État à la suite d’un coup de force ou comme recours à l’ambiance délétère du bazar politique peut avoir des conséquences désastreuses sur la démocratie, aussi boiteuse qu’elle soit, au Liban. Je rappellerai que la première initiative du président Lahoud, élu à l’unanimité des députés et sous les vivats des Libanais, fut d’instaurer un bureau de plaintes au palais de Babdaa, bureau qui court-circuitait toutes les institutions juridiques du pays, pratique pour le moins démagogique et autoritaire. Aujourd’hui, le Liban est encore une fois à la veille d’une échéance cruciale. Si l’élection présidentielle ne devait pas avoir lieu, tout le processus politique risquerait de s’effondrer. Les institutions étatiques cesseraient de fonctionner normalement. Le sentiment d’appartenance et la confiance des citoyens dans leur État s’étioleraient de nouveau. Toutes les fées diaboliques se penchent sur le nouveau-né, c’est-à-dire la IIe République débarrassée de son régent syrien. Les forces centripètes communautaires sont à l’œuvre et la classe politique est dans l’incapacité de proposer une issue à la crise. Reste l’armée. Sera-t-elle à même de rétablir, comme le fit l’armée turque à trois reprises, l’ordre constitutionnel ? L’armée a-t-elle la capacité structurelle de le faire, sans qu’elle ne cède elle-même aux sirènes du communautarisme ? Et si elle réussissait, saurait-elle rendre le pouvoir aux civils ? Ce serait une première dans l’histoire des pays arabes. Est-on en droit de l’espérer ? Après tout, qui aurait jamais imaginé que plusieurs centaines de milliers de Libanais se retrouveraient sur une place publique, à plus d’une reprise, arborant le seul drapeau de leur pays ? Amine ISSA Agriculteur (1) Henry Dicks « German Personality traits and National-Socialist ideology », in revue Human Relation III page 112. (2) As-Safir du 01/08/07.
Machiavel dans Histoires florentines et Ibn Khaldoun dans al-Moukadima disent que les victoires et les défaites obtenues par des mercenaires ne sont jamais définitives et ne sont pas, à quelques exceptions, fondatrices de périodes stables (voir L’Orient-Le Jour du vendredi 19 octobre 2007).
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