Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Impression Monsieur le Président qui êtes dans les limbes,

Si, au jour prévu, vous voyez le jour, autant que vous le sachiez. Nous sommes quatre millions, dans ce sas entre deux mondes, sur cette scène obscure aux planches vermoulues, où les robinets crachent et le courant hoquète, quatre millions de personnages à attendre l’auteur qui leur donnerait l’eau, la lumière et la vie. Bien sûr, comme l’eût dit Flaubert, nous sommes vous. Inversement, sans nous vous n’auriez pas d’existence. De nous vous serez donc issu, sans plus de rhétorique. Aussi, vous nous connaissez bien. Dans toutes nos composantes, nous sommes un peuple de paix pour qui l’amitié n’est pas un vain mot. Cela pour dire que la guerre qui nous mine n’est pas notre guerre. Nous eûmes bien sûr des massacres identitaires, mais pour nauséeux ils ne furent que ponctuels. À part ces cas tragiques, jamais la haine n’a soulevé une partie de la population contre une autre. Tout le reste, on peut le dire, n’a été que batailles d’influence, épreuves de force entre partis rivaux, expéditions de milices étrangères pour mater les régions. Sinon, comme en Serbie, il y aurait eu des déportations et des viols collectifs, ou comme au Zaïre, des curées à la machette, corps à corps et les yeux dans les yeux. Comme à Chypre, le seul fait de sentir le voisinage de l’autre nous soulèverait de rancœur. Nous le savons, plus de trente ans plus tard et malgré les discours parfois haineux suscités par la peur, que l’ennemi n’est pas issu de nos rangs. Si tel était le cas, il aurait le courage, sinon l’obligation, de se montrer pour s’imposer en maître et monnayer sa nuisance. À défaut de quoi, il reste tapi dans l’ombre, force obscure déterminée à détruire gratis, pourvu que ce bon peuple n’ait jamais l’idée d’aspirer à la quiétude et que le voisinage profite bien de son abdication. Parlant d’abdication. Pour la seule faculté des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, le gorille chargé à l’entrée de la vérification des sacs m’a annoncé que j’étais la 10 000e à franchir le portail le jour de la rentrée universitaire. Cela m’a fait rêver. Combien alors pour l’Université libanaise ? L’AUB ? L’Université arabe ? L’USEK ? La LAU ? La Sagesse ? L’ALBA ? et les dizaines d’autres ? Combien dans les écoles ? Combien de familles dans ce marasme économique se saignent-elles pour assurer cet essentiel à leurs yeux, cette priorité absolue : l’instruction de leurs enfants ? Si ce n’est pas de la vitalité… Parlant de vitalité, ce n’est pas ici, Monsieur le Président, que vous trouverez le peuple qui ne montre qu’une seule tête ou s’exprime d’une même voix. C’est une foule d’individus turbulents et libres qui attendent de vous l’arbitrage d’un jeu, banal ailleurs et pourtant si dangereux sur leur terrain : la démocratie. Parlant de liberté, c’est dans ce terreau propice à l’énergie créative qu’a germé une race exceptionnelle – des mutants, dit mon amie Carla. Un peuple qui a appris à survivre en toute situation et qui tire de cette force une fierté que nul ne lui disputerait. Un peuple meurtri mais qui tient par l’âme, encore capable, malgré sa lassitude, de porter une flamme en mémoire d’un jeune homme fauché par le terrorisme. Une bougie pour Charles, procession dans la ville morte-vivante. Pour affirmer la valeur de la vie que des mains jalouses cherchent à démonétiser. Pour affirmer la solidarité de la multitude autour de l’un des siens. Pour lui garder sa place, même en creux, au creux de son giron. Monsieur le Président, on a tracé votre profil, et déjà il ne ressemble à rien d’humain. Rarement on aura attendu d’un homme qu’il réunisse en sa personne autant de qualités. De plus, l’incertitude qui entoure votre existence ajoutera au prestige de votre élection. Le nom que prononceront les urnes aura ce jour-là une résonance quasi mystique. Sauveur ou marionnette ? Il vous faudra choisir, sachant que la seconde formule est bien plus confortable que la première. Mais elle nous décevrait jusqu’au dégoût. Cela s’est déjà vu. Au moment de prendre place au fond de ce meuble incommode, redressez-vous un instant. Et dans la solennité de l’heure, offrez en silence à ce peuple, qui a déjà tant donné, hommage qu’il mérite. Fifi ABOU DIB
Si, au jour prévu, vous voyez le jour, autant que vous le sachiez. Nous sommes quatre millions, dans ce sas entre deux mondes, sur cette scène obscure aux planches vermoulues, où les robinets crachent et le courant hoquète, quatre millions de personnages à attendre l’auteur qui leur donnerait l’eau, la lumière et la vie.
Bien sûr, comme l’eût dit Flaubert, nous sommes vous....