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L’alliance des minorités du Proche-Orient

Par Carlos EDDÉ * La thèse de l’alliance des minorités existe au Proche-Orient depuis des décennies, sous des formes différentes. Ont adhéré à ses diverses variantes des éléments de communautés minoritaires sur le plan régional. Au départ, cette pensée était une réaction à la domination de l’Empire ottoman qui favorisait les sunnites au détriment des autres groupes de la région. Aujourd’hui, elle soutient que, par leur nombre, les sunnites finiront tôt ou tard par imposer leur loi. Elle défend donc la nécessité d’une collaboration entre alaouites, chiites, druzes et chrétiens pour faire face au déséquilibre numérique et contrôler un territoire politiquement viable sur la côte méditerranéenne. Cette thèse m’a été exposée en long et en large, à mon arrivée au Liban en 2000, par des responsables libanais proches du régime syrien. Elle explique la politique syrienne durant les années d’occupation, qui consistait à promouvoir et placer dans des postes-clés des éléments qu’elle contrôle et qui ont adhéré à cette philosophie, surtout dans l’armée et les autres services de sécurité. Dans cette optique, le régime syrien a joui de la collaboration inconditionnelle du président Émile Lahoud. Quant à la relation de ce régime avec le président Hariri, elle a toujours oscillé entre méfiance et hostilité à son égard, car il était, pour Damas, incontrôlable en même temps qu’incontournable. Le Syrien l’a donc combattu à travers le président Lahoud et les services de sécurité libanais. Il faut se rappeler qu’à cette époque-là, les maronites, dans leur grande majorité, s’opposaient à cette politique. Par une erreur de calcul, et une confiance abusive dans son impunité, le régime syrien décide de renouveler pour trois ans le mandat présidentiel de son plus grand collaborateur, le président Lahoud, provoquant une forte réaction de la part du leadership chrétien, de Walid Joumblatt et du président Hariri à la réélection du chef de l’État. L’alliance électorale qui se forge alors alarme le leadership baassiste à Damas. Immédiatement après, le ministre Hamadé échappe de justesse à un attentat et le président Hariri est brutalement assassiné. Le rapport Brammertz est catégorique : cet assassinat est directement lié à la reconduction présidentielle et aux élections législatives. De même pour les actes de terrorisme qui s’ensuivent. À partir d’octobre 2004, l’union de l’opposition, la réaction populaire aux assassinats et le soutien international à l’indépendance du Liban forcent l’armée syrienne à quitter le pays. Désarçonnés par ce retrait inattendu, les Syriens réagissent en retournant et cooptant le général Aoun à leur cause, divisant ainsi les chrétiens. Le général Aoun adhère à la thèse de l’alliance des minorités et rejoint l’axe constitué par le régime alaouite, le Hezbollah et les éléments prosyriens de la société libanaise. Ce partenariat est parrainé, financé et armé par l’Iran, qui se dote ainsi d’un instrument militaro-diplomatique face à l’Occident, à Israël et aux sunnites arabes. Alors que l’on sait que le Hezbollah milite depuis longtemps dans ce sens-là, il est étrange d’entendre aujourd’hui dans les rangs des adeptes du général Aoun, qui croyaient pourtant à un Liban uni et indivisible, développer les arguments suivants pour justifier leur nouvelle politique : • « Le clan Hariri veut naturaliser les Palestiniens pour éliminer d’abord les chiites et ensuite la présence chrétienne et transformer le Liban en une nation sunnite wahhabite. • Ce même clan est responsable de la crise économique et de la dette publique du pays. • Le Hezbollah est le parti libanais le plus fort ; il a l’organisation, les finances et l’armement, et il constitue la première ligne de défense des chrétiens. Sans le parti de Dieu, il n’y a pas moyen de faire face au danger des sunnites appuyés par l’Arabie saoudite. • Les chrétiens n’ont pas intérêt à s’opposer au régime syrien, car il représente leur meilleure protection et le président Bachar el-Assad en est le garant. • L’Iran est à des milliers de kilomètres du Liban, et son seul intérêt est de préserver les Libanais chiites, ce qui aide l’agenda chrétien. • Le Fateh el-Islam, le Jound el-Cham et d’autres milices sunnites sont responsables de tous les assassinats et actes de terrorisme. Ils sont financés par les Saoudiens et par les Hariri. Leurs armes passent par l’aéroport sous le couvert des Forces de sécurité intérieure qui sont devenues un instrument sunnite. » Par conséquent, la stratégie aouniste consiste à forger une alliance chrétienne-chiite pour faire face à l’hégémonie sunnite. Le Hezbollah combattrait les radicaux sunnites et les milices palestiniennes. Quand les sunnites seraient vaincus, une nouvelle ère commencerait pour le Liban qui fera la paix avec Israël. Le général Aoun, selon eux, est le seul leader qui peut implémenter cet agenda ; c’est le seul qui peut faire face aux milices sunnites et convaincre le Hezbollah de déposer leurs armes par la suite. Les chrétiens ne peuvent que profiter d’un conflit chiito-sunnite » Cette thèse, qui circule à travers une machine de propagande très efficace, joue sur l’animosité instinctive des chrétiens envers d’autres communautés – dans ce cas druze et sunnite – et trouve, par conséquent, des oreilles réceptives. Elle est basée sur des déformations et sur certaines prémisses mensongères : 1. La dette a été accumulée par la politique de tout l’ancien régime, contrôlé directement par les Syriens, qui ont été les plus grands bénéficiaires économiques du système. Aucune nomination, aucune décision, aucun contrat ne se faisaient sans l’intervention directe du régime de Damas. Le général Aoun omet ainsi consciemment la responsabilité dans la crise économique des dirigeants la participation du mouvement Amal et de tous les autres prosyriens, qui sont aujourd’hui ses alliés. Et que le général Aoun arrête de faire la morale en ce qui concerne la corruption, car beaucoup de questions restent sans réponse sur les finances de son passage au pouvoir et sur les sommes accumulées en son nom et de sa famille dans des comptes étrangers (Le Canard enchaîné, janvier 1990). 2. Alors que le Liban était sur la voie de la récupération économique, la guerre de juillet, soutenue par le général Aoun, les manifestations, les sit-in, les menaces de violence et de blocage des institutions contribuent de façon exponentielle à l’appauvrissement des Libanais. Aujourd’hui, on peut dire sans aucune arrière-pensée que personne ne nuit à l’économie libanaise autant que l’opposition. 3. Le général Aoun renie toutes ses positions antérieures vis-à-vis du régime syrien, à savoir que même avec leur départ, ils continueront à intervenir dans la politique libanaise à travers leurs alliés. Ce sont les Syriens qui arment et contrôlent toutes les organisations terroristes au Liban (cf témoignage devant le Congrès américain, 19 septembre 2003). Aujourd’hui, il veut nier le lien entre les services de renseignements syriens et les terroristes, et faire croire que le Courant du futur est autodestructif et finance ses propres assassins. Où trouve-t-il des Libanais qui y croient ? 4. Le général disait en 2005 : « Le problème majeur, c’est que le Hezbollah pose des principes a priori au dialogue, et refuse d’en discuter. C’est pourquoi je ne peux pas dialoguer avec lui, surtout que dernièrement, il a traversé les continents, depuis la Syrie jusqu’en Iran, et moi je ne peux pas le suivre. Il a établi un État dans l’État, consacrant un fait accompli. » Comment peut-il avoir la prétention aujourd’hui penser qu’il va pouvoir influencer le Hezbollah et l’amener à déposer un jour les armes, alors qu’il est le maillon de loin le plus faible dans la structure de l’alliance des minorités ? Cette thèse peut être entendue d’un point de vue alaouite, et même du point de vue d’un Hezbollah dont l’idéologie est contradictoire avec un Liban pluriel et consensuel, car, après tout, on ne peut pas oublier les prémisses du mouvement et leur subordination déclarée à la révolution iranienne. Mais elle est absurde d’un point de vue chrétien. En reniant toutes ses positions antérieures et en défendant cette thèse, le général Aoun fait preuve d’une naïveté inégalée. Pourquoi cette théorie est inacceptable pour le Liban et pour les Libanais, surtout les chrétiens ? • Elle place le Liban dans un état de conflit perpétuel. • Elle polarise la société en renforçant l’esprit communautariste de tous les Libanais. • Elle affaiblit une composante importante de la communauté chiite qui refuse d’être l’instrument de la politique iranienne, et elle lui enlève toute possibilité de s’affirmer sur la scène politique face au Hezbollah. • Alors que la majorité sunnite adhère à la position libanaise plus qu’à aucun autre moment dans l’histoire de notre république, cette politique renforcera la position des extrémistes de cette communauté et créera alors le plus grand danger pour le Liban. • Penser que les chrétiens adhéreront en masse au rang des partisans de cette thèse est une grande erreur de calcul car la majorité la refusera, ce qui augmentera son pessimisme quant à son avenir, provoquant un exode accéléré de ceux qui ont les moyens de le faire. • Elle veut transformer les chrétiens en mercenaires irano-syriens dans une lutte qui n’est pas la leur. Comment les minorités, et surtout les chrétiens, peuvent prétendre qu’à long terme elles auront les moyens de défier les sunnites et survivre face à un déséquilibre numérique ? Quelles que soient les victoires initiales d’une telle alliance, elle voue ses adhérents à des souffrances et à l’érosion. L’alliance des minorités est une hérésie et un suicide collectif. Ce qu’Israël ne réussit pas à faire malgré sa puissance et l’appui de l’Occident, comment peuvent-ils espérer le réaliser, et pouvoir survivre à un long conflit avec les sunnites ? Pensent-ils étendre cette alliance à l’État hébreu ? La crainte de l’extrémisme et du fondamentalisme est présente chez les modérés de toutes les communautés. Leur survie dépend de leur alliance face à tous les extrémismes. Quels que soient les erreurs et les excès du passé, les gens de bonne volonté doivent passer outre pour instituer une relation de confiance, seule garante d’un avenir viable. Et surtout pour les chrétiens. * « Amid » du Bloc national.
Par Carlos EDDÉ *

La thèse de l’alliance des minorités existe au Proche-Orient depuis des décennies, sous des formes différentes. Ont adhéré à ses diverses variantes des éléments de communautés minoritaires sur le plan régional. Au départ, cette pensée était une réaction à la domination de l’Empire ottoman qui favorisait les sunnites au détriment des autres groupes de la...