DANS LES BACS - « Piano concertos », le troisième album de Rami Khalifé Virtuosité et bravoure au clavier

Passage éclair du jeune virtuose du clavier Rami Khalifé à Beyrouth où il a présenté son troisième album. Un album au goût de « défi » comme le souligne le jeune pianiste qui, du classique aux longues coulées d’improvisation de jazz, a le talent de toujours envoûter son auditoire. Un CD au programme plus qu’ambitieux vient de voir le jour dans les bacs des cédéthèques sous le titre, pourtant bien simple, de Piano concertos. Au menu, le redoutable Cinquième concerto de Serge Prokofiev et, révélation pour les mélomanes chevronnés, le Concerto n° 1 de Abdallah el-Masri, compositeur libanais de culture libano-russe vivant actuellement au Koweït. Concertos pour piano et orchestre, bien entendu, pour ce brillant champion du clavier formé au Conservatoire national de Boulogne- Billancourt et donnant, avec aplomb et panache, la réplique à l’Orchestre symphonique Globalis placé sous la direction de Félix Korobov. Deux œuvres qui se rejoignent par leur fougue, leur impétuosité, leur martèlement, leurs accents tonitruants. Oui, il y a certains mots qu’il faut savoir ne pas éviter… Non seulement tonitruante est cette musique torrentielle, dantesque, grinçante dans ses chromatismes les plus débridés, mais aussi ouvertement originale et refusant d’emprunter en toute docilité les chemins battus… Même si, pour Abdallah el-Masri, le mélange Orient-Occident est perceptible dès les premiers accords où s’affrontent et se lovent les grands mugissements de deux fleuves aux eaux troubles et indomptables. Une partition redoutable… Un petit retour en arrière s’impose pour présenter l’opus de Serge Prokofiev. Prokofiev, prince du piano et imbattable dans « l’art de jouer au football sur clavier », qualifié à très juste titre par la presse outre- Atlantique de « Chopin cosaque des générations futures ». Quant à son Cinquième concerto (et dernier, sans parler du 6e pour deux pianos, resté inachevé), véritable piège pour les pianistes et par conséquent le moins joué aux concerts, l’interpréter est déjà un tour de force. « C’est pour ces mêmes raisons de difficulté, de défi, d’originalité, de ton et d’écriture que j’ai choisi d’interpréter cette œuvre, de la graver sur platine et de la présenter aux auditeurs », déclare Rami Khalifé. Faut-il rappeler qu’en 1978, Abdel Rahman el-Bacha gagnait le prix Reine Élisabeth avec le Concerto n° 2 du compositeur de Roméo et Juliette ? Sans oublier de mentionner les intégrales des concertos du prix Lénine rassemblées en coffret par Abdel Rahman el-Bacha. Entre Libanais, ce serait intéressant de comparer les interprétations d’un même opus par les deux illustres fils du pays du Cèdre… Pourquoi le choix d’une partition, sur un même CD, d’un compositeur libanais contemporain ? « Parce que je travaille depuis longtemps avec Abdallah el-Masri qui, d’ailleurs, a collaboré aussi avec mon père Marcel. Mais pour être encore plus franc, ce concerto n° 1 m’est dédié, dit Rami Khalifé. Une œuvre colorée et puissante aux influences « raveliennes » avec des harmonies audacieuses et inédites. Brillamment formé au conservatoire Tchaïkovski à Moscou, Abdallah el- Masri n’en a pas moins dans son inspiration et son écriture un certain souffle « à la russe ». Pour des œuvres bouillonnantes, pleines d’une vigueur tourmentée, d’un postromantisme oscillant entre échappées belles et grandes envolées lyriques, divisées en mouvements vifs et percutants, les doigts et le doigté d’un jeune maître du clavier qui a bien plus que du tempérament... Pour découvrir une œuvre peu jouée de Prokofiev et savourer les subtiles nuances de Abdallah el-Masri, tout le talent et l’éclat d’un jeune pianiste, d’une étonnante maturité. Edgar DAVIDIAN