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Sondage mené par Ipsos pour « L’Orient-Le Jour » sur le profil du prochain chef de l’État (*) Les Libanais veulent un président fort, consensuel, universitaire... et, pourquoi pas, une femme Analyse du sondage réalisée par Lélia MEZHER

Une femme au pouvoir ? Pourquoi pas ? Un président issu d’un clan politique traditionnel ? Sûrement pas. L’abolition du confessionnalisme ? Toutes les communautés adhèrent… Alors que le mandat de l’actuel président de la République tire à sa fin, « L’Orient-Le Jour » a décidé d’aller à la rencontre des citoyens et de sonder, avec l’aide d'Ipsos, la manière dont ils perçoivent aujourd’hui le futur président de leur République. Il convient de le souligner d’emblée, les réponses sont surprenantes, et remettent en question, pour la plupart d’entre elles, les traditions politiques qui entourent habituellement cette échéance cruciale. Car on le sait, seules quelques rares candidatures ont été, pour l’heure, officiellement et publiquement annoncées, programme électoral à l’appui. De plus, on le sait aussi, une tendance s’est installée au Liban à l’approche de chaque échéance présidentielle : surtout ne pas faire connaître au public le « nom » de celui qui est le plus pressenti d’être élu, pour ne pas lui ôter ses chances d’arriver effectivement à Baabda. Le jeu des « noms » reste donc plus fort, tant et si bien que l’identité du futur chef de l’État fait aujourd’hui l’objet de spéculations qui vont croissant chaque jour, à défaut d’une campagne présidentielle digne de ce nom. Voilà qui est paradoxal et caractéristique d’un système démocratique bancal, puisque, d’autre part, au sein de la société civile, une phrase revient souvent : « Ce n’est jamais celui qu’on veut voir arriver à la présidence qui sera élu. » Un constat amer certes, mais qui n’est pas totalement dénué de vérité. Pour deux raisons : d’abord, le président de la République est élu au suffrage indirect par le biais de la Chambre des députés, et non par le peuple. Ce système a été adopté pour préserver le délicat équilibre religieux et confessionnel qui caractérise le Liban, mais la Chambre ne reflète pas toujours fidèlement les aspirations des citoyens, surtout à l’aune de la loi électorale actuelle. Ensuite, le poids des influences et ingérences régionales et internationales pèse considérablement sur le choix de la personne du président en devenir. Ainsi, ce dernier ne doit pas seulement se contenter d’être un président de consensus au niveau interne, il doit aussi et surtout être le fruit d’un compromis régional et international. Tout cela explique la complexité du climat politique qui entoure chaque nouvelle échéance présidentielle. Mais aussi pourquoi, très souvent, les Libanais ne se reconnaissent pas dans un chef d’État qui aura pourtant été élu par la Chambre des députés. Si pour 60,5 % des personnes interrogées, le futur président de la République ne devrait pas appartenir à l’un des deux camps politiques en présence, il n’en reste pas moins que le futur chef de l’État devra nécessairement être agréé par les deux camps. C’est l’avis de l'écrasante majorité des personnes interrogées. Cette réponse dénote certes une volonté de régler la crise politique actuelle à l’amiable, du moins au niveau des citoyens qui semblent rejeter l’idée d’un nouveau conflit armé. Ce rejet transparaît aussi dans le refus de voir accéder à la première présidence une personne qui aurait joué un rôle durant la guerre civile. Ces éléments de réponse démontrent une prise de conscience des citoyens concernant l’importance du consensus autour de la question primordiale et fondamentale de la présidence de la République. Les Libanais auraient ainsi pressenti ou compris que le Liban ne peut retrouver sa stabilité et son équilibre hors d'un consensus, de l'agrément de toutes les parties autour de la personne promise à la fonction de chef d’État. Cela étant dit, il reste tout aussi important de souligner que les caractéristiques du futur président telles qu’elles ont été mises en relief dans les réponses apportées dénotent une nette volonté de changement au sein de la société libanaise, volonté qui, de manière générale, n’est presque jamais prise en compte par les députés auxquels incombe la tâche d’élire le nouveau chef de l’État. Ce décalage quasi constant entre les aspirations populaires et le gentleman’s agreement qui doit, à chaque fin de mandat, être conclu tant au niveau local que sur le double plan régional et international, ne met-il pas en relief une nécessité claire de réforme au niveau du mode d’élection du président de la République ? Sans aller jusqu’à opter pour le suffrage universel direct – ce mode d’élection ne correspondant nullement au fragile équilibre communautaire et confessionnel du pays –, ne faudrait-il pas, à terme, trouver le moyen adéquat de mettre en place un genre d’élections primaires spécialement taillées pour l’échéance présidentielle ? Les citoyens auraient ainsi pour devoir d’élire de grands électeurs répartis par communauté qui, à leur tour, auraient pour charge d’élire le futur président. -------------------------------------------- La réponse à cette question est très encourageante puisque, et même si c’est l’affirmative qui l’emporte, seul un point d’écart sépare les deux réponses. Cela démontre donc une nette évolution dans les mentalités en ce qui concerne le rôle de la femme au sein de la société. Cela démontre aussi que, même en appartenant à une société orientale, la femme pourra, à terme, se voir investie d’un rôle politique de premier plan. Paradoxalement, ce sont les jeunes (18-34 ans) et les seniors (55 ans et plus) qui sont le plus fermement attachés à une vision masculine de la Magistrature suprême. Sur le plan communautaire, il faut le reconnaître, les musulmans semblent faire plus confiance à un homme pour tenir les rênes du pouvoir, et plus précisément la communauté chiite qui a répondu « oui » à 65 % contre seulement 54 % des sunnites interrogés. Les chrétiens, eux, font confiance à 54,5 % d'entre eux à une femme président. ------------------------------------------- L’abolition du confessionnalisme semble être la révélation de ce sondage. Ainsi, pour 73,7 % des personnes interrogées, cette mesure semble être devenue une évidence. Certes, les moins enthousiastes restent les membres de la communauté maronite (57 % de « oui ») interrogés au cours de ce sondage, pour des raisons évidentes d’autoprotection et d’acquis politiques communautaires, qui s’expriment principalement par le biais de la présidence de la République. Il n’empêche que le courant est en marche, peut-être parce que le système communautaire a justement montré ses limites. Bien évidemment, les plus impatients d’assister à une déconfessionnalisation politique sont les chiites (88% de « oui »), puisque ces derniers semblent compter sur la loi du nombre pour maximiser leur participation au sein du pouvoir et peut-être, à terme, faire sauter le verrou de la présidence, qui, jusqu’à présent, est réservée aux seuls maronites. Mais loin de ces réactions maronito-chiites antagonistes, le taux d’adhésion à l’abolition du confessionnalisme politique (le « oui » prédomine pour 85 % des sunnites, 71 % des orthodoxes, 84 % des druzes interrogés) ne fait que mettre en relief un ras-le-bol et un besoin de changement qui s’expriment au niveau de la conception même du pouvoir. Cet accord unanime concernant la nécessité d’abolir à terme le confessionnalisme politique signifie que cette organisation du pouvoir a montré ses limites. Peut-être est-il perçu comme ayant aidé à consacrer le clientélisme et une certaine forme d’inégalité au sein de la fonction publique. La tendance se dirige de plus en plus vers un désir de voir instaurés les critères de la compétence et du mérite, loin de toute considération d’ordre communautaire. Quoi qu’il en soit, la réponse à cette question constitue un message clair aux politiques, car elle laisse entrevoir une demande populaire dans le sens d’une application exhaustive de l’accord constitutionnel de Taëf, lequel prévoit une abolition progressive du confessionnalisme politique. ----------------------------------------- Malgré les réponses précédentes qui dénotent une franche volonté d’aller de l’avant et ne plus tenir compte des traditions politiques qui, de toute évidence, commencent à peser très lourd sur le système démocratique, les Libanais ne semblent pas être parvenus à dépasser réellement les clivages politiques actuels. Si 60,5 % des personnes interrogées estiment que le prochain président de la République ne devrait pas nécessairement appartenir à l’un des deux camps en présence (voir figure 1), les 39,5 % restantes, qui ont répondu par l’affirmative, insistent ainsi pour que le candidat politiquement estampillé 14 ou 8 Mars soit une personnalité de premier plan. C’est à partir de cette réponse qu’il est possible de dire qu’un candidat consensuel, même s'il est souhaité par la majorité des personnes interrogées, aura du mal à se frayer un chemin au milieu du manichéisme politique ambiant. Preuve en est, toutes communautés confondues, on préfère un ténor plutôt qu’une personnalité de second plan. ---------------------------------------------- Même si dans le cadre des crispations et autres tiraillements politiques actuels, la formation académique et le background du futur président semblent quelque peu relégués au second plan, il n’en reste pas moins que c’est là une donnée qui pèsera de tout son poids sur le mandat du prochain président. Une chose est sûre, la réponse apportée à cette question d’importance primordiale est pour le moins surprenante. Ce qui frappe d’abord l’analyste, c’est que les citoyens interrogés ont tous délibérément choisi de reléguer aux oubliettes le traditionalisme politique libanais puisque seuls 7,5 % d’entre eux, toutes appartenances politiques confondues, désirent voir accéder à la fonction présidentielle une personne issue d’une famille politique traditionnelle. Le ton est donné : la préférence des Libanais (41 % de « oui », dont 52 % pour la communauté sunnite, 51 % pour les druzes et 43 % pour les maronites) va vers un président dont le profil d’universitaire serait marqué. De manière plus spécifique encore, les femmes sont celles qui aspirent le plus à ce type de changement – majeur – au niveau de la présidence, puisque 45 % d’entre elles ont répondu par l’affirmative. Tout de suite après, le choix tombe sur une personnalité issue du rang militaire, notamment dans les milieux chrétiens et chiites (respectivement 22 % et 45 % de réponses affirmatives). --------------------------------------------- Les réponses apportées à cette question dénotent une soif de sang politique neuf, notamment pour les communautés orthodoxe (68 % de « oui ») et chiite (77 % de « oui »), traditionnellement plus détachées des tiraillements politiques. Toujours est-il que, de manière générale, la communauté chrétienne aspire à dépasser les sombres pages de son histoire. Elle veut voir accéder à la premiére présidence une personne neutre. D'autre part, la montée en flèche du rôle de la communauté chiite dans la vie politique, et son aspiration à jouer désormais un rôle encore plus prononcé, expliquent aussi son enthousiasme à voir accéder à la Magistrature suprême une personne qui n’aura pas joué un quelconque rôle durant la guerre civile. Mais au-delà de ces considérations communautaires, les Libanais sont tous d'accord pour faire table rase du passé, puisque les jeunes et les moins jeunes ont tous répondu par l'affirmative à plus de 50 % (18-34 ans, 66 %, 35-54 ans 64 %, plus de 55 ans, 56 %). --------------------------------------------- Une tendance générale se dégage ici dans le sens d’un raffermissement du rôle du prochain président qui devra être appelé, si l’on en croit les réponses apportées à cette question, à jouer un rôle plus marqué, à s’affirmer crescendo dans ses fonctions de chef d’État. Bien sûr, l’accord de Taëf a réduit considérablement les pouvoirs du président de la République, transformant le système politique en démocratie parlementaire. Toutefois, et malgré ces amendements constitutionnels, le président conserve malgré tout une marge de manœuvre importante qui n’est pas suffisamment mise en relief. Un examen plus approfondi de l’article 53 de la Constitution tel qu’il a été amendé par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 démontre trois grandes possibilités pour le président en exercice de s’affirmer. Le premier alinéa de l’article 53 dispose en effet que le président « préside » le Conseil des ministres « quand il le souhaite, sans participer aux votes ». Malgré le fait qu’il ne participe pas aux votes, et en dépit du fait qu’il ne peut désormais nommer son Premier ministre qu’après avoir procédé à des consultations obligatoires comme le souligne l’alinéa 2 du même article, et qu’ « on est loin du temps où le président de la République désignait comme premier ministre des hommes à sa dévotion ou n’ayant pas d’assise populaire suffisante » (1), il n’empêche que le président pourra user de son influence et de son charisme avant la tenue du Conseil des ministres afin de peser de tout son poids sur le cours du vote. Certes un chef d’État faible et totalement impopulaire dans les rangs de ses ministres ne pourra pas s’imposer car en définitive – et la Constitution le dit expressément – le pouvoir exécutif appartient au Conseil des ministres. L’alinéa 11 de l’article 53 permet aussi au président de s’affirmer dans ses fonctions de chef d’État puisque ce texte lui permet de « soumettre au Conseil des ministres les affaires nouvellement surgies sans qu’elles soient inscrites à l’ordre du jour ». Cela lui donne ainsi la possibilité de pousser les ministres à examiner certains sujets d’actualité brûlante que le cabinet voudrait peut-être passer sous silence ou remettre indéfiniment. L’alinéa 12 va dans le même sens puisqu’il permet au chef de l’État de convoquer le Conseil des ministres en approbation toutefois avec le président du Conseil. Ces trois alinéas laissent malgré tout une certaine marge de manœuvre au président de la République, à condition toutefois qu’il soit prêt et déterminé à les assumer. Il lui reviendra donc de puiser, dans le texte de la Constitution, les moyens de sa politique d’homme d’État, et c’est un peu le message que les Libanais tentent de faire passer par le biais de la réponse qu’ils ont apportée à cette question. (1) La Constitution libanaise, commentaire de Béchara Matta. --------------------------------------------- * L’étude a été menée sous la forme d’entretiens CATI avec un échantillon de 500 personnes habitant Beyrouth et le Mont-Liban. L’échantillon a été choisi pour être représentatif de la distribution par âge, sexe et confession de la région étudiée. L’enquête a été menée par des intervieweurs spécialisés puis contrôlée par leurs supérieurs hiérarchiques. Les enquêtes ont été contrôlées à un taux de 100 % par écoute téléphonique. En conséquence, des mesures strictes de contrôle de qualité ont été  appliquées et assurées. N.B. Dans les graphes où la somme des pourcentages est égale  à 100% avec plus ou moins 1% d’écart, cela est dû à un arrondissement du système d’analyse. Dans les graphes où la somme des pourcentages est supérieure à 100%, cela est dû au fait que c’est une question à réponses multiples.
Une femme au pouvoir ? Pourquoi pas ? Un président issu d’un clan politique traditionnel ? Sûrement pas. L’abolition du confessionnalisme ? Toutes les communautés adhèrent… Alors que le mandat de l’actuel président de la République tire à sa fin, « L’Orient-Le Jour » a décidé d’aller à la rencontre des citoyens et de sonder, avec l’aide d'Ipsos, la manière dont ils...