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Actualités - REPORTAGE

Rafic Ali Ahmad appelle à l’édification d’une « Constitution pour une convivialité spirituelle » Prévenir les conflits ou comment éviter une nouvelle guerre civile

La scène est de l’ordre du déjà-vu. Sur le chemin de retour de son université, un jeune homme se fait kidnapper par trois personnes armées qui l’amènent dans un endroit reculé et le tabassent violemment avant de lui inculquer le message pour lequel il s’est fait séquestrer. L’incident est fictif, mais n’en reflète pas moins une réalité effectivement vécue par l’acteur qui joue le rôle de la victime et par bon nombre de jeunes Libanais. Dans une allusion claire à la politique d’assujettissement pratiquée pendant longtemps sur la jeunesse libanaise, notamment durant la tutelle syrienne, une vingtaine de jeunes étudiants, professionnels ou activistes au sein de la société civile, tentent de réfléchir sur la question de la « soumission et de l’obédience ». C’était le premier acte d’une série d’exercices conçus dans le cadre de l’École d’été sur la transformation et la prévention des conflits. Comment peut-on réagir dans des situations pareilles et quel comportement aurait dû avoir la victime du rapt, sachant qu’elle doit en même temps ménager sa propre sécurité et celle de sa famille notamment ? Doit-elle prendre la place de la victime ou du héros ? Autant d’interrogations que pose l’animatrice Hannah Reich, chercheuse au Centre Berghof pour une transformation constructive des conflits, à Berlin. Spécialement sollicitée par le PNUD pour encadrer et former – à l’aide de l’expression théâtrale – un groupe de jeunes étudiants et professionnels rigoureusement sélectionnés dans le cadre du projet, l’animatrice commente le « mutisme » et la « passivité » de la victime face à un acte de violence et de terreur. Dotée d’une expérience solide puisée auprès des victimes rwandaises ou bosniaques, elle insiste pour expliquer aux jeunes « l’importance de bien distinguer qu’il s’agit d’un problème social et non personnel, une question dont les solutions sont à rechercher au plan national ». Le but de l’exercice consistait à mettre en scène les problématiques posées « pour mieux les comprendre en prenant une certaine distance et en découvrant d’autres perspectives qu’on n’aurait pu voir à chaud », explique l’experte allemande. Mise en place conjointement par le PNUD et le LCPS (Lebanese Center for Policy studies), le programme qui s’est étendu sur une dizaine de jours dans la région de Ramlieh au Chouf a permis à une vingtaine de jeunes d’apprendre à manier les outils de gestion des conflits qui agitent la société libanaise et à participer activement à travers des débats animés par des professionnels pour se familiariser avec des approches « pacifiques » et trouver, « collectivement » des réponses aux situations de crise. L’expérience n’est pas nouvelle – c’est le troisième camp de ce type qui a lieu depuis 2004 –, mais le timing est on ne peut plus propice pour débattre et tenter de trouver des solutions aux profonds clivages qui continuent de miner la société libanaise. « Peut-on parler de culture de soumission dans le monde arabe, et notamment au Liban, un pays qui a expérimenté un état d’inféodation politique particulièrement long ?» « La sujétion ne prend-elle pas plutôt sa source dans le système de l’éducation civile et religieuse dans une société que le communautarisme exacerbé a fini par corrompre ? » lance le directeur du projet, Joe Haddad, à l’adresse des participants. Ce dernier ne manque pas de rappeler au passage les stéréotypes politiques, religieux et communautaires dans lesquels les citoyens sont emprisonnés dès leur jeune âge. « L’autorité du milieu familial, social ou religieux, dans lequel nous baignons, s’impose implacablement sans qu’elle ne soit remise en cause, lorsque ses effets s’annoncent négatifs et générateurs de conflits », dit-il. « D’où l’importance de se baser sur des critères fondamentaux, notamment ceux qui sont liés à la question des droits de l’homme et de la justice », ajoute le responsable. Ainsi, résume l’animateur, l’équation est la suivante : « Soit on choisit de consacrer l’injustice, soit de la combattre. » C’est dans cet esprit que s’est déroulé le camp des jeunes qui s’est prolongé une dizaine de jours, au cours desquels les problématiques libanaises ont été disséquées à travers des activités placées sous le signe de l’« édification de la paix ». Un travail collectif Le but de l’exercice n’était certes pas de trouver des réponses toutes faites à des situations complexes, mais de donner aux participants les outils nécessaires pour réfléchir et tenter de concevoir – collectivement – les solutions possibles et adéquates à des conjonctures conflictuelles. Autrement plus interpellant est le débat sur le confessionnalisme et ses syndromes endémiques, un mal qui a achevé de scléroser les esprits et d’emprisonner la jeunesse libanaise dans des catégories de comportement et de réflexion figée. L’exercice consistait cette fois-ci à regrouper les participants – d’appartenances diverses – par affiliation confessionnelle, pour essayer de dégager toute sorte de préjugés, clichés, représentations et images que chaque communauté a formé sur l’autre. Première réaction à l’exercice : les participants refusent la règle de l’exercice qui consiste à les diviser selon leur appartenance religieuse. « Nous ne sommes pas ici pour réitérer les schémas “dysfonctionnels” de la société », s’indignent les participants. « Il nous a fallu 20 minutes de discussion pour les convaincre que le but de l’exercice ne consiste pas à porter des jugements, mais à examiner à la loupe les clichés véhiculés sur l’une ou l’autre communauté », explique l’animatrice, Rita Ayoub. La multiplication des épouses dans l’islam, ou les cinq prières par jour imposées par le Coran, le lien quasi fusionnel des chrétiens à l’Occident, bref autant de représentations « mal interprétées » que se font les uns sur les autres que l’animatrice explique par le phénomène des « identités menacées » et par une méconnaissance profonde de l’autre. C’est sur ce thème que l’acteur Rafic Ali Ahmad planchera le dernier jour des débats, en insistant sur l’outil du « savoir » entendu comme un « instrument de connaissance pour combler le fossé et aller à la découverte d’autrui, pour mieux le connaître et l’accepter ». « L’homme est l’ennemi de ce qu’il ne connaît pas », rappelle l’acteur, qui expose aux jeunes participants son « voyage initiatique à la découverte de la richesse des autres religions ». « J’ai épousé une druze après s’être tombé plusieurs fois amoureux de jeunes filles chrétiennes, parce qu’une fille chiite ne pouvait m’apprendre plus que ce que je connaissais déjà », lance avec humour l’acteur. « J’étais curieux de découvrir ce qu’il y avait derrière ces montagnes qui se profilaient à l’horizon », dit-il dans une image faisant allusion au Chouf, qu’il ne connaissait pas en tant que chiite du Liban-Sud. Et d’expliquer que c’est sa connaissance approfondie des textes sacrés et sa culture religieuse éclectique qui lui ont permis de comprendre que les principes prônés par les religions monothéistes « sont les mêmes ». « Les dix commandements enseignés chez les chrétiens ont leur équivalent dans le Coran », rappelle-t-il, en insistant sur l’idée qu’il n’y a pas de contradiction entre les religions. « Le vrai problème est que nous ne nous connaissons pas mutuellement », dit-il. « C’est la récupération du religieux par le politique qui est à l’origine de nos calamités », ajoute Rafic Ali Ahmad, avant de rappeler que « la complicité objective et intéressée entre les hommes de religion et les leaders politiques a de tout temps existé. Ce n’est que lorsque l’Occident a réussi à séparer le pouvoir religieux du pouvoir politique qu’il a pu aspirer à la paix et à la modernité ». « La terre libanaise est dégoûtée par tant de sang », dit-il. « Il est temps de changer le conteneur – entendre le système en place – pour pouvoir changer le contenant », lance-t-il à l’adresse des participants. Et l’acteur de proposer aux jeunes Libanais « d’établir une “Constitution pour une convivialité spirituelle” », en vue de construire un nouveau Liban, inspiré des valeurs essentielles que nous enseignent les textes religieux, et fondé sur la tolérance et le respect mutuel. L’École d’été pour la prévention des conflits : méthodes et objectifs Le rôle de la société civile est aujourd’hui, plus que jamais, essentiel pour la prévention des conflits. Ce sont les organisations civiques à but non lucratif qui sont désormais appelées à promouvoir une culture de la paix, à un moment où des voix sages se sont élevées pour mettre en garde contre les risques de récidive d’un conflit civil au Liban. C’est dans cette optique que le programme lancé par le PNUD et mis au point par le LCPS, à l’adresse de la jeunesse libanaise, se veut comme une plate-forme de débats et de réflexion pour entamer des réformes sociétales fondamentales et éviter au peuple libanais de réitérer à l’avenir les schémas et comportements conflictuels. Le programme comporte l’apprentissage de certaines compétences et techniques à travers des méthodes interactives, comprenant notamment des jeux de rôle, des études de cas, des simulations et un travail de terrain. Les étudiants sélectionnés chaque année bénéficient de sessions de formation les habilitant à une gestion rationnelle et concertée des conflits en vue de parvenir à des formules de réconciliation adaptées. Les exercices et les cours théoriques sont prodigués par des experts locaux et internationaux rôdés aux questions de coexistence et de solutions pacifiques. Jeanine JALKH

La scène est de l’ordre du déjà-vu. Sur le chemin de retour de son université, un jeune homme se fait kidnapper par trois personnes armées qui l’amènent dans un endroit reculé et le tabassent violemment avant de lui inculquer le message pour lequel il s’est fait séquestrer. L’incident est fictif, mais n’en reflète pas moins une réalité effectivement vécue par...