Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Les détecteurs d’explosifs ont envahi centres commerciaux, cinémas et quartiers d’affaires Ces boîtes magiques censées nous protéger… Lélia MEZHER

Et si ces détecteurs d’explosifs qui nous rassurent n’étaient pas si fiables que ça ? Si tout cela n’était qu’une illusion, une manière seulement de rassurer le public pour que les affaires reprennent ? Un rapide tour sur Internet permet de douter encore plus de l’efficacité de ces boîtes noires munies d’une antenne et qui accueillent les visiteurs dans les grands centres commerciaux, des antennes censées réagir à la moindre trace d’explosif, même à des kilomètres de distance. Les spécialistes en matière de sécurité s’accordent sur un fait : « Lorsqu’on veut avoir quelqu’un, il n’y a pas de limites. » C’est en se basant sur cette hypothèse que toutes les grandes compagnies ont recours aux services d’une société privée, mais aussi aux directives d’anciens militaires étrangers, qui se sont recyclés en experts en sécurité. Après avoir enfin pu décrocher deux rendez-vous avec deux responsables respectifs de deux entreprises de sécurité privée, toutes les autres ayant refusé de donner suite à nos sollicitations, deux constats s’imposent : d’abord, les détecteurs d’explosifs utilisés au Liban sont pour la plupart totalement inutiles car tout à fait inefficaces. Ensuite, la situation sécuritaire est toujours, à l’heure qu’il est, instable et une dégradation n’est pas à exclure tant que l’État n’aura pas entièrement contrôlé l’ensemble du territoire libanais. Deux failles dans le système de protection des grands magasins et autres centres commerciaux sont d’autre part signalées par les experts. D’abord l’utilisation, même par les institutions officielles, d’un matériel très souvent inadapté, souvent par manque d’information ou parce que les acheteurs sont victimes de personnes peu scrupuleuses qui ne cherchent qu’à s’enrichir. Ensuite, la plupart des clients des sociétés privées de sécurité cherchent avant tout à dénicher des systèmes de protection peu chers, même s’ils ne sont pas efficaces. L’important étant de faire croire aux clients qu’ils sont en sécurité, même si cela n’est pas vrai. Le responsable de la première société de sécurité que nous visitons nous accueille dans son grand bureau en marbre noir. Au mur, un écran plasma géant répète en boucle les derniers indices boursiers. Tout ici est hypersécurisé, et la pièce respire les technologies de pointe en matière de protection personnelle. Notre interlocuteur insiste d’emblée sur le fait que « toutes les machines qui se présentent comme étant des détecteurs d’explosifs à des kilomètres à la ronde sont tout à fait inefficaces ». Ces machines, selon lui, sont ce que l’on pourrait presque qualifier d’attrape-nigauds : « Comment une boîte en plastique, munie d’une antenne et agrémentée, dans la version la plus sophistiquée, de deux pièces magnétiques pourrait-elle détecter la présence d’un explosif dans une voiture ? » Simple question de bon sens… Une antenne a pour fonction de capter les ondes, qu’en est-il donc si une charge télécommandée a été installée dans un véhicule ? « Dans ce cas, l’antenne risque d’intercepter la télécommande, mais ce n’est même pas garanti », indique-t-il. « Si on veut avoir quelqu’un, il n’y a pas de limites », insiste-t-il. Mais dans la plupart des cas, poursuit notre interlocuteur, « on ne cherche pas – du moins pas encore – à faire du mal, on cherche juste à effrayer les gens et la classe politique, les empêcher de vivre et détruire le cycle économique du pays. Sinon, il y a de nombreuses façons de nuire. Prenez par exemple une cannette de soda, elle peut contenir environ un kilogramme de C4, ou de RDX, deux explosifs très puissants. Leur souffle peut s’étendre à un kilomètre environ. Qui d’entre nous regarde ce qu’il y a dans les poubelles ? Quoi de plus banal qu’une cannette de soda dans la poubelle d’un centre commercial ? » L’expert en sécurité accepte ensuite d’analyser le modus operandi des différents attentats. D’une manière générale, il estime que la plupart des opérations requièrent un niveau de professionnalisme élevé, qui n’est pas à la portée du premier venu. Il insiste sur le fait que la technologie utilisée dans ces crimes est très élaborée, qu’elle nécessite un certain entraînement pour savoir la maîtriser ainsi que des moyens financiers très importants. « C’est pourquoi les moyens de détection utilisés pour parer à toute éventuelle voiture piégée ne sont pas à la mesure du professionnalisme des criminels », explique-t-il. Aux États-Unis, de nombreux procès ont été intentés contre les fabricants des boîtiers en plastique munis d’une antenne. Ces compagnies prétendent que leur matériel est ultrafiable et que les détecteurs peuvent déceler une charge sur plusieurs kilomètres de rayon. Or, des tests effectués au Liban par des compagnies de sécurité privées, mais aussi par des experts internationaux aux États-Unis, démontrent bel et bien l’inefficacité de ce système. Dans le bureau de cet autre chef d’une entreprise spécialisée dans la sécurité privée, on affirme que des tests ont été effectués à l’entrée de plusieurs centres commerciaux. À chaque fois, le même scénario : des employés de cette compagnie se rendaient dans un centre avec un bâton de dynamite caché dans la voiture et passaient sans problème les contrôles effectués à l’entrée du parking souterrain. « Une fois, j’ai même dit à l’employé de sécurité qui effectuait le contrôle que j’étais en possession d’un bâton de dynamite. Il ne m’a même pas cru, simplement parce que son détecteur n’a rien signalé ! » raconte un des employés de la deuxième société de sécurité qui a bien voulu répondre à nos questions. Le directeur de cette entreprise, un militaire a la retraite, a installé dans son bureau toutes sortes de gadgets, dignes du dernier James Bond. Cet expert en sécurité se dit « blasé » par la réaction des banques, supermarchés et autres compagnies qu’il a contactés pour les mettre en garde contre l’inutilité de ces boîtes noires que certains sites Internet qualifient carrément de « Dream Boxes ». « Ma propre banque a refusé de me croire, ils y pensent sûrement que j’essaie de vendre des détecteurs que j’importe moi-même », soupire-t-il, l’air las. « Lorsqu’un client passe la porte de mon entreprise, la première question qu’il a sur les lèvres c’est : combien ça coûte ? Ils sont tous prêts à tout pour que le prix payé soit le plus bas, même si le matériel acheté est inefficace ou inadapté, cela leur importe peu. L’important, c’est de faire croire aux clients que sa boutique, sa banque, son supermarché sont bien gardés. Après, si quelque chose se produit, ils feront assumer la responsabilité à l’entreprise de sécurité dont ils louent les services », conclut-il.
Et si ces détecteurs d’explosifs qui nous rassurent n’étaient pas si fiables que ça ? Si tout cela n’était qu’une illusion, une manière seulement de rassurer le public pour que les affaires reprennent ? Un rapide tour sur Internet permet de douter encore plus de l’efficacité de ces boîtes noires munies d’une antenne et qui accueillent les visiteurs dans les grands centres...