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Actualités - OPINION

Système électoral défaillant

Pour des raisons qui dépassent la raison, nous jugeons nécessaire de faire de la contradiction une vertu nationale. C’est ainsi que nous adoptons, d’une part, le système communautaire qui consiste à répartir les sièges parlementaires entre les communautés, mais nous nous hâtons de condamner, d’autre part, ce même système parce que nous le trouvons antipatriotique. En conséquence, nous menons les élections comme si nous nous trouvions dans une République à l’état pur qui ne connaît rien du système communautaire. La logique la plus élémentaire exige que si nous adoptons le système communautaire, nous l’adoptions pour de bon, et si nous rejetons ce système, nous le rejetions pour de bon. L’adopter, d’une main, et le rejeter, de l’autre, est contradictoire. Ceux qui cherchent à servir deux maîtres finissent par les trahir tous les deux et par subir les conséquences les plus désastreuses de leur jeu aberrant. Les sables mouvants de la contradiction, de l’inconscience et de la roublardise légendaire du Levantin ne sauraient servir de fondement fiable à notre projet national. Les élections partielles du 5 août ne font qu’illustrer, une fois de plus, la frustration que nos saintes contradictions engendrent immanquablement chez ceux qui gagnent le vote de leur communauté, mais perdent l’élection à cause du vote des autres communautés. À Beyrouth, l’écrasante majorité sunnite rend insignifiant le vote chiite. Les chiites se sont donc abstenus de s’immiscer inutilement dans l’élection d’un sunnite qui avait la faveur incontestée de sa communauté. Au Metn, c’est l’inverse qui a eu lieu. Il s’agissait de pourvoir un poste maronite. Or ce poste était convoité par deux leaders maronites. Amine Gemayel a gagné le vote de sa communauté, mais il a perdu l’élection à cause des non-maronites. La bataille du Metn était serrée. Elle fut décidée non par les maronites mais par les Arméniens. Nous nous plaignons de l’ingérence syrienne dans nos affaires nationales, mais nous trouvons parfaitement naturelle l’ingérence des autres communautés dans nos affaires communautaires. Nous ne voyons pas que ces deux formes d’ingérence sont tout aussi néfastes et inadmissibles. La fraude est une façon non démocratique et illégale de gagner une élection. Le temps est venu de reconnaître la fraude qui jouit de la bénédiction légale, mais qui n’en est pas moins antidémocratique. En effet, il y a des lois qui sont aberrantes et injustes. Il faut les condamner et exiger leur abolition. Malheureusement, la conscience libanaise et le sens moral de nos chers politiciens sont émoussés. Ce qui est encore plus grave, c’est que le sens de la logique nous fausse compagnie, dès que les questions les plus élémentaires prennent une tournure idéologique. C’est ainsi qu’on nous dit que le député ne représente pas sa communauté, mais la nation tout entière. Autant dire que l’ambassadeur américain au Liban ne représente pas l’Amérique, mais le corps diplomatique tout entier ! Autant dire aussi que l’ambassadeur du Liban à l’ONU ne représente pas le Liban, mais le monde tout entier ! Il semble que nous devons ces aberrations à nos ancêtres les Gaulois, plus précisément à la pensée jacobine qui s’était imposée en France après la révolution. Les révolutionnaires voulaient abolir toute médiation entre l’État et les citoyens. Ils étaient contre les syndicats, parce qu’ils y voyaient des groupes qui cherchent à obtenir des privilèges dignes de l’Ancien régime. Ils ne voulaient pas entendre parler non plus de revendications régionales. La France devait être uniformisée et les Français laminés en une classe de citoyens indifférenciés. D’où leur slogan idéologique que le député représentait la nation tout entière. Pour des raisons idéologiques, les hommes dénaturent le sens des mots. C’est ainsi que les Jacobins ont dénaturé la notion de « représentation ». Avant eux, la pensée chrétienne s’est vue contrainte de dénaturer le sens des mots « nature » et « personne » quand ils étaient appliqués au Christ. Le temps est venu de laisser l’idéologie aux idéologues et de revenir à la réalité des choses. Laissons aux Jacobins la condamnation de tout système communautaire. Nous ferions bien de jeter un regard nouveau sur notre système national et sur ce qu’il a de typiquement libanais. Avec la théologie jacobine, nous aboutissons au mépris des communautés et donc à la nécessité de nous en débarrasser. Maintenir le système communautaire tout en adoptant l’idéologie jacobine est une aberration. Cela ressemble à un amalgame théologiquement aberrant entre le christianisme et l’islam. La roublardise levantine produit chez nous des comportements bien étranges. Comme s’il suffisait d’un peu de « chatarat » pour justifier n’importe quoi ! L’ironie du sort est que les Tachnag ont été pris à partie par les Kataëb pour leur ingérence dans les affaires maronites, alors qu’ils avaient subi le même sort dans les deux dernières élections beyrouthines à cause du vote sunnite. Il est temps que les Kataëb et les Tachnag tirent la leçon de leurs déboires électoraux pour s’entendre sur une réforme de notre système électoral. Karim Pakradouni a reconnu la nécessité d’une telle réforme. Le problème est de s’entendre sur la ligne qu’il faut suivre. M. Pakradouni a suggéré, mais timidement et sans entrer dans aucun détail, l’adoption du scrutin uninominal. Je trouve qu’il est sur la bonne voie. Ce qui nous manque encore, c’est l’assurance qui vient d’une étude théorique de la question, qui se baserait non seulement sur des considérations pratiques, mais aussi sur de la science politique. C’est dans ce dernier domaine que nous sommes nuls et que notre culture politique, basée sur ce que la France a de pire à nous offrir, laisse beaucoup à désirer. Il revient à la science politique d’analyser le système communautaire libanais et de le classer dans une des grandes catégories constitutionnelles. Or l’analyse la plus élémentaire montre que notre système communautaire a des affinités indéniables avec les systèmes fédéraux. Le système fédéral se caractérise par la création d’un État à deux niveaux. Le système communautaire, quand il est bien compris, en fait autant. Il crée deux niveaux, le niveau communautaire et le niveau national. L’accord de Taëf a explicitement parlé de ces deux niveaux, sans pour autant les rapprocher des deux niveaux de tout système fédéral. Il suffit maintenant de faire un pas de plus qui consiste à reconnaître ce fait. Il deviendra alors possible de mettre de l’ordre dans nos affaires à la lumière de ce qui se fait dans les systèmes fédéraux. Cette façon de procéder, qui consiste à suivre ce qui est bien connu et ce qui a fait ses preuves, confirme qu’il revient à chaque communauté libanaise de choisir ses représentants au Parlement en toute indépendance des autres communautés. Voilà ce que la logique communautaire exige. Que chaque communauté divise le territoire libanais en autant de districts électoraux qu’elle a de sièges à pourvoir. Que chaque district élise son député. Le scrutin sera forcément uninominal. Joseph CODSI Universitaire

Pour des raisons qui dépassent la raison, nous jugeons nécessaire de faire de la contradiction une vertu nationale. C’est ainsi que nous adoptons, d’une part, le système communautaire qui consiste à répartir les sièges parlementaires entre les communautés, mais nous nous hâtons de condamner, d’autre part, ce même système parce que nous le trouvons antipatriotique. En...