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Actualités - OPINION

Présidentielle : la Res publica par Excellence

Il n’est sans doute pas de meilleur exemple de démocratie spécifique que le Liban. Si spécifique même qu’on peut douter qu’il y ait vraiment démocratie. Avec dix-sept ou dix-huit communautés dans un mouchoir de poche, cinq fois plus de partis, de courants, de clubs politiques, ce microcosme décroche facilement le pompon mondial de la complexité. Un tableau si bigarré qu’il en paraît absurde. Et c’est nécessairement pareil pour cette grille de lecture qu’est le système politique. Au sommet nominal de cette pyramide bizarroïde, le président de la République. Ses pouvoirs sont limités depuis Taëf, souligne-t-on toujours, de tous côtés. Un peu à tort. Car, à bien y regarder, la présidence reste la quintessence même du pouvoir à la libanaise. Telle qu’en soi le patchwork pluriconfessionnel ou multipartisan le divise, le subdivise. Et le recolle. À travers un pacte national dont le chef de l’État est le gardien, le garant. C’est dire qu’il est dépositaire de l’ensemble, réuni dans un coffre dont il détient la clé, des morceaux épars, des parts divisées jusqu’à l’infini du pouvoir public. Il règne sans gouverner ? C’est à la fois vrai et faux. Ailleurs, on trouve grosso modo, côté chefs de l’État, avec variantes de couture, trois costumes principaux distincts. Le pouvoir quasi absolu ; le pouvoir partagé avec une Chambre (ou deux) ; enfin le pouvoir quasi honorifique. Ici, entre les trois, il se retrouve à cheval. Ce qui n’est pas un mince exploit. Et requiert, en fait, des qualités affirmées d’écuyer virtuose. Équivoque Un sens de l’équilibre qui commence, nécessairement, par un sens précis de la localisation. Dans la double acception du terme. C’est-à-dire que le cavalier doit savoir où il se trouve au juste dans l’espace. Et comment se mouvoir sans tomber. En fonction du terrain, comme des personnes physiques ou morales, à l’entour. Or dans la course actuelle, l’on enregistre déjà, bien avant que le départ ne soit donné, deux erreurs pénalisantes. – La première, plutôt vénielle faut-il reconnaître, consiste à se qualifier soi-même, pour se mettre aux ordres du starter. C’est-à-dire à présenter sa candidature. Dans un système, qui n’en fait pas obligation, tout au contraire. Car chez nous, c’est bien d’appelés et d’élus dont il est question constitutionnellement. Entendre que c’est la Chambre, et elle seule, qui a le droit légal de dire, par vote, quels peuvent être les postulants à la fonction suprême. Parmi lesquels l’un est désigné, à la majorité des suffrages. – Le deuxième dérapage courant, plus étonnant sinon plus grave, est que la plupart des candidats autoproclamés se glorifient de défendre un programme de pouvoir déterminé. Qu’ils soumettent au débat public. Le hic, c’est que le président de la République ne dirige pas la politique du pays. Ce soin est laissé, depuis Taëf, au Conseil des ministres (art.65 C), et le chef du gouvernement en assume l’exécution ainsi que la défense devant le Parlement (art. 64). Il convient de souligner que ce défaut de vision se retrouve chez de nombreuses parties qui assignent au président de la République des missions qui ne sont pas de son ressort. Par exemple, des loyalistes lui demandent de faire appliquer les résolutions internationales, 1701 en tête. Tandis que des opposants en attendent qu’il contre le complot US. Façon de dire qu’il doit se ranger aux côtés de l’axe syro-iranien. Le texte Comme le général Fouad Chehab le répétait toujours, il faut donc revenir au Livre. Il est intéressant de relever que la Constitution libanaise consacre 15 de ses 95 articles à la fonction présidentielle. Et qu’elle la place en tête du chapitre réservé au Pouvoir Exécutif. Cela, pour confirmer qu’elle en fait partie primordiale intégrante. Même si, en Conseil des ministres, le président n’a pas droit de vote. À l’heure de tous les abus, un petit condensé de ses prérogatives s’impose, à travers un survol des principaux passages constitutionnels régissant ses fonctions. D’abord, la charge morale (art. 49 à 51). Il est le chef de l’État, le symbole de l’unité du pays. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde de l’indépendance, à l’intégrité du territoire national. Ce sur quoi, il prête serment. Il est le chef des forces armées nationales, bien qu’elles soient soumises à l’autorité du Conseil des ministres. Et c’est par là que débute le chapelet de ses fonctions effectives. Il préside le conseil suprême de la Défense. De l’article 51 à l’article 62, on grappille les éléments de base suivants : – il promulgue les lois votées. Sans pouvoir y apporter des modifications, ni se dispenser de leur application ; – il négocie et ratifie les traités, en accord avec le président du Conseil ; – il préside le Conseil des ministres quand il le souhaite, sans participer aux votes ; – il désigne un chef de gouvernement en consultation avec le président de la Chambre, sur base de consultations parlementaires impératives. Il promulgue, en accord avec le président du Conseil, le décret de désignation du gouvernement, d’acceptation de la démission ou de révocation des ministres. Il promulgue seul le décret acceptant la démission du gouvernement ; – il nomme des ambassadeurs et reçoit leurs lettres de créance ; – il peut, le cas échéant, adresser des messages à la Chambre. Une prérogative sous-estimée en fait, très importante en démocratie libanaise spécifique. Car elle induit une définition de la vocation présidentielle même, en tant que catalyseur national ; – il peut demander au Conseil la dissolution de la Chambre et en promulguer le décret ; – il promulgue les décrets. Il peut en demander au gouvernement une deuxième lecture dans un délai de quinze jours. Idem pour les lois adoptées par la Chambre ; – il rend exécutoire tout projet de loi déclaré urgent si l’Assemblée n’en a pas statué au bout de quarante jours ; – en cas de vacance de la présidence de la République, et on ne le sait que trop ces jours-ci, ses pouvoirs sont exercés à titre intérimaire par le Conseil des ministres. Brève conclusion L’examen de ces dispositions, un peu décousues à première vue, aboutit en réalité à cette conclusion simple : le véritable rôle du président de la République, c’est d’incarner l’État. Plus précisément, et toute la responsabilité est dans le rajout, l’État de droit. C’est-à-dire un édifice bâti sur le principe de la demande et de la reddition de comptes. Dans tous les secteurs, à tous les niveaux. Rassembleur ? Le président ne peut l’être, en pratique, qu’à travers ce concept de garant d’une autorité de loi commune. Il est évident en effet que sur un plan psycho-politique général, il ne peut ambitionner être, s’il en a les qualités, qu’un réconciliateur du reste occasionnel. Il n’a pas, ici, les moyens d’unifier en imposant à tous sa seule houlette. Mais il est évident qu’en accomplissant parfaitement sa mission de promotion fondamentale de l’État de droit, il permettrait au pays de se dégager progressivement du carcan d’un système hybride, source de sempiternelles contradictions internes. Et d’autant de redoutables conflits. Sur cette voie-ci, un président fort (de son bon droit) serait infailliblement suivi par tout le peuple. Libanais. Jean ISSA
Il n’est sans doute pas de meilleur exemple de démocratie spécifique que le Liban. Si spécifique même qu’on peut douter qu’il y ait vraiment démocratie. Avec dix-sept ou dix-huit communautés dans un mouchoir de poche, cinq fois plus de partis, de courants, de clubs politiques, ce microcosme décroche facilement le pompon mondial de la complexité. Un tableau si bigarré qu’il en...