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Actualités - OPINION

L’autre visage du fascisme La nouvelle « dhimmitude » Pr Antoine COURBAN

Allons-nous vers une nouvelle forme de cette bonne vieille « dhimmitude » que nous avons connue sous l’Empire ottoman ? La réponse est très équivoque dans la mesure où, depuis la fin dudit empire, le système de la « dhimmitude » survit sous la forme institutionnelle de notre confessionnalisme qui nous écartèle entre la double allégeance, à la communauté religieuse et à l’État, fragilisant d’autant ce dernier et le réduisant à une mosaïque d’intérêts privés que se partagent, avec âpreté, les chefs des tribus sectaires qui composent notre société. Un dhimmi, en droit islamique, n’est pas un citoyen à part entière, puisqu’il n’est pas soumis à l’impôt du sang et ne peut donc pas porter les armes. C’est d’abord un protégé, membre d’un millet ou taïfa. S’il est exempté de l’impôt du sang, il est par contre soumis à l’impôt spécial de capitation (jizya) ainsi qu’à un impôt foncier discriminatoire (kharaj). Un dhimmi est un « toléré » à qui on permet de pratiquer sa religion et de gérer son statut personnel selon les lois de sa communauté ou du millet dont il relève. C’est ainsi qu’après la prise de Constantinople (1453), le sultan Mehmet II mit en place le système juridique des millets : le Rum Millet (chrétiens orthodoxes chalcédoniens) dirigé par le patriarche œcuménique de Constantinople, le Ermeni Millet (chrétiens non chalcédoniens : arméniens, syriaques, coptes nestoriens) dirigé par le patriarche arménien de Constantinople, et le millet juif sous la direction du rabbin-chef ou Hakham Bashi. D’autres millets apparaîtront suite au démembrement des groupes d’origine en plusieurs juridictions rivales. Quant aux latins, le système généré par les traités dits de Capitulation leur permettait de gérer leurs affaires par l’entremise de privilèges accordés aux consuls de l’une ou l’autre nation. Techniquement parlant, un dhimmi est un vassal qui se déclare l’homme lige de son suzerain qui le protège. Sans protecteur, point de dhimmi, et partant point de millet. Sans protecteur, point de privilèges juridiques dont bénéficient les autorités religieuses responsables du millet. Le patriarche de Constantinople, par exemple, était aux yeux du pouvoir ottoman le chef de sa nation (millet), c’est-à-dire l’ethnarque. Il était l’unique interlocuteur du pouvoir et, en tant que tel, il était le garant de la bonne perception de l’impôt de capitation et autres taxes contraignantes au sein de sa nation ou de son millet. Il avait rang de « pacha à trois queues » dans la hiérarchie des dignitaires ottomans. Aurions-nous gardé de ces époques, pas si éloignées, la nostalgie du millet et de la protection d’un puissant suzerain ? La maladie identitaire qui nous ronge nous fait-elle regretter les délices du temps où le sultan nous accordait ses faveurs pour services rendus ? Tout porte à le croire. Avons-nous réellement mis fin, au sein de notre imaginaire, au statut de dhimmi malgré la fin de l’Empire ottoman et notre accès à un semblant d’indépendance ? Avons-nous, en toute honnêteté, accédé au statut de « sujet » qui est la pierre angulaire de cette modernité culturelle dont nous nous faisons les champions ? Rien n’est moins certain, car par notre attachement au confessionnalisme politique, nous perpétuons toutes les catégories mentales du système ottoman. Mais, pour notre malheur, nous sommes des Ottomans sans « sultan ». Nous sommes des millets sans protecteur, des vassaux sans suzerain. Un certain 14 mars 2005, tous les espoirs de guérison étaient permis. Il a fallu vite déchanter, car les forces d’inertie nous ont, de nouveau, ramené dans le bercail de nos millets respectifs. La crise qui secoue le Liban depuis l’assassinat de Hariri peut être lue selon diverses grilles. Au-delà de l’opposition entre le camp dit 14 Mars et celui dit 8 Mars ; au-delà de l’affrontement entre un axe irano-syro-milicien et un axe américano-euro-arabe ; un nouveau désir de dhimmitude est peut-être entrain d’émerger. Plusieurs indices annoncent un tel risque. Ils convergent tous vers la mise à l’écart « du » politique et la renaissance des forces des anciens millets. 1 – Le cléricalisme. Le Liban retient son souffle tous les mois en vue de découvrir la déclaration d’un conseil d’évêques comme si, par-delà et en dépit de toutes nos institutions, il existerait un magistère spécial en matière d’orientations politiques. Certains prélats n’hésitent pas à se lancer dans l’exégèse juridique de textes constitutionnels au lieu de se contenter de décrypter les Saintes Écritures. Le patriarche serait-il devenu un président de la république par intérim ? Cette importance démesurée prise par le magistère clérical, ès qualité, en matière politique est un écho des délices du Sérail ottoman où l’autorité religieuse était, aux yeux de la Sublime Porte, l’interlocuteur privilégié sinon exclusif : l’ethnarque. 2 – Le fascisme. Son représentant le plus éloquent, à l’heure actuelle, est le CPL dirigé par le général Michel Aoun. Tous les ingrédients d’une telle dérive sont là : discours populiste, revendications identitaires, culte du chef-sauveur, manœuvres insurrectionnelles, etc. Mais en quoi ce fascisme si particulier annoncerait-il une nouvelle dhimmitude ? Le CPL est devenu, à son corps défendant, un mouvement chrétien, préfasciste et sectaire, uniquement préoccupé par les acquis que le millet chrétien peut ou pourrait consolider. Mais à l’ombre de quel suzerain ? Où est le sultan ? Le puissant suzerain de la nouvelle dhimmitude n’est plus ottoman, n’est plus le calife traditionnel, mais le « juriste-théologien de Qom la Sainte » (al-Faqih), titre que porte aujourd’hui le maître de la Perse, qui ambitionne de reconstituer le vieil empire qu’ont géré successivement les Achéménides, les Parthes, les Sassanides et les Séfévides. Le fascisme avéré de la Perse, sous le nom de Wilayat al-Faqih, n’est pas populiste, car métaphysique. C’est un pouvoir originaire, c’est-à-dire un pouvoir qui n’admet aucun autre pouvoir ni à ses côtés ni au-dessus de lui, mais uniquement à son service, comme vassal. Le fascisme populiste qui se développe au sein de la société chrétienne libanaise, par son jumelage avec le totalitarisme métaphysique du Hezbollah, risque de mener les chrétiens vers un nouveau statut de dhimmitude. Il est à craindre que les rivalités internes porteront sur le fait de savoir qui sera le nouvel ethnarque du millet chrétien : un militaire ou un prélat ? La crise libanaise est aussi, pour l’homme ordinaire, un choix entre deux allégeances contradictoires : celle du citoyen et celle du nouveau dhimmi. Article paru le vendredi 17 août 2007
Allons-nous vers une nouvelle forme de cette bonne vieille « dhimmitude » que nous avons connue sous l’Empire ottoman ? La réponse est très équivoque dans la mesure où, depuis la fin dudit empire, le système de la « dhimmitude » survit sous la forme institutionnelle de notre confessionnalisme qui nous écartèle entre la double allégeance, à la communauté religieuse et à...