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Actualités - OPINION

Justice dévastatrice (2) Changer le système ou détruire le temple sur ses occupants

Le Fateh el-Islam, comme nous l’avons dit dans le précédent article (voir L’Orient-Le Jour du vendredi 20 juillet 2007), est issu de la conjonction de la réalité d’une population persécutée et d’une lecture subversive du Coran et restrictive de la notion du « jihad », réduisant tout acte politique à sa traduction violente. Que les dirigeants de ce mouvement soient des mercenaires au service de politiques locales suicidaires ou régionales relève du bon sens. Tel ne peut être le cas des centaines de combattants enrôlés sous sa bannière. Miséreux de toutes les nations, désespérés, déçus, ils crurent, en s’attaquant à l’armée libanaise, abattre un gouvernement à la solde des intérêts occidentaux et sionistes, établir un émirat islamique, le premier d’une série à venir dans le monde musulman, qui réparerait les avanies subies par leurs coreligionnaires à travers les continents. Le résultat est désastreux. Une population palestinienne prise au piège dans un camp qui était déjà une antichambre de la mort, un énième exil dans un autre camp où s’entassent des familles dans des conditions qui font de l’enfer un lieu de villégiature, des morts sans sépulture, des soldats tués dans cette guerre absurde. Les expériences algérienne, afghane et somalienne nous laissent penser que la seule perspective offerte au dernier carré de ces combattants, premières victimes de l’utopie califale, est soit la mort, soit la reddition pour, au mieux, croupir de longues années en prison. Où est la justice dans tout cela ? 4 - Quelles sont les raisons de cette dérive violente, porteuse d’injustice ? Les islamistes, toutes tendances confondues, ne reconnaissent pas le droit positif, mais la loi seule divine, source de toute législation. L’idéal de justice y est inscrit, mais en des termes généraux et quand bien même le Coran et la « sunna » (les dires et actes du Prophète) s’arrêtent sur des cas particuliers, ils ne peuvent couvrir l’ensemble des questions qui interpellent la justice. Pour y remédier, les musulmans, aux deux sources précitées ont ajouté le « fikh » (la jurisprudence), et l’ensemble forme la charia (la loi islamique). Les chiites, eux, se réfèrent, en plus de la charia, aux textes de l’imam Ali et ses onze descendants, réputés infaillibles. Les lois qui en découlent sont en ce sens intemporelles et interprétatives, contrairement au droit positif qui est, lui, fils de l’histoire en marche, de l’évolution des sociétés et des grandes révolutions politiques et sociales. Or des hommes de religion, les « foukaha’ », qui s’arrogent le privilège de l’interprétation, aucun ne peut prétendre en détenir la plus fidèle et la plus conforme à l’original, qui est imperméable aux vicissitudes de l’histoire. D’où une multiplication des corpus de lois, qui sont souvent contradictoires. Cette concurrence acharnée donne la part belle aux interprétations les plus radicales, donc les plus normatives car plus rassurantes dans des sociétés en voie de développement à la recherche de repères dans un monde bouleversé. Ajouter à cela, il faut prendre en compte l’absence d’intercession en islam entre Dieu et ses créatures, Dieu en islam, contrairement au christianisme, n’a pas de vicaire sur terre. L’application des commandements de Dieu devient à cet égard une expérience personnelle, à la limite du mysticisme au service du Créateur. La radicalité des interprétations conjuguée au sentiment de fusion en Dieu (mysticisme) colorie la notion centrale du « jihad », qui est l’acte de plaire à Dieu, d’une forte teinte d’intolérance et donc de violence, occultant ainsi le devoir de justice. Dans toute société se forment des groupes sociaux qui militent pour l’accomplissement d’une idée. Michel Wieviorka (2) les nomme des Mouvements sociaux. À la marge de chacun de cela, se forment parfois des groupes qui prétendent défendre la même idée, mais d’une autre façon. L’auteur les appelle les anti-Mouvements sociaux. Ce qui les distingue des premiers, c’est l’idéologisation à outrance de l’idée commune, ici la justice, et leur jusqu’au-boutisme. Cela se traduit par un usage immodéré de la violence comme seul moyen pour faire aboutir leurs revendications. Il en résulte une dénaturation de l’idée défendue et la justice devient injustice, du moins le premier groupe, c’est-à-dire le Mouvement social, le perçoit-il ainsi. À ce stade, il faut opérer une distinction entre le Hezbollah et le Fateh el-Islam. Les deux sont des anti-Mouvements sociaux. Si le Hezbollah l’est par rapport au reste des Libanais, il est en symbiose avec son groupe de référence et reste attentif à ne pas se l’aliéner. Sa violence contenue dans ses rapports avec les autres Libanais, en évitant une confrontation armée, et en opérant un repli sur le front avec Israël laissent la porte ouverte à une possible intégration dans la refondation de la nation libanaise, car c’est bien cela que nous vivons aujourd’hui. S’il devait rééditer les provocations de l’été 2006 qui n’amèneraient que mort, déplacement, exil, effondrement économique et destruction pour sa communauté, il risquerait de perdre aussi l’adhésion de son propre camp et mériterait le qualificatif obtenu par Fateh el-Islam, celui d’un mouvement terroriste. En effet, le Fateh el-Islam ne trouve plus, même par rapport à sa matrice d’origine, c’est-à-dire les Palestiniens toutes tendances confondues, la moindre sympathie. Il évolue en dehors de tout cadre social, les civils palestiniens, les Libanais musulmans ou chrétiens étant tous ses victimes. « Les droits nécessitent une reconnaissance sociale » (3). Or, qui dit absence de droit, dit absence d’obligation par rapport à « l’autre ». Il ne s’agit plus ici de changer un système, mais de détruire le temple sur tous ses occupants. De là, on peut comprendre la violence inouïe et suicidaire des hommes de Chaker Absi et la qualifier de terroriste antinomie de la justice. 5 - Que faire ? Je ne m’aventurerai pas à aborder un sujet que d’autres, plus qualifiés, ont largement traité et parfois de façon contradictoire, tant la question de l’injustice et ses causes sont multiples. Je voudrai pour autant signaler le danger des amalgames hâtifs et exclusifs entre l’islam et la violence nourricière d’injustice. À ce sujet, je rappellerai la propension des États-Unis à se considérer les détenteurs d’une mission universelle pour la diffusion de la justice et de la liberté à travers le monde. Je citerai, parmi tant d’autres analystes, Robert Kagan, chef de file des néoconservateurs américains. « La raison de l’usage de la force militaire a à voir avec l’histoire de la nation. Depuis la révolution et la guerre civile, les Américains ont participé à chaque guerre qu’ils regardaient comme juste et morale… Ce n’est pas un accident si les États-Unis ont usé de la force plus fréquemment depuis la chute de l’Union soviétique (4) ». Rendez-vous fut pris en Irak ! Amine ISSA Agriculteur 2- « Sociétés et terrorisme », Michel Wieviorka pages 15, 17 et 96. 3- « Esprit », Michel Walzer n° août-septembre 2004, page 67. 4-« Staying the Course, Win or Lose », Robert Kagan, «Washington Post », 2 novembre 2007.
Le Fateh el-Islam, comme nous l’avons dit dans le précédent article (voir L’Orient-Le Jour du vendredi 20 juillet 2007), est issu de la conjonction de la réalité d’une population persécutée et d’une lecture subversive du Coran et restrictive de la notion du « jihad », réduisant tout acte politique à sa traduction violente. Que les dirigeants de ce mouvement soient des...