Rechercher
Rechercher

Actualités

« Crier justice jusqu’au ciel » Albert SARA

Marwan Iskandar n’est pas homme à se produire dans les médias. Il se livre à ses études socio-économiques avec la discrétion d’un savant qu’une carrière riche d’expérience et d’observations dispense de se mettre en avant. Nous eûmes pourtant la chance de le suivre dans un entretien que lui avait sollicité une station de télévision en commémoration du 12 juillet, et nous entendîmes de quoi en perdre le sommeil. Tout d’abord, dans un bref aperçu, il évoque notre situation le 11 juillet 2006 : une rare croissance de 6 %, un afflux de capitaux de six milliards de dollars, alors que, dans les années fastes, on avait rarement dépassé les trois milliards. Après les 35 jours de guerre, la croissance a fait place au déficit : ce fut un déficit de 5 %, donc une chute de 11 points au total, ce qui représente une perte sèche de deux milliards de dollars. Il serait trop long d’énumérer les innombrables facettes de la catastrophe : exode de dizaines de milliers de Libanais, dont 20 000 jeunes à la recherche de travail, industries ruinées, des centaines de commerces fermés, infrastructure – notamment électricité – gravement endommagée, 91 ponts détruits, la grande partie du réseau routier à restaurer, etc. Dès que le gouvernement a pu commencer à remettre de l’ordre, son premier soin fut de relancer le congrès de Paris III. Cette entreprise semblait impossible à réussir, surtout avec une opposition prête à recourir à n’importe quel moyen (dont les tentes du centre-ville !) pour faire tomber le gouvernement. Mais l’action exceptionnelle du président Jacques Chirac a rendu possible ce prodige : réunir à Paris un tel nombre d’États et les convaincre d’aider le Liban avec des projets (préparés à Beyrouth par le ministère des Finances), en investissant un total d’aides de sept milliards et demi de dollars, fait unique dans l’histoire. Le professeur Iskandar avait souligné au passage les dégâts causés par le sit-in, consistant en la mainmise sur des espaces du centre-ville et le blocage de l’activité commerciale et touristique de centaines d’entreprises. L’opposition, obstinée dans son dessein ultime, faisait intensément tout son possible pour faire échouer Paris III. Mais une puissance veillait à notre secours, qui s’appelait la France de Jacques Chirac, lequel s’est dépensé comme jamais, et a réussi contre vents et marée. C’est bon, Paris III avait réussi à la barbe des mécontents. Mais une petite formalité restait à accomplir : la ratification par le Parlement du Liban, pays solliciteur, soucieux de voir Paris III mis en œuvre pour le sortir du gouffre. Et là est le problème qu’un esprit humain ne peut concevoir. Imaginez cette situation : par miracle, nous réussissons à obtenir une aide sollicitée comme un appel de détresse. Le Liban l’obtient. Il ne reste que la ratification par l’organe législatif, à savoir la Chambre libanaise des députés. Eh bien, le président de cette Chambre, qui agit prioritairement comme chef du parti de l’opposition Amal (ex-milice) contribue manifestement à l’action de l’opposition pour faire tomber le gouvernement. À cette fin, et sans aucun état d’âme, il n’hésite pas à user (même abusivement) de son pouvoir de chef du Législatif. Il ferme l’accès du Parlement depuis six mois. Ainsi, grâce à son « concours », le pays n’a encore pu recueillir que des miettes du gigantesque Paris III. L’organe de base de toute vie parlementaire est pris en otage par un acte caractéristique de prévarication (voir le dictionnaire). Ici, M. Iskandar ne peut s’empêcher de constater que ce qui s’est passé chez nous est une chose unique dans l’histoire, allant même jusqu’à dire que c’est un suicide. Il conclut en estimant et totalisant les ruines, que le pays a perdu vingt milliards de dollars. Pour retrouver notre situation du 11 juillet 2006, il estime qu’il nous faut quinze ans de travail et de croissance raisonnable. Puis, en forçant les hypothèses optimistes, il dit que, dans la meilleure des hypothèses, ces quinze ans pourraient être ramenées à dix. Et maintenant, en cherchant les responsables, nous pouvons aisément pointer le doigt dans telle ou telle direction. Mais nous nous inclurions certainement nous-mêmes parmi les responsables si, délibérément, nous ne portions pas nos regards vers la direction spirituelle. Dans ce même journal, le manifeste des évêques publié le 5 avril avait déclaré d’entrée de jeu que « l’Église maronite ne saurait se permettre de rester les bras croisés face aux graves développements au Liban et dans la région, eu égard aux périls qui menacent le pays et son unité, tout comme ils menacent les chrétiens ». Le passage le plus important, essentiel, est le paragraphe 2, dont la substance est : « Les institutions constitutionnelles doivent nécessairement abriter le processus politique, loin de toute anarchie et de toute crispation. L’Église maronite demande à toutes les forces politiques de cesser de paralyser le rôle de ces institutions en y substituant des agissements non démocratiques. De tels agissements provoquent l’exode d’un nouveau lot de forces vives libanaises à la recherche d’un gagne-pain, paralysant l’activité industrielle, commerciale et touristique. » [On ne peut omettre ici la réaction tranchante de l’opposition à cette condamnation. Elle fut lancée par un de ses leaders : « Le sit-in de l’opposition n’a rien paralysé et se poursuivra jusqu’à la fin de la crise. » L’Orient-Le Jour du 20/4/07.] Dans le même article, il était signalé ceci : « Voilà déjà trois semaines écoulées, et le processus destructeur poursuit ses ravages… Il est essentiel de constituer un “suivi”, une poursuite des responsables. Sinon, on n’a rien fait et le manifeste aura été comme un combat d’arrière-garde, pour l’honneur. » Ici, revient alors à la mémoire cette interpellation du grand prêtre Joad lancée au chef Abner qui proclamait sa fidélité à sa foi en Dieu : « La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ? » (J. Racine, Athalie). Et l’article se terminait par cette conclusion : « Bien que ne disposant pas de “divisions” selon la conception de Staline, l’autorité morale doit continuer à interpeller hautement les fauteurs de cette dégradation, et ce jusqu’à obtenir la cessation de l’iniquité, dont les victimes élèvent la voix, criant justice jusqu’au ciel. » Albert SARA Avocat Article paru le Mardi 17 Juillet 2007
Marwan Iskandar n’est pas homme à se produire dans les médias. Il se livre à ses études socio-économiques avec la discrétion d’un savant qu’une carrière riche d’expérience et d’observations dispense de se mettre en avant.
Nous eûmes pourtant la chance de le suivre dans un entretien que lui avait sollicité une station de télévision en commémoration du 12 juillet,...