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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Pour une évaluation des systèmes de santé Par Gordon GUYATT*

Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre que l’application de méthodes rigoureuses pour évaluer les médicaments et les pratiques médicales est une chose récente. Ils seraient tout aussi surpris d’apprendre que la même approche ne s’applique pas encore à la politique de santé. La médecine basée sur les preuves ou médecine factuelle classe les essais de médicaments en fonction de critères de qualité. Les essais sur les animaux ou les réponses humaines dans le cadre d’un laboratoire sont au bas de l’échelle. Les simples essais comparatifs faisant intervenir des patients qui ont reçu un traitement donné et des sujets contrôlés qui ne l’ont pas reçu sont mieux placés, mais peuvent induire en erreur. Les études les plus convaincantes sont en général les essais randomisés dans lesquels on distribue au hasard le médicament ou un placebo. Les mieux faites comportent des protections supplémentaires contre les biais, notamment les essais en double aveugle dans lesquels ni les patients ni le prescripteur ne savent qui reçoit la molécule active et qui reçoit un placebo. Dans le passé, les médecins ont fait des erreurs qui auraient pu être évitées si ces principes avaient été appliqués. Ainsi, pendant dix ans, les médecins les plus réputés ont recommandé un traitement hormonal pour diminuer les risques cardio-vasculaires après la ménopause. Ces recommandations, basées sur des études animales et sur de simples essais comparatifs, se sont avérées mal fondées. Des essais randomisés ont montré que ce traitement était inefficace et entraînait une augmentation du nombre de cancers du sein et de thromboses. De la même manière, à une certaine époque, les cardiologues prescrivaient des médicaments pour éviter la mort soudaine après une crise cardiaque. Ces médicaments supprimaient les arythmies – une perturbation du rythme cardiaque associée à la mort soudaine. Le raisonnement semblait clair : supprimer les arythmies asymptomatiques, mais de mauvais augure doit permettre de diminuer le risque de mort soudaine. Malheureusement, les essais randomisés ont montré que le taux de mortalité était plus élevé parmi les patients traités. Les cliniciens ont arrêté de prescrire ces médicaments, mais seulement après avoir causé un grand nombre de morts qui auraient pu être évitées. L’idée que les principes de la médecine factuelle devaient aussi guider la politique de santé a plus de mal à faire son chemin. Si, dans ce domaine, on ne peut faire des essais randomisés, il reste possible de suivre la principale règle de la médecine factuelle : fonder l’action sur le résultat d’expériences répondant aux meilleurs critères de qualité. Considérons la question du financement public ou privé des soins au moyen de l’impôt dans un cas, d’assurances privées ou du payement direct par le patient dans l’autre. Les assurances privées se sont révélées très coûteuses en raison des dépenses visant à démultiplier les offres et à en assurer la promotion et à évaluer les différentes demandes de remboursement. Ces dépenses n’existent pas dans le cadre du financement public, d’où un coût de fonctionnement bien plus faible. De la même manière, lorsque c’est au patient de payer, les pauvres et les personnes âgées se détournent de soins dont ils ont besoin, alors que le financement public supprime les inégalités dans l’accès aux soins et donne des résultats aussi bons, sinon meilleurs, que les modèles de financement mixte public-privé. D’autre part, le financement public favorise l’économie, car les grandes entreprises n’ont pas à consacrer un budget spécifique à l’assurance santé de leurs employés. Ainsi, l’expérience montre que le financement public de la chaîne de soins – de la consultation médicale à la fourniture de médicaments, en passant par l’hôpital et les examens médicaux – présente l’avantage de l’équité, de l’efficacité et de l’économie d’échelle. La communauté médicale en est venue à reconnaître le besoin d’une évaluation systématique des prescriptions médicales et des opérations chirurgicales, mais ce n’est qu’aujourd’hui que l’on y songe en matière de politique de santé. Cette évaluation systématique a permis de comparer les hôpitaux gérés par de grandes entreprises privées à ceux gérés par des organismes à but non lucratif. Les études correspondantes ont été effectuées pour l’essentiel aux USA, où gestionnaires de santé à but lucratif et à but non lucratif travaillent côte à côte dans le même environnement et où d’importantes bases de données permettent de comparer les taux de mortalité. Mais si ces études comportent des biais en raison de la sélection des patients (il y a davantage de décès parmi les patients les plus malades), on peut les corriger grâce à des éléments tels que l’âge, la gravité de la maladie et la comorbidité (notamment en ce qui concerne le diabète et l’hypertension) qui figurent dans les bases de données. Ces études systématiques montrent que le taux de mortalité est plus élevé dans les hôpitaux relevant du secteur privé, bien que les organismes payeurs dépensent davantage. Le même phénomène se manifeste dans les services de dialyse et l’on note une meilleure qualité de soins dans les maisons de repos hors secteur commercial. Les établissements de santé à but non lucratif fournissent de meilleurs soins à moindre coût pour une raison évidente. D’une part, le coût de fonctionnement des établissements à vocation commerciale est plus élevé et le salaire des cadres supérieurs plus élevé, d’autre part, contrairement aux établissements à but non lucratif, ils doivent générer des bénéfices pour leurs actionnaires. Ces coûts supplémentaires représentent environ 20 % du budget que les établissements à but non lucratif peuvent consacrer aux soins. Cela se traduit par des économies de bouts de chandelles, de soins de moindre qualité et au final un service rendu de moins bonne qualité. Les principes de la médecine factuelle ont transformé la manière de considérer les essais cliniques. Ils pourraient éviter que ne se répètent des erreurs médicales telles que la recommandation des hormones de remplacement lors de la ménopause ou de médicaments contre l’arythmie. Ces principes appliqués à la politique de santé permettraient de prendre de meilleures décisions. L’expérience montre qu’il vaut mieux que le système de santé soit financé sur fonds public et géré par des organismes à but non lucratif. * Gordon Guyatt est professeur d’épidémiologie clinique et de biostatistiques à l’université McMaster au Canada. © Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre que l’application de méthodes rigoureuses pour évaluer les médicaments et les pratiques médicales est une chose récente. Ils seraient tout aussi surpris d’apprendre que la même approche ne s’applique pas encore à la politique de santé.
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