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Actualités - REPORTAGE

Dominique Thomas analyse pour « L’Orient-Le Jour » les causes des attaques en Grande-Bretagne et en Europe L’Occident devrait rectifier ses relations avec le monde arabe Propos recueillis par Carine MANSOUR

Dominique Thomas, chercheur français associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHSS) et auteur de « Londonistan : le jihad au cœur de l’Europe », estime que pour contrer la menace terroriste, l’Occident devrait changer sa politique et rectifier sa communication avec le monde arabe. Pour Dominique Thomas, les attentats déjoués de Londres et de Glasgow n’interviennent pas à un timing particulier. «  À Madrid par exemple (11 mars 2004), il y avait un scénario prévu pour coïncider avec les élections espagnoles, explique-t-il, et effectivement les auteurs des attentats ont recherché un timing. Dans d’autres cas, souvent on s’aperçoit qu’on peut toujours rattacher un événement à un attentat, mais souvent c’est a posteriori, et ce n’est pas sûr que les auteurs l’avaient spécialement recherché. Je pense que le timing d’un attentat dépend plutôt de paramètres très basiques, locaux, comme la possibilité de réussir l’attentat, le moment où les éléments sécuritaires ou autres le permettront. Quelquefois, l’attentat est reporté d’un ou de deux jours. » Pour les enquêteurs britanniques, les attentats déjoués de la semaine dernière portent la marque d’el-Qaëda. Pourtant, le fait qu’ils n’ont pas abouti relève d’un certain amateurisme. L’expert français note en effet « une forme d’artisanat dans le mode opératoire. Mais quand les autorités britanniques attribuent ces attentats à une cellule proche ou qui appartient à el-Qaëda, je ne sais pas s’ils parlent d’une adhésion idéologique à el-Qaëda ou s’il s’agit de réseaux opérationnels qui ont des liens directs avec la nébuleuse de Ben Laden. Je pense que ce qu’on voit actuellement en Europe, ce sont des groupes basés sur des réseaux de solidarité grâce à des milieux sociaux, professionnels et sociologiques, et qui partagent les orientations ou le discours d’el-Qaëda d’une manière générale, mais qui n’ont jamais eu de contact direct avec des jihadistes, que ce soit en Irak ou en Afghanistan ; qui ne savent même pas ce que c’est qu’un combattant d’el-Qaëda. Par contre, ils ont une connaissance de la communication d’el-Qaëda sur Internet, via les chaînes satellitaires, surtout qu’el-Qaëda globalise son message », fait-il remarquer. « Effectivement, poursuit le chercheur, beaucoup de personnes sympathisent avec la cause d’el-Qaëda. À un moment donné, ces personnes ont la possibilité ou l’idée de passer à l’action. Ils sont dans une situation où ils doivent faire acte de solidarité, protéger un certain nombre d’éléments. » Selon M. Thomas, « si on démontre que ces médecins d’origines jordanienne, irakienne et palestinienne ont vraiment été à l’étranger et se connaissaient avant, ont fait des passages en Irak, ont été formés dans les universités irakiennes en entretenant des contacts avec des combattants de la résistance en Irak, à ce moment-là on pourrait penser qu’el-Qaëda avait projeté une attaque. Mais dans le cas de ces attentats manqués, je ne pense pas qu’on soit dans un scénario de ce type », estime-t-il. En revanche, fait valoir l’expert, il existe d’autres cas de figure, comme lors des attentats du 7 juillet 2005. Leurs auteurs présumés « s’étaient rendus au Pakistan et s’étaient mis en contact grâce à une dynamique qui s’était déroulée là-bas. D’autres avaient fait une expérience étrangère jihadiste au Cachemire... » Dans ce cadre, note M. Thomas, « il existe un effet de groupe et un effet de délocalisation due à la formation idéologique à l’étranger ». En revanche, pour le cas des attentats manqués de Londres et de Glasgow, il existe « vraisemblablement une dynamique de groupe au sein d’un corporatisme médical, avec pas forcément un lien avec el-Qaëda. Donc on est plus dans le scénario d’une cellule autonome qui aujourd’hui applique le discours d’el-Qaëda », relève le spécialiste de l’islam politique. À ses yeux, «  c’est un phénomène qui va être de plus en plus actif, notamment en Europe, avec des personnes qui se mettent en état de passer à l’action, face à un discours qu’ils réceptionnent et qu’ils vont ensuite interpréter selon leur propre grille de lecture ». Traquer ce genre de cellule est extrêmement difficile, reconnaît M. Thomas. « En Europe, naturellement, personne ne peut soupçonner toutes les personnes d’origine musulmane ou du monde arabe, certaines venant pour des raisons familiales ou professionnelles. Il va falloir que les services de sécurité prennent en compte les parcours et éléments biographiques qui peuvent éventuellement leur donner des indices ou des soupçons. Mais je crois que de toute façon, si on veut tenter de résoudre ce problème-là, la solution est essentiellement politique et non policière. C’est-à-dire qu’il faut réfléchir d’une manière globale au type de relations que l’Occident veut nouer avec le monde musulman et les régimes arabes pour essayer d’endiguer les phénomènes de violence, qui aujourd’hui se nourrissent des terrains existants dans tout le monde musulman, de l’Afghanistan jusqu’à la Palestine, en passant par l’Irak, la Tchétchénie, le Cachemire et d’autres phénomènes », explique le chercheur. « Tant qu’il y aura une présence de ce phénomène-là, il y aura des problèmes entre l’Occident et le monde musulman », insiste-t-il. Mais outre l’aspect politique, le problème avec el-Qaëda et les groupes qui partagent le même discours n’est-il pas aussi idéologique, celui d’un choc entre deux religions ? « Naturellement, répond Dominique Thomas. Derrière le discours politique d’el-Qaëda, se greffe un discours idéologique, théologique, de confrontation entre un monde infidèle et un monde musulman. Mais à côté de ce discours, le discours politique porte sur l’ingérence du monde occidental dans les affaires musulmanes, mais également sur la légitimité politique d’un certain nombre de pays arabes. C’est sur ces deux plans qu’il faudrait trouver des solutions. Mais on ne peut pas régler la communication sur le plan théologique en affirmant que le problème de l’islam est un problème essentialiste. La question de l’islam, c’est qu’il faudrait avoir des forces modérées qui puissent également s’exprimer face à l’extrémisme. Lorsqu’on écoute les discours des mouvements jihadistes d’obédience sunnite, on s’aperçoit très rapidement qu’au-delà d’un discours idéologique, il y a toujours un discours chargé de revendications politiques », souligne-t-il. Assiste-t-on aujourd’hui à une dissémination des jihadistes d’Irak en Europe et peut-être au Liban ? Pour le chercheur français, « la dissémination des jihadistes qui viennent d’Irak est un phénomène qui va rejaillir dans le monde musulman, comme celui des jihadistes afghans ». Toutefois, nuance-t-il, « l’Europe est moins touchée parce ce que le nombre de combattants partis en Irak et qui sont supposés rentrer est très faible. Par contre, on a un gros souci dans le monde musulman, notamment dans les pays limitrophes comme la Syrie, la Jordanie et le Liban, avec les mouvements jihadistes dans les camps palestiniens, mais aussi dans les mouvances sunnites radicales libanaises. Ce phénomène existe aussi au Yemen, en Arabie saoudite, voire au Maghreb. Selon M. Thomas, « ces éléments armés posent problème parce qu’il sont très déterminés et ont acquis une expérience de jihadistes de guérilla urbaine. Ils savent très bien manier les explosifs, notamment les “Road Side Bombs”, précise-t-il. On a vu que lors des attaques contre des personnalités politiques au Liban, le mode opératoire d’une “Road Side Bomb” est très proche de celui utilisé par les groupes jihadistes en Irak. Ce sont les mêms méthodes », conclut-il.
Dominique Thomas, chercheur français associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHSS) et auteur de « Londonistan : le jihad au cœur de l’Europe », estime que pour contrer la menace terroriste, l’Occident devrait changer sa politique et rectifier sa communication avec le monde arabe.
Pour Dominique Thomas, les attentats déjoués de Londres et de Glasgow ...