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« Ils sont morts pour nous, à mille lieues de chez eux », se lamentent les habitants de Klaya, Ibl el-Saki et Marjeyoun Les six parachutistes du contingent espagnol de la Finul devaient rentrer au pays en juillet Patricia KHODER

Un véhicule de transport de troupe blindé calciné, réduit en un tas de ferraille et recouvert d’une bâche est transporté sur un remorqueur blanc de la Finul. Le remorqueur fait partie d’un convoi de jeeps et de blindés aux couleurs des soldats de la paix, conduit par des Casques bleus du contingent espagnol, au visage crispé et à la mine défaite. Ces véhicules militaires viennent de quitter le site de l’attentat terroriste qui avait visé, dimanche soir, sur la route de Dardara, à Khiam, une patrouille du contingent espagnol, faisant six tués et deux blessés dans les rangs des Casques bleus. Cet attentat est le premier du genre depuis l’adoption de la 1701, voire depuis la création de la Finul en 1978. Le convoi est suivi quelques heures plus tard par un autre comprenant un camion qui transporte des débris du VTT ramassés sur les lieux de l’explosion, des pièces détachées, les restes d’une roue calcinée et autres objets métalliques. Avant qu’il ne soit soufflé et calciné par l’explosion, ce véhicule transportait huit parachutistes espagnols, qui effectuaient une patrouille ordinaire. Deux d’entre eux ont été blessés et transportés à l’hôpital Hammoud de Saïda. Ils devaient être rapatriés dans la nuit à bord d’un avion militaire espagnol. Les six autres, Jonathan Galea, Manuel David Portas, Juan Carlos Villora, Alejandro Castello, Jefferson Vagas et John Edison Posada (les trois derniers étant des soldats colombiens servant dans les rangs de l’armée espagnole) ont péri sur-le-champ. Selon des témoins, leurs corps ont été déchiquetés et calcinés. Ils étaient âgés entre 18 et 21 ans et devaient rentrer chez eux au début du mois de juillet, après avoir passé quatre mois au Liban-Sud, à l’instar de la plupart des Casques bleus servant dans les rangs de la Finul renforcée. Les huit jeunes hommes venaient de quitter le poste de Tell Nhass, baptisé par le contingent espagnol poste 966, à proximité de la frontière libano-israélienne pour effectuer une patrouille ordinaire. C’est que dans le secteur de Marjeyoun-Hasbaya, soixante-dix patrouilles sont effectuées au quotidien par les Casques bleus, quarante d’entre elles (trente durant la journée et dix la nuit) sont assurées par les soldats espagnols. Ce secteur regroupe des soldats libanais et des Casques bleus de neuf pays (l’Espagne, la Finlande, l’Irlande, la Pologne, la Malaisie, l’Inde, l’Indonésie, le Népal, la Chine). C’est le contingent espagnol, qui compte 1 100 soldats, qui commande cette zone sur le plan onusien. Quelques instants donc après avoir quitté Tell Nhass, les huit parachutistes espagnols ont été la cible d’un attentat : une voiture piégée, une Renault Rapid, stationnée à la gauche de la chaussée, actionnée par télécommande, a explosé au passage de la patrouille. Selon les premiers éléments de l’enquête, la déflagration due à une charge d’au moins 50 kilogrammes de matière hautement explosive a provoqué une crevasse de deux mètres de diamètre et d’un mètre de profondeur. Selon des sources proches de l’enquête, la manière avec laquelle la voiture piégée a été préparée, notamment sur le plan de son chargement en explosifs, est semblable à la méthode utilisée lors des explosions qui avaient visé le ministre Élias Murr et qui avaient coûté la vie aux députés de Beyrouth Gebran Tuéni et Walid Eido. Khiam et Debbine L’explosion a eu lieu sur la route de Dardara, une zone de Khiam très fréquentée en week-end, car elle présente plusieurs restaurants sur les rives d’un fleuve. Le chemin suivi par la patrouille cible de l’attentat est bien visible à partir d’une route qui mène à Khiam, village majoritairement chiite de la bande frontalière et regroupant, à l’instar du village de Debbine – situé non loin de là –, des partisans du Hezbollah. Selon des habitants de la région, le contingent espagnol a été, malgré tous les efforts qu’il a déployés, mal accueilli dans ces deux villages. Ainsi, les soldats ont été accusés à Debbine de prendre des photos de sites militaires du Hezbollah, d’espionner les habitants. Toujours selon les habitants des villages voisins, à Khiam, les soldats espagnols ont même été accusés d’avoir agressé une femme, alors que les Casques bleus avaient perdu leur chemin et demandaient tout simplement leur route. À plusieurs reprises, les patrouilles espagnoles avaient été la cible de jets de pierres. Les enfants leur faisaient des grimaces ou les insultaient…Certes, les habitants de Khiam et de Debbine démentent les faits, parlent de « malentendus ». Pourtant, le contingent espagnol avait déployé d’énormes efforts pour être accepté par tous les habitants de la région Hasbaya-Marjeyoun, qui compte des habitants appartenant aux communautés sunnite (Chebaa et Kfarchouba), chiite, druze et chrétienne. Dans ce cadre, depuis l’adoption de la 1701, le ministère espagnol des Affaires étrangères a consacré 39 millions de dollars au Liban-Sud. L’argent est réparti entre le développement et les aides humanitaires. Ainsi, dans toute la zone, des routes ont été asphaltées, des zones ont été nettoyées des bombes à sous-munitions, des conduites d’eau ont été installées. Le contingent espagnol a aidé aussi les écoles de la région tout le long de l’année scolaire, distribuant le nécessaire aux enfants. Il a également offert des cadeaux aux enfants des localités aussi bien pour Noël que pour la fête de l’Adha. Ses dispensaires ambulants assurent aussi des soins et distribuent des médicaments à tous les habitants de la région. Hier donc, dans le caza de Marjeyoun, les habitants des localités manifestaient leur peine ou leur indifférence, selon leur appartenance politique et religieuse. La journée était ordinaire à Khiam, les commerçants s’asseyant à l’ombre devant leur épicerie, conversant de tout et de rien. Plusieurs d’entre eux affirment n’avoir pas entendu la déflagration de dimanche. La plupart d’entre eux, même s’ils disent qu’ils sont chagrinés par la mort de Casques bleus, affirment que cette affaire ne les concerne pas. Ainsi, Hassouna, qui tient un magasin de quincaillerie, lance : « Depuis des années, il y a des problèmes au Liban-Sud. Tous les jours, des bombes à sous-munitions explosent, tuant et blessant des Libanais. Oui, j’ai entendu la déflagration. Je n’ai pas bougé, j’ai continué ma journée d’une façon ordinaire. Pourquoi dois-je me sentir concerné par la mort de soldats espagnols ? » Amine, sexagénaire, est assis devant son épicerie avec un groupe d’amis. Même s’ils rient à pleins poumons en blaguant entre eux, ils se disent « très tristes pour les soldats espagnols ». Amine et ses copains dénoncent les terroristes qui se cachent derrière l’attentat. Qui sont ces terroristes ? « (Le Premier ministre) Fouad Siniora, (le ministre de la Jeunesse et des Sports) Ahmad Fatfat, (le chef du PSP) Walid Joumblatt et (le chef des FL) Samir Geagea », répond-il. Ses camarades approuvent. Ces hommes disent que malgré l’attentat de dimanche ils se sentent toujours en sécurité : « Le Hezbollah est toujours là. À Khiam, comme dans d’autres villages de la zone, c’est lui qui assure la sécurité », indique Hussein. Un peu plus loin, Ali nous conseille d’aller poser nos questions « aux services de sécurité libanais. Ce sont eux qui traitent avec les Américains et les Israéliens. Ce sont eux qui orchestrent tous ces attentats dans le seul but de déstabiliser le pays pour désarmer le Hezbollah. Ils se trompent. Nous sommes beaucoup plus forts que ça ». Ali dénonce aussi « les salafistes financés par l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie et le gouvernement Siniora ». À l’entrée de Debbine, un homme qui tient une épicerie et qui se présente comme membre du conseil municipal vérifie les papiers d’identité des journalistes. Il se dit triste pour les soldats espagnols. Il précise qu’il se sent en sécurité grâce à l’armée libanaise, la Finul et le Hezbollah. Si tout le monde veille sur la sécurité au Liban-Sud, qui a réussi à laisser au bord de la route une voiture piégée ? L’homme sort de ses gonds : « N’essayez surtout pas d’accuser le Hezbollah. Un combattant du Hezb vaut 36 000 Espagnols. D’ailleurs, nous avons toujours nos armes. » Puis son regard croise celui de ses camarades, il baisse le ton, affirme qu’il était tout simplement en train de plaisanter. Villages en deuil L’ambiance est tout à fait autre à Ibl el-Saki – non loin de la base Cervantes de Blat, quartier général du contingent espagnol –, Klaya, Bourj el-Moulouk et Marjeyoun, où beaucoup de magasins ouverts grâce à la présence des Casques bleus espagnols ont gardé leurs rideaux de fer baissés. Dans ces localités qui abritent des chrétiens et des druzes, des drapeaux espagnols flottent devant plusieurs fonds de commerce. Un bon nombre de magasins, de restaurants et de pubs portent des noms espagnols. Ici des écriteaux portant le drapeau bleu et blanc de la Finul et rouge et jaune de l’Espagne désignent les projets financés par le gouvernement espagnol. À Ibl el-Saki, la quasi-totalité des fonds de commerce, même les stations d’essence, ont fermé leurs portes. « C’est grâce au contingent espagnol que nous sommes en train de travailler. Les soldats espagnols emploient 90 personnes du village. Ils sont gentils, bien élevés, proches de tout le monde, respectueux… C’est horrible. Ils ne méritent pas ça. Ils ont quitté leur pays, pour venir ici, au fin fond du diable. Ils sont morts chez nous », indique Nadim qui n’a pas ouvert son épicerie. Dany a été obligé d’ouvrir son restaurant pour préparer un déjeuner à des observateurs de l’Onust, qui ont l’habitude de manger chez lui. « Je dois sûrement connaître de vue les soldats qui sont morts. Je pense à leurs familles. Comment leurs parents vont apprendre la nouvelle… Je suis tellement triste… Ils sont là pour la paix. Ils ont quitté les siens pour nous protéger à nous. Quand on est soldat de la paix, on ne doit pas être la cible d’assassins », indique-t-il, les yeux embués de larmes. Khaled, lui, tient un magasin de souvenirs non loin de là. Il se souvient qu’avant la guerre de juillet, un observateur canadien de l’Onust lui avait commandé des sacs personnalisés portant les prénoms de son épouse et de ses enfants. L’observateur a péri durant la guerre. Khaled avait envoyé les sacs qu’il avait commandés à sa famille. « Je voulais faire plaisir à sa femme et à ses enfants. Personne n’oblige les Casques bleus ou les observateurs onusiens à mourir pour nous… Il y a des soldats espagnols qui m’avaient demandé le même genre de souvenirs. Ils doivent partir en juillet. J’espère que ceux qui sont morts ne sont pas parmi eux », indique Khaled. À Ibl el-Saki, comme à Marjeyoun et Klaya, où les commerçants comptent observer trois jours de deuil, ceux qui accusent la Syrie et ses alliés au Liban préfèrent garder l’anonymat. Plus d’un indique qu’il faut connaître vraiment la région et les horaires des patrouilles pour pouvoir perpétrer un tel attentat. D’autres disent que l’attentat de dimanche leur a étrangement rappelé ceux perpétrés contre les soldats de l’État hébreu sous l’occupation israélienne. À Klaya, Georges, propriétaire d’un magasin de souvenirs, s’insurge : « Leurs véhicules sont peints en blanc, la couleur de la paix… Et malgré cela, certains ont décidé de les tuer. » Il montre les pièces artisanales personnalisées que des parachutistes de Tell Nhass lui avaient commandées : du bois de cèdre où sont imprimés le drapeau libanais, celui de l’ONU et le nom du soldat. Georges parle de la gentillesse des Casques bleus espagnols, de leur foi chrétienne. « Ils célèbrent la messe avec nous les dimanches », raconte-t-il. Et puis, résolu, il indique : « Si la Finul part, nous quitterons la zone avec elle. Les Casques bleus et l’armée libanaise sont les seuls garants de notre sécurité. » Une patrouille espagnole de la Finul passe. Sur le trottoir, Georges lui fait un signe de la main, serre le poing en signe d’encouragement. Les soldats, dans leur blindé, sourient et répondent à son salut. Georges continue à agiter la main jusqu’au passage de tous les véhicules du convoi. Et quand le dernier blindé passe, il sèche une larme.
Un véhicule de transport de troupe blindé calciné, réduit en un tas de ferraille et recouvert d’une bâche est transporté sur un remorqueur blanc de la Finul. Le remorqueur fait partie d’un convoi de jeeps et de blindés aux couleurs des soldats de la paix, conduit par des Casques bleus du contingent espagnol, au visage crispé et à la mine défaite.
Ces véhicules militaires viennent...