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Actualités - OPINION

Défiance envers l’armée : le prix à payer Nadim HASBANI

Il est temps pour la France et les États-Unis de tirer des leçons des affrontements entre l’armée libanaise et la milice islamiste Fateh el-Islam au Liban-Nord. Les affrontements du camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared au Liban-Nord, les attentats à la bombe et les assassinats politiques dont celui du député Walid Eido possèdent un dénominateur commun. Il ne s’agit pas de se limiter uniquement à l’hypothèse du lien avec l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ou de la théorie répandue qui concerne la main syrienne. Ces affrontements et la série interminable d’attentats et d’assassinats politiques sont surtout la résultante d’un État et d’appareils sécuritaires libanais en voie d’extinction. Le Liban risque fortement de se transformer en État paria. Cette idée a d’ailleurs été remise au goût du jour cette semaine par une étude du prestigieux magazine américain Foreign Policy. La faiblesse traditionnelle des institutions libanaises est imputable avant tout au système politique confessionnel et clientéliste choisi par les Libanais. Cependant, depuis le retrait syrien du Liban en avril 2005, elle a été accentuée par les pays tiers, y compris la France et les États-Unis qui se posent pourtant en champions de la souveraineté du Liban. En apportant leur soutien à l’une des factions libanaises contre d’autres, plutôt qu’à l’État dans sa totalité, ils ont contribué à saper les fondements de ce dernier, qui repose sur des équilibrages précaires entre différentes communautés religieuses. Pareille situation a déjà coûté à la France et aux États-Unis des centaines de morts parmi leurs soldats, déployés au Liban dans le cadre d’une force multinationale mise sur pied dans les années 80. Aujourd’hui, les démocraties occidentales appuient le gouvernement de Fouad Siniora en faisant valoir qu’il est légitimement élu. Mais peut-on vraiment se permettre d’ignorer l’opposition dans un pays où la stabilité dépend du consensus et de la participation de toutes les communautés au pouvoir exécutif ? La présence syrienne au Liban, qui s’est étalée sur trois décennies, a enraciné un système politique où, tragiquement, l’État ne peut désormais fonctionner sans médiation extérieure. Aujourd’hui, toutes les institutions politiques ont perdu leur légitimité à mesure que l’élite dirigeante se déchirait. Le gouvernement élu n’est pas reconnu par le président de la République ; le président n’est pas reconnu par la majorité parlementaire ; le Conseil constitutionnel, censé être l’arbitre ultime des contradictions et conflits suscités par le système politique, reste dissous. Pour parvenir à protéger le Liban d’une série d’attentats et de clashs dont la liste semble vouée à s’allonger et qui risque de mener à son effondrement, il aurait fallu avant tout renforcer l’État libanais en lui donnant les moyens d’exercer sa souveraineté. Mais la réforme sécuritaire vitale au renforcement de l’État et à la stabilité du pays n’a pas été entreprise à la suite du retrait syrien en 2005. L’armée libanaise, sous-équipée et sous-entraînée depuis la fin de la guerre civile en 1990, les forces de sécurité, les agences de renseignements, de contre-espionnage, autrefois contrôlées par la Syrie, s’avèrent aujourd’hui inefficaces. La concurrence et le manque de coordination entre les différentes institutions sécuritaires libanaises ne sont plus admis. Les Forces de sécurité intérieure ont « omis » par exemple de prévenir l’armée que les membres poursuivis de Fateh el-Islam le 20 mai sont plus nombreux et mieux armés que prévu et que la bataille risque de se propager au camp de Nahr el-Bared où se base le groupuscule islamiste. Ce n’est qu’avec un pareil vide sécuritaire et un manque de coordination que se sont engouffrés récemment des mouvements jihadistes. Le gouvernement libanais n’a pas eu non plus la volonté politique nécessaire pour mettre un frein au développement des groupuscules islamistes dans les camps de réfugiés palestiniens de Aïn el-Heloué et Nahr el-Bared. Cette mollesse n’a pas encouragé à son tour les pays occidentaux, à soutenir l’armée libanaise qui, pourtant, mérite leur confiance. Par conséquent, les promesses de dons en équipements militaires n’ont pas étés tenues. Les États-Unis n’ont pas livré leurs 250 véhicules Hummer, les Belges n’ont pas livré les 45 chars Léopard et autres canons Howitzer promis, etc. Les récentes livraisons de munitions « en dernière minute » ont été certes très utiles, mais ont renforcé l’impression d’une instrumentalisation de l’armée libanaise en faveur d’un camp politique. L’armée avait réussi jusque-là à garder cette neutralité vitale vis-à-vis de tous les courants politiques qui s’entretuent, et ce malgré une polarisation politique extrême. Face à ce vide sécuritaire et à la paralysie politique croissante, la seule institution étatique qui jouit au Liban et jusqu’à ce jour de la très précieuse légitimité transversale, que ce soit parmi les sunnites, les chiites, les chrétiens ou les druzes, reste l’armée. Les pays occidentaux, dans un désir de renforcer l’État libanais et ses institutions auraient dû armer et renforcer l’armée dans le cadre d’une stratégie à long terme et qui soit bien définie, loin des instrumentalisations perverses. Ce vide sécuritaire, que l’armée, dans son état actuel et malgré son non-alignement politique, ne saurait combler reste une invite à des groupes islamistes étrangers comme Fateh el-Islam. Le Liban a de quoi les tenter, à la fois par la présence de nombreuses troupes étrangères relativement exposées au Liban-Sud et par la possibilité de faire sombrer l’État par quelques attentats sectaires bien ciblés. Encore une fois, et pour ne pas répéter les erreurs commises par la France et les États-Unis dans les années 80, il ne s’agit pas d’instrumentaliser une faction libanaise contre l’autre, mais de soutenir les institutions d’un État. L’affaiblissement mortel des institutions libanaises et l’anarchie au Liban ne seront utiles qu’à d’autres organisations jihadistes semblables à Fateh el-Islam qui risquent d’engager l’armée dans les camps de réfugiés des alentours de Tyr… une zone sous contrôle de la force d’interposition de l’ONU et de ses contingents européens. Il sera alors trop tard et le soutien franco-américain à une partie libanaise contre l’autre aura déjà coûté cher. Nadim HASBANI Chercheur à l’Institut français de géopolitique et directeur de la société d’analyse des risques politiques au Moyen-Orient, MideastRisk Article paru le Vendredi 22 Juin 2007
Il est temps pour la France et les États-Unis de tirer des leçons des affrontements entre l’armée libanaise et la milice islamiste Fateh el-Islam au Liban-Nord. Les affrontements du camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared au Liban-Nord, les attentats à la bombe et les assassinats politiques dont celui du député Walid Eido possèdent un dénominateur commun. Il ne...