Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Perquisitions dans plusieurs villages de la Békaa à la recherche de cellules fondamentalistes À Bar Élias et Ghazza, arrestation d’étrangers et de Libanais bénéficiant d’une double nationalité

Une dizaine de personnes ont été arrêtées au cours de la semaine dernière dans plusieurs villages de la Békaa, notamment à Bar Élias et Ghazza. Selon les autorités concernées, ces individus auraient des liens avec des groupes fondamentalistes, notamment el-Qaëda. Les services de renseignements de l’armée ont perquisitionné diverses maisons dans ces localités, retrouvant notamment trois voitures piégées cachées dans un garage à Bar Élias. Dans les villages en question, on ne parle pas facilement des personnes arrêtées, de peur que l’on soit soi-même interpellé ou que les proches des familles des individus appréhendés sachent que l’on dit du mal d’eux. Les habitants craignent tout simplement que les groupes à qui appartiennent les individus arrêtés, ou les partis qui les soutiennent, se vengent. Étrangement, les histoires recueillies présentent des similitudes avec d’autres affaires semblables. Ainsi, à Bar Élias, où trois étrangers ont été mis aux arrêts, les faits rappellent l’arrestation, en avril dernier, à Dora, Achrafieh et Kornet Chehwane de groupes appartenant à Fateh el-Islam impliqués dans le double attentat de Aïn Alak. À Ghazza, où deux notables du village ont été arrêtés, on ne peut que se souvenir de Ziad Jarrah, l’ingénieur libanais appartenant à la cellule allemande d’el-Qaëda, ayant piloté l’avion de Pennsylvanie, le 11 septembre 2001. Justement, Marj, le village de Ziad Jarrah, est situé à quelques kilomètres de Ghazza et de Bar Élias, villages exclusivement sunnites de la Békaa. À quelques kilomètres de la frontière syrienne, il faut bifurquer à gauche pour arriver à Bar Élias. « La localité compte environ 30 000 habitants, 15 000 Libanais et 15 000 étrangers », racontent les habitants qui se présentent comme « les habitants pure souche » de la localité. C’est que Bar Élias, important village agricole ayant besoin d’une main-d’œuvre étrangère pour le travail des champs, accueille des ouvriers syriens, des réfugiés palestiniens et des tribus arabes, devenues sédentaires et ayant été naturalisées en 1994. Et comme partout ailleurs, quand les choses commencent à aller mal, on pointe du doigt les étrangers… De plus, à Bar Élias, deux individus arrêtés sont syriens, un autre est saoudien et un quatrième est un jeune homme appartenant à une tribu arabe dont les membres avaient été naturalisés en 1994. Les services de renseignements de l’armée ont également arrêté des personnes originaires du village, pour interrogation, notamment un vendeur de téléphones portables et de cartes téléphoniques, et un épicier. Ces derniers avaient côtoyé de près les malfaiteurs. « Notre village a toujours été accueillant. Nous avions besoin des ouvriers syriens et des bédouins pour travailler la terre. Ces derniers ont été naturalisés en 1994 par l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Quant aux Palestiniens, ils sont arrivés à Bar Élias en 1948, comme tous les réfugiés. Notre village compte le plus de réfugiés palestiniens dans la Békaa, après certes le camp de la Galilée, à Baalbeck », explique un homme. Lui, comme beaucoup d’autres habitants du village, souhaite que « l’armée mène à bien son travail et que le gouvernement puisse installer son autorité sur tout le Liban ». À Bar Élias, on rappelle également, à qui tente de l’oublier, que la majorité des habitants du village appartiennent au Courant du futur et qu’ils avaient manifesté au centre-ville après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, bien avant le retrait syrien de la Békaa. Pour arriver à l’appartement et au garage perquisitionnés par la troupe, il faut aller au secteur Maccaoui. C’est dans cette zone que les services de renseignements de l’armée ont arrêté les deux Syriens et le Saoudien, qui avaient loué un appartement, il y a tout juste un mois et demi. L’histoire de ce groupe rappelle étrangement celle des cellules démantelées à Beyrouth-Est, un mois après l’attentat de Aïn Alak : les locataires paient leur loyer rubis sur l’ongle, aucun voisin ne se plaint d’eux, ils sont propres et habillés correctement, ils ne parlent pas entre eux en public, ils se déplacent à bord d’une motocyclette, ils sont très discrets et, dès leur arrivée, ils ont installé des rideaux épais aux fenêtres. Oum Mohammad habite le rez-de-chaussée de l’immeuble, où les trois malfaiteurs s’étaient installés. « Ils ne m’ont jamais adressé la parole, souligne-t-elle. Je n’ai jamais entendu le timbre de leur voix. L’un d’eux me donnait la trouille quand je le croisais. C’était des gens qui avaient les moyens. Ils mangeaient tout le temps des plats cuisinés dans les restaurants. Dans leur poubelle, il y avait plein de cartons et de plastiques d’emballages portant les sigles de restaurants de la zone ou de boulangeries. » « Ils ne faisaient pas de bruit, à part le vrombissement du générateur électrique qu’ils avaient installé car, comme m’avait raconté la propriétaire de l’immeuble, ils travaillaient dans l’informatique et avaient besoin du courant 24 heures sur 24 », raconte-t-elle. Elle se souvient aussi que lorsque le pilote de sa propre télévision était tombé en panne, son mari était monté chez les voisins censés être des experts en informatique pour de l’aide, mais en vain. Le témoignage d’Oum Marwan Au premier étage, juste en face de l’appartement, mis sous scellés par les autorités, se trouve la maison d’Oum Marwan, la propriétaire de l’immeuble. « Dès qu’ils sont arrivés, ils ont installé des rideaux et changé la serrure de la porte d’entrée. L’un d’eux m’a dit qu’il s’appelait Tarek. Les autres ne m’ont jamais adressé la parole. D’ailleurs, quand je les croisais dans les escaliers, ils baissaient tout le temps la tête. J’ai cru que c’était par timidité. Cela fait exactement un mois et demi qu’ils sont arrivés. Je n’ai jamais senti leur présence. Ils ne faisaient pas de bruit. Ils ne m’ont jamais laissé entrer dans l’appartement. Tarek me donnait le loyer ou l’abonnement de l’électricité sur le pas de la porte. Quand je frappais chez eux, je m’identifiais pour qu’ils ouvrent la porte », raconte-t-elle. Oum Marwan se souvient qu’elle « les avait prévenus un jour que la municipalité devait venir pour recenser les étrangers qui se trouvent dans le village. Les policiers m’ont raconté ensuite qu’ils étaient venus à trois reprises dans l’immeuble, mais que le groupe ne leur a jamais ouvert la porte », dit-elle. Il faut emprunter une route en terre battue, qui serpente dans des champs de blé, pour arriver au garage où les autorités ont trouvé trois voitures piégées, dont une camionnette. Ce garage avait été loué par les individus arrêtés dans l’appartement d’Oum Marwan. Ici aussi on donne la même version. Les habitants n’ont jamais entendu du bruit, n’ont jamais remarqué les déplacements des trois individus et n’ont jamais pu imaginer qu’il puisse y avoir des voitures piégées cachées à quelques mètres de chez eux. Le propriétaire du garage est un homme de la tribu Loueiss. Il habite le quartier bédouin de Nahriyé. Lui n’a jamais vu les locataires des lieux. C’est son neveu, actuellement arrêté, qui a servi d’intermédiaire. Il est difficile à un étranger de se promener seul dans ce quartier. Il est vite repéré, filé et invité à prendre un café dans une maison bâtie en dur, mais qui ressemble terriblement à une immense tente. Ici la terre est recouverte de tapis et de coussins où l’on s’installe. Le café à la cardamome est servi dans une grande tasse et, si vous plaisez à votre hôte, il vous invitera à vous installer sur une chaise en plastique ou sur un fauteuil usé traînant dans un coin. Rencontres au marché Cheikh Ahmad Loueiss, responsable de la tribu qui porte le même nom, raconte qu’à l’instar de tous les membres de sa famille, il a été naturalisé en 1994. Il dit aussi que toute sa tribu, comme les autres tribus arabes de la Békaa, s’est rendue à plusieurs reprises au centre-ville pour prendre part aux manifestations de la révolution du Cèdre. « Nous nous sommes sédentarisés en nous installant dans ce village il y a plus de cinquante ans », affirme-t-il. Il tient à raconter l’histoire de l’un des membres de sa tribu actuellement en prison. « Ce jeune homme travaille au marché. Dans tous les villages de la zone, notamment à Marj, Bar Élias, Taalabaya et Ghazza, il y a un marché par semaine. Les marchands se déplacent donc selon les jours. Ce jeune homme vend de la quincaillerie et des ustensiles en plastique. Il a fait la connaissance d’un Syrien, son voisin au marché. Il le retrouvait dans tous les villages durant les jours de marché. Un jour, ce Syrien lui a demandé s’il pouvait lui trouver un garage à louer pour qu’il puisse, avec d’autres marchands syriens, stocker de la marchandise. Le jeune homme s’est donc adressé à son oncle qui a accepté de louer ses garages sans pour autant rencontrer le marchand syrien. Le jeune Loueiss a donc remis l’argent de la location à son oncle d’une part et les clés du garage au marchand syrien de l’autre », raconte Ahmad Loueiss. Le garage a été utilisé par les trois bandits arrêtés dans l’appartement d’Oum Marwan. On ne sait pas si ledit marchand syrien a été arrêté. Argentine et Venezuela Il faut reprendre la route principale pour arriver à Ghazza. Ici la situation est tendue et les habitants sont très méfiants. Politiquement, le village est divisé entre deux courants, celui du Futur et le Baas syrien. Le village est celui de Abdel-Rahim Mrad, ancien ministre prosyrien. Dans ce village, où deux individus « profondément religieux », selon toutes les personnes interrogées au village, ont été arrêtés et où un autre a pris la fuite, tout le monde se guette. Voici donc l’histoire, après diverses vérifications auprès des habitants du village qui veulent garder l’anonymat. Les services de renseignements de l’armée ont perquisitionné trois maisons lundi dernier. L’une des maisons est celle d’un maçon d’une vingtaine d’années, né d’une mère originaire du village et d’un père syrien. Peu avant la perquisition, le jeune maçon a pris la fuite, ce qui pousse tous les habitants du village à penser qu’il doit être impliqué dans une quelconque histoire. Ce maçon est très religieux. Il porte la barbe, il prie cinq fois par jour, n’écoute pas de la musique, ne fait plus de sport. Il a même arrêté de voir ses anciens amis et s’est éloigné de sa famille. Avant de rencontrer un homme venu récemment au village, il dansait et buvait de l’alcool. L’homme en question, qui a été arrêté par l’armée, est un Vénézuélien d’origine libanaise. Il est rentré au Liban, il y a cinq ans, avec sa femme qui porte des gants noirs et un voile noir qui lui cache tout le visage, sauf les yeux. Ce garçon appartient à une famille aisée du village qui est présente au Venezuela depuis plus de cinquante ans. La famille, qui habite dans un bâtiment en pierres blanches, est croyante sans pour autant être fondamentaliste. Elle est connue au village pour sa générosité, surtout durant le ramadan. À Ghazza, tout le monde sait que le jeune homme est très religieux. Il prie surtout dans des mosquées hors du village, notamment à Marj et à Majdel Anjar où il existe des mosquées tenues par des cheikhs salafistes. Au village, on parle aussi du mariage de l’une de ses nièces. Durant la cérémonie, il a empêché les invités d’écouter de la musique et la jeune mariée de porter sa parure en or. Pour lui, ce genre de choses relève d’habitudes païennes, étrangères à l’islam. Certains habitants ne peuvent pas concevoir l’idée qu’il puisse appartenir à une cellule terroriste, affirmant qu’il est tout simplement « religieux » et que les militaires n’ont pas retrouvé des armes chez lui, alors que d’autres enfoncent le clou et parlent d’une maison perquisitionnée à Khiara, de laquelle il s’est évadé en se déguisant en femme voilée de noir. L’autre individu arrêté au village est également un Libanais au passeport vénézuélien. Lui aussi est religieux. Sa famille vit au Liban depuis deux ans, alors que lui se déplace entre la Chine, l’Arabie saoudite, les États-Unis, le Venezuela et le Liban. Lui aussi est très aisé, distribuant des aides aux nécessiteux du village. Il a été arrêté alors qu’il se trouvait chez son ami qui porte comme lui la double nationalité libanaise et vénézuélienne. L’armée a arrêté plusieurs autres personnes dans divers villages de la Békaa, notamment à Taalabaya et Jdita. Parmi les personnes arrêtées, un Libanais ayant également la nationalité argentine. Parmi les endroits perquisitionnés, les locaux d’une association religieuse qui distribue des médicaments aux nécessiteux. L’enquête est en cours. Patricia KHODER

Une dizaine de personnes ont été arrêtées au cours de la semaine dernière dans plusieurs villages de la Békaa, notamment à Bar Élias et Ghazza. Selon les autorités concernées, ces individus auraient des liens avec des groupes fondamentalistes, notamment el-Qaëda. Les services de renseignements de l’armée ont perquisitionné diverses maisons dans ces localités, retrouvant...