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Actualités - OPINION

Faites entrer les accusés…

C’est sans doute un grand jour pour le Liban. Devant nos yeux incrédules et blasés, le tribunal international voit enfin le jour. Deux ans et trois mois après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Hariri, la justice est enfin en marche. Deux ans et trois mois seulement ? Je n’en suis pas si sûre. Il faut compter trente bonnes années avant le 14 février 2005. Notre combat n’a pas commencé le jour de l’assassinat du puissant ex-Premier ministre. Notre lutte est bien plus vieille. Nos héros tombés, torturés ou emprisonnés par les mêmes mains assassines bien avant Hariri s’appellent Kamal, Béchir, René, Samir, Ramzi et bien d’autres prénoms restés anonymes. Nos héros du printemps de Beyrouth s’appellent Samir, Gebran, Georges, May, Élias, Marwan, Pierre. Il ne faut donc pas s’imaginer que le tribunal a été créé uniquement pour « venger » en quelque sorte le sang de Hariri. L’affaire va bien au-delà : il s’agit du combat pour l’indépendance, qui prend enfin tout son sens. Que l’idée du tribunal n’ait germé qu’après le décès de Hariri, qu’elle n’ait pu devenir réalité que grâce à la puissance du martyr et de sa famille, ainsi que grâce à la pression exercée par un Jacques Chirac modèle d’amitié et de fidélité, tout cela ne doit pas nous empêcher de nous réjouir. Que nous ayons été soutenus pour obtenir justice ne doit pas nous faire rougir. Bien au contraire. Saisissons enfin la chance de réclamer des comptes à l’oppresseur, à la raison de tous nos malheurs depuis plus de trente ans. Quand, à 12h50, le fameux 14 février 2005, l’explosion a bousculé notre quotidien, nous n’avons pas tout de suite compris que nos vies entières allaient basculer. Nous n’avons pas tout de suite saisi l’impact qu’aurait sur nous cet énième attentat, cette énième tentative de nous terroriser. Nous n’avons pas compris que nous venions de nous réveiller d’un long sommeil, d’une absurde léthargie, qui avaient endormi en nous toute révolte, tout honneur. Nous nous sommes simplement dit : bon, encore un qui n’a pas compris qu’il valait mieux se taire. C’était compter sans la puissance et le pouvoir de cette énième victime, celle au nom de laquelle toutes les puissances internationales allaient réagir. L’assassin a-t-il mal calculé son tir ? A-t-il touché à l’intouchable ? A-t-il commis l’erreur fatale qui a empêché son crime de rester aussi « parfait » que les fois précédentes ? Probablement. Pas plus l’assassin que nous n’avions aperçu tout de suite la brèche ouverte par cet attentat de trop. Les centaines de milliers de Libanais qui ont pris d’assaut les ruelles du centre-ville durant le formidable printemps de Beyrouth ne s’y sont pas trompés : bien au-delà du décès de Hariri, c’est la lente agonie du Liban qu’ils ont demandé à venger. Force est de constater que la lutte se perdait, à nouveau dans le sang, à nouveau dans les querelles intestines, à nouveau dans le quotidien. Un grand ennemi des grandes causes, le quotidien. Trop d’eau a coulé sous les ponts entre les formidables promesses du 14 mars 2005 et aujourd’hui. Les Libanais ne saisissaient plus l’urgence de la lutte : préoccupés par leur survie, ils ont relégué leur combat pour la vérité au second plan. D’autant plus qu’entre-temps, tout a été fait pour détourner leur attention de ce tribunal décidément très gênant. Rien ne nous a été épargné : ni les odieux assassinats, ni les attentats, ni surtout les interminables querelles internes. Force est de constater que nous sommes tombés dans le panneau : oublié le tribunal, oubliée l’urgence, place aux « taratata » et autres débats stériles. « Ils » allaient encore une fois réussir leur coup : dresser les Libanais les uns contre les autres, créer le chaos, reléguer la justice au second plan. Mais là encore, au moment où les énergies commençaient à manquer, la résolution 1757 vient formidablement de remettre les pendules à l’heure. L’heure de la vérité. Elle a enfin sonné. Oh, je sais, ce n’est encore que le début. Le processus est long et, je n’en doute pas, coûteux. Mais il est au moins enclenché. Faites entrer les accusés ! N’en déplaise au général Aoun, que décidément je ne comprends pas, des accusés, il y en aura. Et cela risque de faire mal. Joumana Debs NAHAS Article paru le Mercredi 6 Juin 2007
C’est sans doute un grand jour pour le Liban. Devant nos yeux incrédules et blasés, le tribunal international voit enfin le jour. Deux ans et trois mois après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Hariri, la justice est enfin en marche.
Deux ans et trois mois seulement ? Je n’en suis pas si sûre. Il faut compter trente bonnes années avant le 14 février 2005. Notre...