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Actualités - CHRONOLOGIE

Après une nuit d’accrochages entre l’armée et Jound el-Cham, la tension était à son paroxysme hier Les nuits et les journées d’angoisse des habitants de Aïn el-Héloué et Hay el-Taamir Patricia KHODER

« Je ne veux pas retourner en Palestine. Je veux tout simplement arrêter d’être un éternel réfugié. Je veux rentrer chez moi, dans ma maison de Hay el-Sekké (limitrophe de Hay el-Taamir). Je veux juste vivre. Vivre dignement », indique Ahmad, qui est assis avec ses voisins, libanais et palestiniens, sur une chaise en plastique devant une mosquée située à la frontière de Hay el-Taamir. Le lieu de culte abrite environ 200 réfugiés ayant fui dans la nuit de dimanche à lundi le camp de Aïn el-Héloué et ses alentours. Ils sont plusieurs milliers, des Libanais et des Palestiniens, à avoir quitté leurs maisons situées dans le camp, notamment dans le quartier al-Tawarek (zone abritant des fondamentalistes de Jound el-Cham) ainsi que dans des quartiers limitrophes au camp, comme Hay el-Taamir et Hay el-Sekké. Malgré une trêve entrée en vigueur vers 7 heures du matin, la tension était à son comble dans la matinée d’hier dans le camp de Aïn el-Héloué et ses alentours. Les habitants qui n’avaient pas quitté le camp dans la nuit ont profité du calme matinal pour fuir à pied leur domicile, portant pour tout bagage quelques sacs en plastique. D’autres, notamment des hommes, entraient dans le camp pour inspecter d’éventuels dégâts occasionnés à leurs domiciles. L’armée libanaise, qui a renforcé ses positions aux alentours de Aïn el-Héloué, a bloqué les entrées principales du camp ainsi que celle de Hay el-Taamir, à l’aide de pneus placés sur la chaussée. C’est à pied donc qu’il fallait quitter ou retourner sur les lieux. Des tanks, des blindés, des jeeps et autres véhicules militaires étaient déployés hier dans les alentours du camp, notamment dans les zones dites des Baraques, des Villas, et al-Tayyar. Ces secteurs constituent une sorte de ligne de démarcation entre le camp et ses combattants, d’un côté, et l’armée libanaise, de l’autre. D’ailleurs, dans ces secteurs, les soldats, sur le qui-vive, ne sont pas uniquement présents dans les rues et sous leur guérite, mais aussi sur les toits des immeubles donnant sur les ruelles de Aïn el-Héloué et les maisons délabrées du camp. Selon les habitants, qui ont été pris dans la nuit de dimanche à lundi entre deux feux, l’armée avait renforcé ses positions dans ce secteur depuis plus de cinq jours. De plus, jamais ces quartiers, depuis l’apparition de groupuscules fondamentalistes à Aïn el-Héloué il y a une dizaine d’années, n’ont été le théâtre d’accrochages. Mais dans la nuit de dimanche à lundi, les miliciens de Jound el-Cham ont ouvert le feu sur les positions de l’armée dans ce secteur. Dans cette zone, comme ailleurs, il y a eu deux séries d’accrochages de 17 heures à 23 heures et de minuit 30 à 7 heures, marquant une pause à l’aube, au moment de la prière. Dans ces quartiers, habités aussi bien par des Libanais originaires de Saïda que par des réfugiés palestiniens, quelques témoins racontent que les éléments de Jound el-Cham ont bénéficié de la couverture militaire de Isbat al-Ansar quand ils ont attaqué l’armée. Pas de pain Salah est libanais. Il est assis avec des amis palestiniens devant un magasin aux rideaux baissés. « La façade de ma maison a été criblée de balles par l’armée qui ripostait à Jound el-Cham. Je suis resté des heures avec ma famille dans une petite chambre. Ce matin, j’ai envoyé ma femme et mes enfants chez mes parents à Saïda », raconte-t-il. Il n’est pas le seul à avoir effectué ce choix. Loin de là. Que ce soit dans le camp ou dans les zones dites des Villas et des Baraques, les hommes ont préféré rester sur place de crainte que leurs maisons et leurs commerces ne soient la cible de bandits. Un peu plus loin, sur la route menant au camp de Aïn el-Héloué, la seule ouverte hier devant les voitures, une femme est à la recherche de pain pour ses enfants. Mais hier, les boulangeries de la zone n’ont pas ouvert leurs portes et le pain qui se trouvait dans quelques épiceries a vite été épuisé. Loubna, palestinienne, raconte : « Nous avons passé une nuit atroce. Je me suis réfugiée dans la salle de bain avec mes quatre enfants. Quand ils ont commencé à utiliser des roquettes, j’ai senti que la maison allait s’écrouler. » Pourquoi n’est-elle pas partie pour Saïda, Miyé Miyé, ou pour le quartier de Sérop où des centaines de familles se sont réfugiées chez des proches ? « Toute ma famille habite soit cette zone, soit le camp. Je n’ai nulle part où aller. Je ne veux pas dormir dans une mosquée ou dans la rue », dit-elle. À Miyé Miyé comme dans le quartier de Sérop, beaucoup de familles ont été accueillies par des proches. Ici, chaque immeuble abrite au moins une famille de déplacés qui racontent tous la même histoire avec la même amertume et le même désabusement. Wafika est libanaise. Elle habite avec sa fille le quartier al-Tawarek dans le camp de Aïn el-Héloué. Sa belle-fille Fatmé loge quelques mètres plus loin, à Hay el-Taamir. Les trois femmes ont quitté leur maison à pied, jusqu’à Miyé Miyé où elles se sont réfugiées chez une parente. Wafika, la soixantaine, indique : « Les magasins ont commencé à brûler. Il était peut-être 22 heures quand j’ai quitté la maison avec ma fille et ses enfants. » Elle ne peut pas retenir ses sanglots. « Je suis une femme âgée. Je ne veux pas être humiliée. J’ai fui pieds nus, sous les coups de feu. J’ai marché dans les ruelles du camp, jusqu’aux Baraques. Il y avait des conduites d’eau qui lâchaient, qui nous arrosaient d’eau… Même si je vais mendier, je veux quitter la zone de Tawarek pour vivre ailleurs à Saïda », dit-elle. Fatmé, elle, a quitté Hay el-Taamir vers 18 heures, dimanche. Ce sont des jeunes hommes qui l’ont aidée avec les enfants. « J’étais dans tous mes états. Cela fait des mois que Jound el-Cham provoque l’armée libanaise, en les insultant, leur lançant des cailloux. Dimanche, c’en était trop. Les fondamentalistes ont lancé une grenade sur la troupe, qui a riposté », raconte-t-elle. Déménagement La parente qui les accueille habitait jusqu’à il y a quelques années Hay el-Taamir. Elle a déménagé quand les fondamentalistes, « les salafistes, Isbat el-Denniyé, Isbat el-Nour, Isbat al-Ansar, Jound el-Cham et les autres ont voulu faire leur loi dans le camp », dit-elle, soupirant : « J’ai voulu vivre tranquille. » Dans le même immeuble, Rafic, palestinien, a reçu sa sœur Fayza qui habite le camp, et les voisins de cette dernière. Rafic a déménagé à Miyé Miyé il y a quatre ans, pour fuir les accrochages entre le Fateh et les fondamentalistes. « Je me suis endetté pour acheter cet appartement, mais j’avais peur pour mes enfants », dit-il. Rafic et sa sœur Fayza, comme beaucoup d’autres Palestiniens de Aïn el-Héloué et des quartiers alentour, veulent « une solution radicale au problème des fondamentalistes. Pas la demi-mesure de Hay el-Taamir. C’est à nos chefs de trouver la solution et la manière avec laquelle on peut éradiquer la présence de ces miliciens qui veulent faire appliquer leur loi et semer la zizanie dans le camp », indique Rafic. Fayza, Fatmé, Wafika et beaucoup d’autres ont passé plusieurs nuits hors de chez elles depuis deux semaines, depuis le début des accrochages à Nahr el-Bared. Tout le monde dans la zone s’attendait à ce que la situation se détériore à Aïn el-Héloué. D’ailleurs, dans ce camp le plus peuplé du Liban, les écoles avaient fermé leurs portes depuis le 21 mai dernier, le souk de Aïn el-Héloué était quasiment vide durant les deux dernières semaines. Beaucoup de réfugiés évitaient de se rendre dans les quartiers fondamentalistes du camp, ceux de Tawarek et de Safsaf, où les intégristes étaient sur le qui-vive. Les habitants de ces deux quartiers ainsi que ceux de Hay el-Taamir et de Hay el-Sekké quittaient en soirée leurs maisons de peur d’éventuelles attaques des fondamentalistes de Jound el-Cham contre l’armée libanaise. Dimanche matin, après un accrochage qui semblait être circonscrit, beaucoup d’habitants de ces zones, qui avaient passé la nuit hors de leurs quartiers, ont décidé de rentrer chez eux, encouragés, selon des sources concordantes, par les factions palestiniennes. Ils ont pris la fuite dimanche soir. Devant la mosquée où Ahmad, celui qui ne veut plus rentrer en Palestine, s’est installé, la fondation Hariri commence à distribuer de l’eau et de la nourriture. Ahmad indique encore : « Ma maison m’a coûté 12 000 dollars, elle a été touchée hier par les bombardements. Personne ne m’aidera à la reconstruire. Vous savez, dans le camp de Aïn el-Héloué, il y encore plein d’armes et de munitions, beaucoup plus qu’à Nahr el-Bared. Mais les réfugiés palestiniens au Liban ne veulent plus se battre. » Et de marteler encore : « Nous voulons tout simplement vivre dignement. »
« Je ne veux pas retourner en Palestine. Je veux tout simplement arrêter d’être un éternel réfugié. Je veux rentrer chez moi, dans ma maison de Hay el-Sekké (limitrophe de Hay el-Taamir). Je veux juste vivre. Vivre dignement », indique Ahmad, qui est assis avec ses voisins, libanais et palestiniens, sur une chaise en plastique devant une mosquée située à la frontière de Hay...