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Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITION - Au Hangar Umam D&R, Haret Hreik, jusqu’au 16 juin Si « Dahiyeh » m’était contée

Dans le temps, « Dahiyeh » n’était pas « Dahiyeh ». Ses anciens habitants s’en souviennent comme autant de villages bordant le littoral du Metn-Sud (c’est d’ailleurs ainsi que l’on désignait cette région). Mais, au fil des décennies, une dynamique démographique s’est mise en place. Aujourd’hui, après maintes mutations, « Dahiyeh » s’appelle « Dahiyeh », un mot devenu synonyme, au meilleur des cas, de « quartier général du Hezbollah ». Elle est souvent présentée comme un ghetto chiite stigmatisé à cause de ses formes diverses d’illégalité, de son environnement urbain dit « chaotique » et de sa pauvreté. Une exposition au Hangar Umam D&R vise à ressortir de l’oubli l’ancienne histoire de « Dahiyeh » en présentant une quarantaine de témoignages audiovisuels. Dans ce travail artistique sur la mémoire, pas d’exercice de style nostalgique. Mais plutôt des interrogations sur le passé, le présent et l’avenir d’une région en pleine mutation. En 2005, Umam D&R a lancé un projet qui vise à collecter des témoignages, des photographies ou autres documents pouvant témoigner de la transformation de Haret Hreik. Puis la guerre de juillet 2006 a éclaté. Le Hangar a été touché. Le projet donc, tout naturellement, a donc été mis en suspens. « Lorsque nous l’avons repris en 2006, nous étions confrontés à une nouvelle question : fallait-il envisager le projet sous un nouvel angle ou ignorer les effets de l’agression israélienne qui, outre les destructions massives, a renforcé la stigmatisation de “ Dahiyeh ” ? La réponse semble évidente, puisque Monika Borgmann Slim et Lokman Slim ont décidé d’inclure toute « Dahiyeh » dans leur investigation, tout en sachant très bien qu’il s’agit là d’un travail monumental, semé de difficultés mais, aussi et surtout, qu’il ne sera jamais exhaustif. « Plutôt une sorte de collage qui marque le début d’un processus de souvenir collectif qui s’oppose à l’amnésie persistante actuelle », précise le texte introductif de l’exposition. Avec la guerre de juillet, « Dahiyeh » a eu le privilège d’entrer dans Wikipédia, l’encyclopédie collaborative en ligne gratuite. « Dans le même esprit que Wikipédia, qui construit ses articles et définitions en compilant les contributions des internautes, nous avons invité tous ceux qui souhaitent partager leurs souvenirs de cette banlieue (témoignage, photos, ou autres documents) à nous contacter », explique Monika Borgmann Slim. « Des milliers de raisons font que les lieux se transforment. Les habitants, le paysage et la culture urbaine changent d’une manière tellement drastique que ne subsistent, parfois, que des témoignages, de maigres traces et d’innombrables cicatrices ». Ce sont précisément ces traces-là que Umam D&R cherche à collecter et à conserver. Évidemment, « Dahiyeh » n’est pas l’unique endroit du Liban qui subit des changements. « Mais elle illustre parfaitement le modèle vers lequel notre pays se dirige : celui du pluralisme moribond », indique un panneau explicatif à l’entrée de l’exposition. « Mais aujourd’hui, “ Dahiyeh ” est devenue une idée plus qu’autre chose », ajoute Borgmann. « Dahiyeh » ne signifie pas, en effet, seulement la traduction arabe de banlieue. Différentes spécificités sont contenues dans cette désignation de l’espace ; le signifiant diffère des signifiés : « Dahiyeh » représente un territoire chiite pauvre, anarchique, illégal et islamiste. Ce sont les caractéristiques confessionnelles (chiite), sociales (pauvre), spatiales (anarchique) et politiques (Hezbollah) de l’espace. Le terme désigne donc beaucoup moins une banlieue au sens étymologique qu’un lieu contestataire qui cherche à se démarquer. Avec la guerre, sa structure démographique a été modifiée par la multiplication des vagues de migrations internes et par les conflits interconfessionnels. Les anciens villages de Bourj Brajneh, Mrayjeh, Haret Hreik et Ghobeyri se sont très rapidement urbanisés pour donner lieu à un continuum urbain nommé à partir de 1982 « Dahiyeh » (banlieue). La balance chiito-maronite qui existait a penché graduellement vers une hégémonie chiite, confortée par les apports de population chiite déplacée. C’est vers le début des années 1980 que le terme « Dahiyeh janubiyye » (banlieue sud) commence à exister en tant que tel et à s’identifier à un territoire particulier, habité par un groupe communautaire avec des revendications politiques et identitaires. À travers des collages de photos, des posters à thèmes, des témoignages audio et des cartes reconstituées, le visiteur entre de plain-pied dans une autre dimension spatiotemporelle. « C’est un travail qui combine les deux aspects de la mission d’Umam, qui consiste à établir des archives et organiser des expositions artistiques, note l’organisatrice. Nous ne prétendons pas donner une image complète de l’histoire de “Dahiyeh ”, mais plutôt un aperçu assez révélateur de ses anciens habitants et de leur “ lifestyle ” ». « C’est une sorte d’interaction avec le lieu où nous travaillons et où nous vivons depuis quelques années, renchérit Lokman Slim, codirecteur de Umam D&R. C’est une façon de négocier avec les différentes couches d’histoire sur lesquelles nous vivons et survivons ». Cette exposition, qui montre, il faut le rappeler, un « work in progress » (un projet en cours), reste ouverte à de nouveaux témoignages. « D’ailleurs, depuis le vernissage, plusieurs personnes encouragées par ce qu’elles ont vu nous ont contactés pour proposer des photos ou des compléments d’informations », indique Slim. D’autres esprits, se croyant plus malins, ont critiqué le projet en le taxant de « manipulation » ou d’« espionnage ». « Des lectures basiques inspirées par la tension ambiante », affirme Lokman Slim. Maya GHANDOUR HERT

Dans le temps, « Dahiyeh » n’était pas « Dahiyeh ». Ses anciens habitants s’en souviennent comme autant de villages bordant le littoral du Metn-Sud (c’est d’ailleurs ainsi que l’on désignait cette région). Mais, au fil des décennies, une dynamique démographique s’est mise en place. Aujourd’hui, après maintes mutations, « Dahiyeh » s’appelle « Dahiyeh », un mot...