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Avant chaque rafale tirée de leurs armes, les moujahidine de Fateh el-Islam criaient « Allah Akbar » Des habitants de Tripoli disent avoir passé « une journée en enfer » Patricia KHODER

Des hommes qui crient Allah Akbar avant de tirer des rafales de coups de feu en direction de tout ce qui bouge, des soldats qui évacuent des habitants par les toits des immeubles, des bombes humaines qui se font exploser devant des appartements… Hier, les habitants des quartiers de Zahiriyya et de Mitayn à Tripoli racontaient – toujours en état de choc – les quatorze heures passées entre deux feux : les tirs des moujahidine de Fateh al-Islam et ceux des forces armées libanaises. Les yeux cernés et le visage pâle, les habitants de ces secteurs, notamment des immeubles investis par les fondamentalistes, ont tenté tant bien que mal de camoufler les empreintes des accrochages de la veille dès les premières heures de la matinée. Ces habitants racontent avoir « vu la mort en face », « passé une journée en enfer », comparant les longues heures de dimanche au « pire des films d’horreur ». Hier, l’autoroute maritime reliant Beyrouth au Liban-Nord était quasi déserte. Dans plusieurs quartiers de Tripoli, beaucoup de magasins n’ont pas ouvert leurs portes, alors que les rues de la capitale du Liban-Nord, grouillantes de monde d’habitude, étaient totalement vides. Ici, que l’on soit pour ou contre le gouvernement, on soutient l’armée et l’on attend le jour où elle sera chargée de « nettoyer tous les îlots d’insécurité ». Dans le secteur d’el-Tall, un groupe soutenant l’ancien Premier ministre, Omar Karamé, rêve même de voir le général Michel Sleimane, commandant en chef de l’armée libanaise, accéder à la présidence de la République… Mohammad Haddad, épicier, dénonce pêle-mêle avec ses camarades « les États-Unis, la France, l’Iran et la Syrie, qui sont en train d’encourager les moujahidine d’el-Qaëda au Liban ». Il indique aussi que trois des derniers tués morts lors des combats avec l’armée sont originaires de Tripoli : Abou Obeida (Saddam el-Haj Dib) dont le frère est impliqué dans les attentats contre des trains en Allemagne, Abou Jaafar et Abou Jandal. « Ce sont des hommes normaux, comme tout le monde. Abou Jaafar par exemple était cafetier…mais le manque de moyens et le chômage peuvent mener à tout… Même à devenir membre d’el-Qaëda ou de Fateh el-Islam. » Contrairement à Bab el-Tebbaneh et au secteur el-Tall, dans d’autres quartiers de Tripoli, notamment à Zahiriyya et à Mitayn, théâtres des accrochages, on ne veut pas entendre parler de la pauvreté qui mène au fondamentalisme. Pour les personnes qui ont vécu l’enfer de 3 heures à 17 heures dimanche, « les miliciens qui se sont réfugiés dans des immeubles habités par des civils sont des malades, des criminels et des drogués…Ils sont tout sauf de bons musulmans ». Une odeur de chair décomposée plane sur le quartier de Zahiriyya, l’armée n’ayant retiré les cadavres des fondamentalistes que dans la matinée d’hier. Dans ce secteur, deux immeubles habités ont été investis par les terroristes. Ici, tous les habitants, notamment Mohammad Hamdache, Medien Fatayerji, Walid Joundi, Samer Fayçal et Adelaziz Naïm, dont le fils a été légèrement blessé par un éclat d’obus, racontent la même histoire. Vers trois heures du matin, un groupe de cinq terroristes est arrivé dans le quartier. Ils ont prié dans la rue et se sont ensuite réfugiés dans un vieil immeuble inhabité. Certains d’entre eux avaient des cagoules alors que d’autres étaient à visage découvert. Après des heures d’accrochages avec l’armée, les combattants islamistes ont quitté le vieil immeuble pour trouver refuge dans deux bâtiments habités. Les habitants ont entendu leurs voix. Avant chaque rafale, ils criaient « Allah Akbar » ou encore « Hayya ila al-jihad » (allons à la guerre sainte). Les moujahidine portaient des ceintures d’explosifs autour de la taille. Deux d’entre eux ont préféré se suicider que de se rendre aux forces armées libanaises. Au deuxième étage d’un immeuble, un terroriste ensanglanté a forcé la porte d’un appartement. Mourant, il récitait des versets du Coran. Dans un autre bâtiment, Walid Joundi, parle du « type qui s’est fait exploser » sur son palier et qui s’est exclamé avant de mourir : « Au revoir. » « Il s’est tué en défonçant ma porte, et son camarade a fait irruption dans l’appartement, pointant son arme contre ma sœur, ma mère et moi. Nous nous sommes réfugiés au balcon. L’armée est arrivée sur ma terrasse par le toit de l’immeuble…le moujahid vivant s’est rendu. Il était cintré d’explosifs. Dans la nuit de dimanche à lundi, je suis resté avec ma sœur dans l’appartement avec la porte d’entrée grande ouverte, les grenades qui n’ont pas explosé et le cadavre déchiqueté », ajoute-t-il. Aider l’armée Ce sont les voisins de Walid, notamment Medien et Samer, qui ont aidé l’armée à arriver sur les toits des bâtiments du quartier. Samer, qui a quatre enfants en bas âge et qui porte la barbe, s’insurge contre « les mécréants qui croient incarner l’islam. Aucune religion ne peut tolérer ce genre de choses », alors que Medien s’exclame : « C’est à cause de gens comme ceux-là que nos pays n’avancent pas. » Les habitants, dont les appartements ont été lourdement touchés par les accrochages, tiennent à rendre quand même hommage à l’armée, même si, selon certains, il fallait procéder à des évacuations avant l’intensification des combats. Ils pensent surtout aux deux soldats, dont un officier, tués dans le secteur. « Ils se sont battus comme des lions. Ils étaient majoritairement originaires de Tripoli et du Akkar », précise également Medien. C’est le même son de cloche qu’on entend dans le complexe de Ruby Rose, au quartier Mitayn. Ici aussi, les habitants évoquent les « Allah Akbar » lancés avant chaque rafale d’arme automatique, la prière du matin et un cheikh priant avec les terroristes, les appelant au jihad. Les habitants évoquent aussi les cris que les terroristes lançaient à l’armée : « Nos morts iront au ciel, les vôtres brûleront en enfer. » Plus d’une dizaine de terroristes ont péri dans le complexe Ruby Rose, formé de quatre immeubles, dont l’un abritait au premier étage depuis plus d’un mois les moujahidine de Fateh al-Islam. Cet étage a complètement brûlé durant les accrochages. Hier, l’accès au bâtiment gardé par l’armée était interdit même aux habitants du centre. Une femme, qui a voulu préserver l’anonymat « de peur que les terroristes ne reviennent pour se venger » et habitant un appartement de l’immeuble investi par les terroristes, raconte : « Tout a commencé peu après 2 heures du matin. Les soldats étaient sur le palier du troisième étage, les terroristes sur celui du premier. Il y a eu des échanges de coups de feu. Un officier de l’armée a commencé à négocier avec eux. Un terroriste a rétorqué : “Nous ne parlerons pas aux représentants du gouvernement des croisés”, l’officier a alors répondu : “Je suis musulman. Vous êtes en train de tirer sur des musulmans… Rendez-vous, si vous êtes blessés vous serez hospitalisés… Arrêtez de faire des victimes. Épargnez les habitants.” Mais le terroriste répondait à coups de feu d’arme automatique. » Cette situation a duré quatre ou cinq heures. L’armée est ensuite entrée dans chaque appartement de ce bâtiment du centre Ruby Rose et a évacué les habitants, les aidant à monter jusqu’au toit de l’immeuble. À partir de là, les habitants aidés par l’armée arrivaient sur le toit d’un deuxième immeuble du centre pour se réfugier chez des voisins sans quitter la zone. Une femme de 94 ans a été ainsi transportée sur une chaise du deuxième étage du bâtiment investi par les terroristes jusqu’au toit et ensuite jusqu’au septième étage de l’immeuble mitoyen. C’est vers 17 heures dimanche que les habitants du centre ont pu quitter les lieux. Beaucoup d’entre eux n’ont pas pu regagner leurs appartements durant la journée d’hier, l’armée ayant encerclé les deux immeubles mitoyens. Durant la journée, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Jean Fahd, s’est rendu à Tripoli pour inspecter les dégâts. La police a aussi prélevé les empreintes des corps des terroristes pour vérifier s’ils étaient impliqués dans certains dossiers judiciaires en suspens. Dans l’un des appartements occupés par Fateh el-Islam, des chèques émis par la Banque de la Méditerranée, dérobés à Amioun samedi dernier, ont été retrouvés.
Des hommes qui crient Allah Akbar avant de tirer des rafales de coups de feu en direction de tout ce qui bouge, des soldats qui évacuent des habitants par les toits des immeubles, des bombes humaines qui se font exploser devant des appartements… Hier, les habitants des quartiers de Zahiriyya et de Mitayn à Tripoli racontaient – toujours en état de choc – les quatorze heures passées...