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Actualités - ANALYSE

Analyse La neutralité du Liban, une idée séduisante qui n’est pas une utopie

Malgré les tentes qui continuent d’envahir les rues du centre-ville de la capitale, malgré la porte de l’hémicycle qui demeure verrouillée, tout porte à croire que la semaine qui s’achève et celle qui commence porteront en elles les germes d’une détente, si ce n’est d’un dégel. Mais comme si la malédiction se poursuivait, les Libanais auront revécu hier l’angoisse que seul peut susciter un climat sécuritaire incertain. Non, le Liban n’est pas encore immunisé contre les attentats et autres tentatives de terroriser un peuple qui ne demande qu’à subvenir à ses besoins quotidiens les plus élémentaires. Les instances sécuritaires et les responsables politiques devront donc, dans les prochains jours, redoubler de vigilance s’ils ne veulent pas qu’un tragique événement, à l’instar de celui de Aïn Alak, se reproduise. En ce sens, Walid Joumblatt a eu raison hier d’insister sur la nécessité de démasquer les coupables du double attentat de Jadra. Une source ministérielle a dans ce cadre confié que l’heure était bel et bien à la circonspection car la sécurité risque effectivement d’être ébranlée, tant à l’intérieur des camps de réfugiés palestiniens qu’à l’extérieur de ceux-ci, et que les incidents sécuritaires de la journée d’hier, si minimes soient-ils, peuvent tenir lieu d’avertissement car, ajoute cette source, l’attentat de Aïn Alak avait été précédé par des signes avant-coureurs. Sur le plan politique, et même si l’imbroglio constitutionnel dans lequel se sont empêtrés les trois pouvoirs semble de moins en moins susceptible d’être résolu, les jours qui viennent promettent une certaine redynamisation de la vie politique. Les ministres démissionnaires ont décidé de reprendre leur poste. Soit. Et cette initiative pourrait amorcer un déblocage, si l’on en croit les observateurs. Seulement, en opérant de la sorte, ils ne feront que persévérer dans la violation de la Constitution. Il convient dans ce cadre de rappeler que, dans toutes les démocraties du monde, lorsqu’un ministre est nommé et qu’il ne veut pas accepter ce poste, ou lorsqu’il présente sa démission, le Premier ministre lui demande de reconsidérer sa position. Mais tout doit se faire rapidement, et si le ministre persiste à démissionner, ou à ne pas accepter le portefeuille qui lui est octroyé, il doit rester en place jusqu’à ce qu’un successeur lui soit trouvé. Or dans le cas des ministres de l’opposition, leur démission n’a, six mois plus tard, toujours pas été acceptée par le gouvernement. Théoriquement donc, ils sont toujours en fonction. Le fait qu’ils considèrent reprendre leur poste pour gérer les affaires courantes ne change rien au fait que, sur le plan constitutionnel, ils sont simplement en train de reprendre en main leurs responsabilités, après une période d’incapacité qui a nécessité la nomination de ministres par intérim en leur absence. Ces derniers sont donc appelés à s’effacer devant leurs collègues lorsqu’ils franchiront à nouveau le seuil de leur ministère, mais vu le clivage politique qui sévit entre majorité et opposition, les craintes d’une dichotomie dans le cabinet en place sont parfaitement justifiées. Le retour des ministres de l’opposition donnerait lieu, au sein d’un seul et unique gouvernement, à deux types de ministres. Ceux qui travaillent comme s’ils géraient les affaires courantes d’un gouvernement démissionnaire – ce qui, jusqu’à nouvel ordre, n’est pas le cas puisque Émile Lahoud n’a signé aucun décret en ce sens, se bornant à le considérer comme inexistant – et, de l’autre côté, ceux qui font allégeance à la majorité en place et défendent bec et ongles la légalité et la légitimité du gouvernement en place. Toutefois, s’il est trop tard pour corriger tous les affronts que le texte de la Constitution a jusque-là subis, il ne reste plus qu’à espérer que cette énième entorse servira au moins à aplanir les divergences pour paver la voie à un consensus, à l’approche de l’échéance présidentielle. Dans ce cadre, la proposition du député Ghassan Tuéni et de l’ancien président Amine Gemayel, véhiculée hier par le communiqué des évêques maronites, et prônant la neutralité politique du Liban, mérite d’être entendue et agréée, tant sur le plan interne, national, que sur le double plan régional et international. Au niveau national d’abord, il faudra prouver que cette aspiration à la neutralité n’est en rien assimilable à un traité de paix avec Israël. À cet égard, l’armistice signé entre le Liban et l’État hébreu le 23 mars 1949 instaure un certain degré de neutralité, puisqu’il prône le respect de la ligne bleue, le retrait des troupes israéliennes de l’ensemble des villages occupés et l’arrêt des opérations militaires. Adopter une position de neutralité n’impliquerait donc en aucun cas de pactiser avec l’ennemi, mais voudrait dire que le Liban s’engage à ne plus participer à des opérations militaires à dimension régionale. Aux niveaux régional et international, le principe devra aussi être validé. Par les voisins directs d’abord, notamment la Syrie et Israël, mais aussi par d’autres plus lointains : l’Iran et les États-Unis. Pour prendre un exemple concret, la Suisse, pays neutre par excellence, prohibe la circulation d’armes sur son territoire : « Il est interdit aux belligérants de faire passer à travers le territoire d’une puissance neutre des troupes ou des convois, soit de munitions, soit d’approvisionnements. » Plus encore, une puissance neutre « n’est tenue de punir des actes contraires à la neutralité que si ces actes ont été commis sur son propre territoire ». La résolution 1701, qui interdit le trafic d’armes sur le territoire libanais et en limite la détention au pouvoir légitime en place, constituerait en quelque sorte un prologue à l’adoption de ce principe de neutralité et servirait à lui paver la voie. Ainsi, le fait que ce thème ait été expressément repris par le communiqué des évêques signifie qu’il est en train d’être sérieusement envisagé, et que, de toute évidence, seul un président de la République consensuel, rassembleur mais non dépendant et soucieux de préserver et d’exercer le rôle d’arbitre qui lui est imparti par la Constitution sera susceptible de mener le Liban vers l’expérience positive de la neutralité. Il reste que la neutralité pose à nouveau une question qui avait en principe été tranchée durant le printemps de Beyrouth, par l’approche nouvelle de Samir Kassir ; celle de l’identité du Liban. De fait, pour reprendre la pensée « kassirienne », l’arabité est désormais une notion mesurable en termes de modernité, de développement, de démocratie et de rejet des fondamentalismes et des dictatures, et non plus en termes d’engagements idéologiques panationalistes qui font fi, dans un sacrifice sans cesse renouvelé, des aspirations des peuples arabes à prendre en main leur destinée. Le communiqué des évêques, comme Ghassan Tuéni et Amine Gemayel, a eu l’audace et le mérite d’ouvrir le débat. Espérons qu’il ne sera pas escamoté, subissant ainsi le triste sort réservé aux initiatives modernes qui échappent à ce qui est, au Liban, dans la plus pure tradition du « politiciennement correct ». Lélia MEZHER

Malgré les tentes qui continuent d’envahir les rues du centre-ville de la capitale, malgré la porte de l’hémicycle qui demeure verrouillée, tout porte à croire que la semaine qui s’achève et celle qui commence porteront en elles les germes d’une détente, si ce n’est d’un dégel.
Mais comme si la malédiction se poursuivait, les Libanais auront revécu hier...