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Actualités - OPINION

Néo-Inquisiteurs

Défendre les valeurs chrétiennes, les diffuser autour de soi, les promouvoir est tout à fait louable. La question n’est pas à discuter, et l’atteinte aux sentiments religieux est toujours condamnable, sur le plan de la morale. Il en va du respect de l’individu et de ses croyances. C’est un point fondamental garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais ce sont aussi ces valeurs chrétiennes qui sont à la base de la philosophie du droit naturel qui a donné naissance à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Parmi ces droits figure aussi, il ne faut pas l’oublier, la liberté d’expression. Il est à se demander si les personnes qui se sont improvisées hier comme les nouveaux gardiens de la foi chrétienne au Liban possèdent suffisamment de notions sur la question des libertés. Sinon, comment expliquer qu’en voulant que leur liberté de pensée et de croyance soit respectée, elles aillent jusqu’à prôner les vertus de la répression, de la censure. La répression et la censure engendrent l’ignorance et la peur. Est-il besoin de le rappeler ? Est-ce véritablement le message que ces néogardiens de la foi souhaitent diffuser autour d’eux ? Est-ce ainsi qu’ils pourront préserver les valeurs chrétiennes, en déresponsabilisant l’individu, en lui ôtant sa capacité d’évaluer, de juger, de critiquer, en continuant à avoir recours, signe d’impuissance et de terreur manifeste, à l’arme de la censure, alors qu’il est grand temps, si l’on veut construire un État moderne et une vraie citoyenneté, de porter un coup fatal à ce résidu d’un passé archaïque qu’est la censure ? Et hop, voilà, on coupe, on efface, on occulte, et le problème ne se pose plus... Ouf, on l’a échappé belle... Nous venons de sauver quelques âmes supplémentaires... Sauf que non. Ce genre de procédé a peut-être eu son heure de gloire au XVe ou au XVIe siècle, mais ces nostalgiques de l’Inquisition oublient que, depuis, il y a eu l’invention du satellite, de l’Internet, que l’information est désormais transmise en temps réel, et que le réflexe autoritaire et stupide de réprimer et d’interdire ne sert absolument à rien. Si l’on veut promouvoir les valeurs chrétiennes – et il faut quand même respecter aussi, au Liban, la liberté de ceux qui ne veulent tout simplement croire en rien –, on le fait en formant des individus conscients et ouverts, inébranlables dans leur foi et prêts à discuter rationnellement, à réagir en adultes, quand celle-ci est remise en question. Le banal tatouage de Nicole Richie sur la couverture de Voici (que tout le monde peut voir sur Internet) ne méritait pas tout ce tintamarre. Ni, avant elle, cette campagne stupide contre le hard-rock, qui a conduit des centaines de jeunes, taxés de « satanistes », en prison durant les années 90, simplement à cause de la musique qu’ils écoutaient, du look qu’ils arboraient, de leurs cheveux longs, de leur volonté de se démarquer des autres, de se rebeller contre la norme. Le Da Vinci Code non plus ne méritait pas toute la publicité que le CCI lui a finalement offerte gratuitement en l’interdisant. L’interdit, le tabou attirent, l’Église devrait le savoir plus que quiconque. Combien de Libanais se sont-ils jetés sur le livre de Dan Brown, puis ensuite sur le film, seulement pour savoir ce qu’ils contenaient d’aussi puissant pour avoir suscité le courroux de ces néocenseurs passéistes. Avec, au final, un sentiment de déception le plus souvent : le livre est une œuvre de fiction prétentieuse, dont personne ne parle quasiment plus aujourd’hui dans le monde, et le film a été un bide retentissant. Les exemples peuvent être répétés à l’infini, et ils ne sont pas l’apanage de la communauté chrétienne. Vous souvenez-vous ainsi de ce ballet de Béjart, interdit pour avoir voulu danser sur une adaptation musicale des versets du Coran ? Ou encore de ces poursuites contre Marcel Khalifé parce qu’il avait chanté un verset du Coran ? Oublie-t-on que Yusuf Islam, alias Cat Stevens, a contribué à l’épanouissement de l’islam depuis qu’il utilise sa formidable voix pour chanter des passages du Coran ? Et ensuite, que fera-t-on ? Sombrer dans l’obscurantisme le plus total ? Interdire l’Internet et le satellite ? Les soumettre à une censure systématique à l’heure où l’on est censé aller intelligemment vers une modernité, respectueux de la liberté des autres qui ne pensent pas comme nous ? Interdire les Beatles, parce que John Lennon a un jour dit qu’ils étaient plus populaires que Jésus dans les années 60 ? Ou encore Sinéad O’Connor parce qu’elle a déchiré un jour la photo du pape à la télévision dans les années 90 ? Et pourquoi ne pas aussi examiner la foi de chacun pour vérifier s’il possède la foi du forgeron ou s’il est définitivement égaré et irrécupérable ? Est-ce ainsi que nous irons vers la responsabilisation, condition sine qua non d’une citoyenneté ? « Nous aurions pu détruire et vandaliser, mais nous ne l’avons pas fait. » Sous-entendu, comme d’autres l’ont fait avant nous pour la même question, à savoir celle des caricatures du Prophète. La logique est dangereuse. Elle se cache derrière le principe de réciprocité pour réclamer le même traitement, pour légitimer le même comportement répressif (la violence en moins), qu’importe si le comportement est, sur le fond, mauvais. Pourvu que l’on fasse comme eux, que l’on ait les mêmes droits, les mêmes privilèges. Même si tout le monde a tort. Même si tout le monde fait, en définitive, du mal à la société. On pave ainsi la voie à la culture de la peur, l’aliénation, le repli sur soi, l’intolérance et, au final, à une forme de radicalisme ou de fondamentalisme. Et l’on s’horrifie ensuite de l’émergence, aussi spontanée et preste, de la violence... Michel HAJJI GEORGIOU

Défendre les valeurs chrétiennes, les diffuser autour de soi, les promouvoir est tout à fait louable. La question n’est pas à discuter, et l’atteinte aux sentiments religieux est toujours condamnable, sur le plan de la morale. Il en va du respect de l’individu et de ses croyances. C’est un point fondamental garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme....