Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

EFFEUILLAGE Au gré du vent Lamia El-SAAD

Je suis née par accident. Tout a commencé le jour où un ouvrier du chantier voisin a laissé tomber un outil suffisamment lourd pour fissurer le trottoir de ma rue. La fissure était fine mais profonde ; personne ne s’en aperçut. Aussi, le hasard ne se fit-il pas longtemps prier avant d’intervenir : il lui fut facile, en ce début d’automne, de faire voler un petit vent chargé de pollen. La pluie faisait bien son devoir… Et je suis née, petite fleur au milieu du bitume. J’ai grandi seule avec la hantise de me faire écraser par les pieds des passants. Mes nuits sont peuplées de cauchemars… Je me réveille souvent les pétales tremblants. Et comment me rassurer alors que je ne me réveille que pour entendre au loin les pas de quelques noctambules qui marchent, le plus souvent en titubant ? Ces pas qui se rapprochent inexorablement… Je sais pleurer sans faire le moindre bruit… Et au petit matin, mes larmes ne sont que rosée. Je n’ai aucun ami. J’ai pourtant essayé de sourire à mon trottoir fissuré : « Bonjour… Je suis Marguerite. » D’une voix bourrue et agressive, il a alors grondé : « Bonjour ! » Comment t’appelles-tu ? Pierre. Je n’ai rien pu obtenir de plus, mon trottoir porte bien son nom. Il est méchant, mais surtout aigri. Et je le comprends ; il doit être bien malheureux de se faire piétiner en permanence. Il est vrai que c’est inévitable pour un trottoir, mais les passants pourraient tout de même éviter d’écraser leurs mégots de cigarettes sous leurs chaussures… Et Pierre pourrait éviter de me faire subir sa mauvaise humeur. Après tout, je n’y suis pour rien, moi ! Pierre est très malheureux de vivre en ville, je le suis aussi. Le bruit et la grisaille apportent son et couleur de tristesse à mon quotidien. Et de penser aux fleurs des champs, mon cœur se serre… Certains jours, je me sens si seule que je ne peux m’empêcher de souhaiter qu’une main vienne me cueillir pour m’intégrer à un bouquet. Je sais bien que, dans un vase, mes jours seraient comptés ; mais je n’ai rien à aimer et rien à regretter. Et puis je me reprends à espérer qu’à l’automne prochain, un vent chargé de pollen… Après tout, le hasard m’a bien fait naître là où personne ne m’attendait… Mon espérance est à la mesure de mon malheur.
Je suis née par accident. Tout a commencé le jour où un ouvrier du chantier voisin a laissé tomber un outil suffisamment lourd pour fissurer le trottoir de ma rue. La fissure était fine mais profonde ; personne ne s’en aperçut. Aussi, le hasard ne se fit-il pas longtemps prier avant d’intervenir : il lui fut facile, en ce début d’automne, de faire voler un petit vent...