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Actualités - CHRONOLOGIE

Douleur muette et colère retenue à Wata al-Mousseitbé Patricia KHODER

Une forte odeur de décomposition planait sur les urgences et la morgue de l’hôpital al-Makassed. Cette puanteur qui vous prend directement à la gorge est arrivée avec l’ambulance qui transportait les corps mutilés de Ziad Kabalan, 24 ans, et de Ziad Ghandour, 12 ans. Les corps des deux jeunes retrouvés dans un terrain vague à Jadra (Iqlim el-Kharroub) portaient aussi les traces de plusieurs balles tirées à bout portant. « Le jeune homme et l’enfant ont été tués depuis plus de 24 heures, peut-être dès le premier jour », assure un secouriste ayant participé au transport des deux cadavres de l’Iqlim el-Kharroub à Beyrouth. Cet homme, comme les autres membres du corps hospitalier présents à al-Makassed, porte un masque blanc pour atténuer l’odeur de la chair en décomposition, qui ne semblait pas gêner les jeunes vivant dans le secteur d’al-Makassed et de Tarik-Jdidé, venus rendre hommage aux deux victimes. Hier, devant l’hôpital al-Makassed, la petite foule était en état de choc. Elle ne criait pas sa colère ou sa haine. Abir, l’une des rares femmes dans la rue, indique : « Je veux rester là. C’est un devoir à remplir envers ces deux garçons. Le petit avait 12 ans, ça aurait pu être mon frère. » Les jeunes debout à côté d’elle appartiennent, comme la quasi-totalité des habitants de Tarik-Jdidé, au Courant du futur. L’un d’eux, Mahmoud, explique : « Si nous sommes dans la rue c’est pour que ceux qui les ont tués sachent que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. » Une heure et demie plus tôt, vers 20 h, à Wata al-Mousseitbé, là où habitent Ziad Kabalan et Ziad Ghandour, dès l’annonce de la nouvelle, l’armée a bouclé toutes les rues menant au secteur. Quelques coups de feu ont été tirés en l’air à Mazraa, alors que des jeunes de Wata al-Mousseitbé commençaient à se rassembler devant les maisons des deux Ziad assassinés. Un calme plat, comme celui qui précède la tempête, régnait sur la zone. Des femmes étaient aux balcons, alors que les jeunes de la localité se rendaient spontanément au siège du PSP. Certains ne pouvaient pas contenir leur émotion, notamment des amis de Ziad Kabalan. Ils éclataient en sanglots en se soutenant. Mais la douleur de la plupart des jeunes, toujours en état de choc, était muette. C’est la colère qui a pris le dessus. La tension a atteint son paroxysme quand une foule de jeunes s’est dirigée vers un croisement bloqué par l’armée et qui peut mener à la banlieue sud, notamment à Ouzaï. Les hommes criaient : « Ziad on te promet, ton sang ne sera pas vainement versé. » Ils se sont ensuite dirigés vers la maison de Ziad Kabalan, où ils ont continué à crier des slogans et à appeler à la vengeance, alors que d’autres, membres du PSP, tentaient de les calmer et de rappeler le mot d’ordre du chef du parti Walid Joumblatt qui a lancé, dès mercredi ainsi qu’après l’annonce de la nouvelle, des appels au calme. Les plus âgés, qui ont déjà vécu la guerre de 1975, calmaient les plus jeunes : « Leur but est de nous provoquer. De nous pousser à réagir. Nous n’allons pas leur donner ce qu’ils veulent. » Certains d’entre eux ont rendu visite aux habitants chiites de Wata al-Mousseitbé pour les rassurer. Le père de Ziad Kabalan, Hussein, est concierge dans un immeuble. Hier, la petite chambre occupée par la famille était remplie d’officiels éprouvés, au visage livide : les ministres Marwan Hamadé et Ghazi Aridi ainsi que les députés Akram Chehayeb et Waël Bou Faour. Alors que le père de la victime tentait de garder son calme, le jeune frère de Ziad, Tarek, ne pouvait pas retenir ses sanglots. Un peu plus loin, se trouve la maison du petit Ziad Ghandour. Pendant la matinée, son père Mounir, cardiaque, avait été emmené à l’hôpital. Les proches étaient accourus pour soutenir la mère et la grand-mère de l’enfant. La petite maison ne pouvait plus contenir les visiteurs. Assise sur sa petite chaise, sur la chaussée, Nawal, 14 ans, pleure : « Vous venez prendre des nouvelles de Ziad ? Ils ont tué mon frère. Lundi, je ne l’ai pas vu avant qu’il ne parte. Je ne le verrai plus jamais », dit-elle le visage inondé de larmes, entourée par ses camarades du quartier. Sur la chaussée, des hommes se souviennent comment Ziad s’était mis à pleurer après les émeutes du 25 janvier dernier. Hier soir, les quartiers de Beyrouth étaient quadrillés par l’armée comme ils l’étaient durant la nuit du 25 au 26 janvier dernier quand un couvre-feu avait été décrété après les émeutes. Mais hier, la capitale a gardé son calme. Un calme effrayant…
Une forte odeur de décomposition planait sur les urgences et la morgue de l’hôpital al-Makassed. Cette puanteur qui vous prend directement à la gorge est arrivée avec l’ambulance qui transportait les corps mutilés de Ziad Kabalan, 24 ans, et de Ziad Ghandour, 12 ans. Les corps des deux jeunes retrouvés dans un terrain vague à Jadra (Iqlim el-Kharroub) portaient aussi les traces de...