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Actualités - OPINION

Chrétiens d’Orient et « sel de la terre » Louis INGEA

C’est un mea culpa qu’aujourd’hui, en mon nom et au nom de certains Libanais, je viens faire devant le lecteur qui aura l’occasion de parcourir ces lignes. Il y a des mois que nous ne cessons d’alimenter ce seul quotidien de langue française en réflexions débordant de vœux pieux, lorsque ce ne sont pas des jérémiades ou carrément des missives pleines d’amertume ou d’ironie. Ce qui n’aura représenté, au regard des complots qui nous entourent, qu’une réaction aussi naïve qu’inutile. Il n’y a évidemment pas à douter des bonnes intentions finales des uns et des autres et mon but ici n’est ni la louange ni la critique. Sauf qu’il m’arrive de ressentir, ces jours-ci, une réaction bien étrange, en relation directe avec la situation désastreuse que nous vivons. Aussi, souhaiterais-je m’adresser en particulier à ceux des Libanais qui, comme moi, sont de confession chrétienne par la naissance et la culture. Il semble justifiable qu’au vu du désarroi qui nous envahit et qui vient couronner plusieurs décennies de désordres politiques et d’erreurs, nous nous sentions en ce moment, nous chrétiens, complètement écœurés pour ne pas dire désespérés. Il ne s’agit pas d’une peur quelconque d’ordre physique. Les esprits matures savent bien que le danger et la souffrance sont des phénomènes inhérents à toute vie qui se développe. Mais plutôt de ce dégoût de vivre dans les conditions que la géographie régionale aura imposées au Liban et à sa population. Les plus fatalistes vous diront que la nature même de notre position dans ce monde oriental nous astreint à une acceptation obligée d’une certaine culture, au niveau tant politique que social. Ce qui explique en quelque sorte l’éclosion ou la résurgence de partis politiques relevant d’un arabisme tyrannique. Les plus superficiels ou les plus impatients rétorqueront qu’il aurait fallu réagir pendant qu’il en était encore temps et exhalent aujourd’hui leur rancœur de se retrouver dépassés. Alors ils rêvent, par dépit, d’une solution surréelle, apocalyptique, dont ils n’attendraient la réalisation que de la part d’une puissance étrangère, fût-elle sournoise ou diabolique. Résultat ? L’abrutissement ou l’émigration... c’est-à-dire le renoncement : deux attitudes extrêmes, proprement aux antipodes de l’enseignement chrétien. D’où, finalement, le réveil de ce qu’il y a de plus subtil, de plus intime, de plus divin, oserai-je dire, dans nos consciences respectives. Or le sentiment particulier qui m’a brusquement envahi et que je désire, comme un devoir, partager avec ceux de mon ethnie, m’a ouvert les yeux et le cœur. De quoi s’agit-il exactement ? Eh bien, de l’avenir de notre statut de chrétiens d’Orient, tout simplement. Le désenchantement, annonciateur de panique, qui sévit dans nos milieux, et en particulier chez les plus jeunes d’entre nous, apparaît en ce moment comme le couronnement d’une campagne visant le démantèlement de notre tissu social. Plus une famille qui n’ait un ou plusieurs de ses membres à l’étranger. Les jeunes diplômés s’engouffrent par milliers dans les couloirs des consulats, en quête d’un visa. Le phénomène de l’émigration massive qui a suivi dans notre histoire les événements de 1860 et ceux de 1915 se renouvelle, cette fois, avec bien plus d’acuité, eu égard aux facilités actuelles de voyage. D’autres restent, mais caressent soigneusement les documents de leur double nationalité en vue d’un éventuel et prochain départ. Je vois se profiler l’ombre d’un tableau qui évoque le déjà-vu en Turquie et en Irak. De ce train, dans cinquante ans, la communauté chrétienne du Liban serait réduite à dix pour cent de son nombre initial. Autant dire qu’elle cesserait d’exister. Si nos représentants, nos leaders, comme ils aiment s’entendre appeler, ne prennent pas les choses à bras-le-corps, si le patriarche des maronites continue de se contenter de simples protestations, si la poigne criminelle qui cherche à balayer la griffe chrétienne du Liban se frotte déjà les mains de plaisir, il ne reste aux particuliers, dont je ne suis qu’un échantillon, qu’à tirer la sonnette d’alarme pour barrer par tous les moyens à leur disposition la route à cette insupportable, cruelle et injuste hémorragie. Loin de moi l’idée d’alerter mes coreligionnaires par le moyen d’un sentimentalisme factice et hors de propos. Non ! Nous en sommes arrivés à un niveau si dramatique que la moindre manœuvre de fausse diversion ne serait que bêtise ou, pire, manque impardonnable de discernement. Et tout d’abord je ne minimise en aucune façon le machiavélisme d’une politique dont j’ignore la source et qui poursuit son but à travers soit le voisin syrien, soit le renard israélien, si ce ne sont pas les deux, conjugués ensemble sous la houlette du même chef d’orchestre. Il semble bien en effet que l’on cherche soit la partition de ce mouchoir de poche libanais, soit l’élimination pure et simple de sa composante chrétienne. La mansuétude dont font preuve certains consulats de l’Occident, côté visas, est, à ce titre, alarmante. Voilà pourquoi il nous incombe, à nous Libanais chrétiens, de prendre en main par nous-mêmes notre infortune destinée et de damer le pion coûte que coûte aux monstres qui nous guettent. En façade d’abord, selon le schéma approximatif suivant : 1 – Stopper en urgence toute spéculation sur l’abandon de notre terre, de notre patrie. 2 – Interdire à soi-même et à ses proches les réflexions même anecdotiques sur la facilité de l’émigration. 3 – Adjurer ses enfants de ne pas céder à la tentation des départs définitifs, en n’admettant les inscriptions aux universités étrangères que sous réserve de retour au bercail. 4 – N’envisager la vente d’un bien immobilier que dans les cas extrêmes. 5 – Accepter l’éventualité de sacrifices quotidiens afin de maintenir sa situation sociale et professionnelle en l’état jusqu’au moment où, par la force des choses, une réelle souveraineté nationale verra le jour. Or, il y a plus grave, et c’est sur nos dispositions intérieures que je voudrais surtout m’arrêter. D’où la reprise en main, en notre âme et conscience, de notre nature de chrétiens et la réalisation de son sens profond. Avons-nous seulement pensé à la mission dont le chrétien est investi ? Je m’adresse ici à ceux parmi nous qui ont eu la chance ou la grâce de comprendre en profondeur l’enseignement de Jésus de Nazareth. Car il ne s’agit pas, comme cela arrive, hélas souvent, de se comporter comme le feraient les membres d’une secte qui désirent s’affirmer à côté ou aux dépens des autres, mais plus judicieusement de porter haut et fort leur dignité d’êtres humains, dignité qui est le signe distinctif du véritable chrétien. « Vous êtes le sel et la terre », nous a-t-on dit. À ce titre, nous le sommes doublement, d’abord parce que chrétiens, ensuite parce que notre racine est d’Orient, ce coin de la planète où l’Éternel s’est incarné. J’en demande peut-être trop, et je vois d’ici le sourire en coin de certains. Mais moi qui suis né libanais et qui n’ai en poche aucune autre nationalité, j’affirme que quoi qu’il arrive dans cet horrible chaos qu’est devenu mon pays, je resterai debout et fier de porter la marque de ma foi. Non pour l’afficher, mais pour en témoigner publiquement dans le respect absolu de toutes les autres confessions. Pour me prouver, à moi-même d’abord, ensuite et sans prétention au monde entier, qu’il y a moyen, sur ce coin de terre, d’illustrer le seul message qui soit digne de la nature humaine : celui si admirablement proclamé par Jean-Paul II et qu’il n’est jamais inutile de rappeler. N’oublions pas que, pour la première fois dans l’histoire du Liban, le concitoyen musulman, initialement à l’écart des notions d’une patrie libanaise consensuelle, a rejoint aujourd’hui ses frères chrétiens dans leur revendication d’une souveraineté nationale librement consentie. Un fait d’une portée énorme et irrévocable ! Aussi nous faut-il de toute urgence consentir à ce sursaut patriotique malgré et à cause de la pourriture ambiante. Voyez, par exemple, comme on déverse la haine sur nos petits écrans. Ceux qui y déblatèrent et qui sont de tous les bords ne se rendent pas compte des ravages qu’ils provoquent dans les rangs des citoyens. Ce qui leur importe, c’est de savoir qu’on les écoute tous les soirs. L’incorrigible vanité du Libanais les étouffe. Un jour, ils se réconcilieront avec leurs ennemis politiques. Nous avons déjà assisté à ce genre d’embrassades. Sincères ou fausses, le moment venu, cela arrangera leurs égoïsmes. Mais les gens du peuple, eux, subiront pour plusieurs générations à venir l’impact de cette haine susurrée à longueur d’émissions télévisées. On me dira que nos politiciens ne sont que des marionnettes manipulées par les Syriens, les Israéliens et les Américains, que les solutions nous seront imposées de l’extérieur, au gré des échéances. Cela, c’est une lapalissade. Il reste qu’à y regarder de plus près, on découvre parmi eux de véritables patriotes. Coincés, dépassés, il est vrai. Alors il nous revient à nous, gens du peuple, de relever le défi. De nous comporter en responsables de notre destin. Notre doctrine chrétienne nous le recommande. Les circonstances actuelles l’exigent. Alors, de grâce, relevons la tête ! Et cessons par-dessus tout de nous lamenter, de crâner ou de répandre le défaitisme. De suivre aveuglément les consignes de ces pantins qui nous transforment en moutons de Panurge. La plus simple des crises cardiaques peut les faire disparaître un beau matin et nous oublierons jusqu’au souvenir de leurs discours. Car ils n’ont jamais parlé en humanistes mais en démagogues. Et c’est à nous, peuple chrétien, non de rite mais de foi, que revient le privilège de redresser la barre, de maintenir l’espoir, de sauver le Liban. Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre nous, si nous le voulons, si nous réagissons positivement. À bon entendeur, salut ! Louis INGEA Architecte d’intérieur Article paru le Lundi 23 Avril 2007
C’est un mea culpa qu’aujourd’hui, en mon nom et au nom de certains Libanais, je viens faire devant le lecteur qui aura l’occasion de parcourir ces lignes.
Il y a des mois que nous ne cessons d’alimenter ce seul quotidien de langue française en réflexions débordant de vœux pieux, lorsque ce ne sont pas des jérémiades ou carrément des missives pleines d’amertume ou d’ironie....