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LES CAFÉS CULTURELS DE « L’ORIENT-LE JOUR » - À L’Atelier du Berytech et en collaboration avec la Maison du livre Le cinéma libanais, un jeu de plusieurs miroirs Maya GHANDOUR HERT

Entre le souci de véhiculer un message et l’obligation de rentabilité, le cinéma libanais se cherche une identité. Et les cinéastes du pays restent profondément perplexes face à la problématique. Le 7e art libanais est-il à la croisée des chemins ? Doit-il se contenter de porter des thématiques fortes sans s’embarrasser des contraintes de rentabilité? Ou doit-il songer désormais à faire des recettes, histoire de s’autofinancer? Autant de questions qui titillent les cinéastes libanais. Les Cafés culturels de «L’Orient-Le Jour» ont relancé la réflexion, via un panel autour de cette préoccupation. Désormais rendez-vous mensuels organisés en collaboration avec la Maison du livre à L’Atelier, le restaurant du Berytech de l’USJ (rue de Damas), ils abordent, on le rappelle, un thème différent chaque mois. Après les bibliothèques publiques, le théâtre et l’édition jeunesse, c’était au tour du cinéma libanais et de son identité sur lesquels trois cinéastes et un producteur (Bahige Hojeige, Ghassan Salhab, Élie Khalifé et Wadih Safieddine ) jettent un regard croisé. Dans son introduction, Aimée Boulos, présidente de la fondation Liban-Cinéma et modératrice de la table ronde, a estimé que le cinéma libanais est un cinéma qui bouge. Avec l’esprit anticonformiste qui le caractérise – tout comme son œuvre d’ailleurs – Ghassan Salhab, auteur de trois longs-métrages (Beyrouth fantôme, Terra incognita et Le dernier homme), a commencé par démonter littéralement l’idée d’une identité unique. « Je dirais plutôt qu’il y a des identités et non pas une seule, a-t-il lancé d’emblée. Chaque individu porte en lui plusieurs identités, à condition bien entendu qu’il veuille bien les voir. » On l’aura compris, le cinéaste ne prend pas le mot « identité » au sens traditionnel. Ce qui l’intéresse plutôt, c’est de « prendre un personnage ou une ville (NDLR : Beyrouth en l’occurrence, qui est le corps central de ses films) et d’interroger son identité en mutation permanente ». Mutation, voilà, le mot est lâché. Car Salhab préfère « les choses qui ne sont pas figées, qui n’ont de cesse d’être requestionnées. L’identité, c’est plus une affaire en mouvement qu’une affaire figée », dit-il. Salhab cite un poète français d’origine égyptienne, Edmond Jabès, qui opposait au fameux « qui suis-je ? » un « qui je deviens ? » La question « qui suis-je ? » n’a, pour lui, aucun sens. Peut-être parce que l’identité, qui n’est que le besoin légitime d’avoir un visage à exhiber, n’est, en fait, que le désir, condamné à rester à l’état du désir, d’une affirmation de nous-même constamment différée ; c’est qu’il ne peut y avoir identité que dans la permanence et celle-ci est toute relative, étant passage d’une identité cernée à une autre, entrevue avant d’être, à son tour, circonscrite. Pour Salhab, « le cinéma n’est pas un miroir de la vie. Ou alors c’est le miroir de Cocteau, celui qu’on traverse et non pas celui qui reflète. » Le cinéaste estime pour finir qu’il trouve dangereux que le cinéma se fasse objet de propagande d’une identité nationale. Ras-le-bol « Cinéma aux multiples identités », thème de l’intervention d’Élie Khalifé, jeune réalisateur qui « représente le nouveau cinéma », selon les termes de Boulos. Après des études en Suisse, il a signé deux succès, Taxi et Vive Natex. Ne mâchant pas ses mots, le cinéaste entame son intervention par un ras-le-bol apparemment partagé par ses confrères. « Quand je vais à l’étranger (NDRL : défendre un scénario pour obtenir un soutien à la production), cela m’énerve de traîner mon identité de cinéaste libanais ! Je voudrais qu’on me parle en tant que cinéaste tout court. » Pour illustrer ses propos, Khalifé raconte alors comment, en défendant son scénario de Trampoline, un film qui suit les pérégrinations de deux septuagénaires faisant les 400 coups, il s’est heurté à un seul commentaire : « Comment un cinéaste venant d’un pays sortant d’une guerre peut-il arriver avec un projet tellement optimiste et joyeux ?» lui a-t-on demandé. Des remarques pareilles l’exaspèrent. Son appartenance à un pays qui a connu la guerre l’oblige-t-il à ne traiter que de sujets sombres et torturés ? Élie Khalifé rejoint Ghassan Salhab dans sa définition du cinéma-miroir. « Le cinéma est, en effet, un jeu de plusieurs miroirs. Le cinéma est comme le pays. Il cherche son identité. On se perd et ça va dans tous les sens. » Mais la richesse de ce cinéma réside dans le fait qu’il reflète diverses identités. « Chacun de nous est imprégné par des cultures différentes et chaque cinéaste interprète dans ses films ses influences variées. Au final, c’est un cinéma diversifié et riche. Pas unique, comme c’est le cas dans les pays totalitaires. On fait du cinéma démocratique dans un pays qui ne l’est pas, ou qui fait semblant de l’être. » Bahige Hojeige, auteur de plusieurs documentaires dont un sur le Musée national et un autre sur la reconstruction du centre-ville, réalisateur de Zennar el-Nar, pense qu’un cinéma peut posséder une identité qui lui est propre. Mais celle-ci n’est intéressante que lorsqu’elle n’est pas liée à « une certaine idéologie, à un certain nationalisme, à la défense de certaines valeurs un peu figées qui peuvent induire à un comportement xénophobe ou raciste qui peut se révéler dangereux. »« L’identité dans un cinéma, ajoute Hojeige, c’est un bagage que le cinéaste porte en lui, c’est une lumière, un lieu, des comportements, des visages, un air qu’on respire et qu’on veut transmettre dans un film. » Perspectives d’avenir Les perspectives du cinéma libanais sont liées à la perspective du pays. « Les artistes en général et les cinéastes en particulier ont toujours réussi à faire preuve de créativité. Même pendant les pires années de la guerre, des films magnifiques comme ceux de Maroun Baghdadi et de Borhane Alawiyé ont continué à voir le jour. » Le réalisateur considère donc que le cinéma libanais poursuivra son chemin, en s’ouvrant sur des perspectives nouvelles. Mais la question essentielle à poser dans ce contexte est la suivante : quelles sont les conditions de ce cinéma en gestation ? Les cinéastes libanais ont des moyens de production limités. Il ne s’agit d’un secret pour personne. C’est là où le bât blesse. « Depuis 30 ans, les choses n’ont pas avancé d’un pouce, elles ont plutôt reculé. Il n’y aura pas de véritable avancée du cinéma libanais sans un appui du ministère de la Culture, sans un fonds sérieux de soutien qui donne la possibilité à des scénarii de trouver des financements ou un complément de financement. Pour le moment, les cinéastes sont des militants qui font un combat pour trouver le financement nécessaire à la production de leur film. » Hojeige met ainsi le doigt sur un point important : la nécessité pour l’État de considérer le cinéma comme une œuvre d’art, mais également comme une industrie. « Pour que cette industrie se développe, elle a besoin de structure de logistique, de facteurs qui dépendent à la fois du domaine public, mais également du domaine privé », a conclu le réalisateur de Zennar el-Nar. Wadih Safieddine, un jeune touche-à-tout (musicien, chanteur, événementiel, auteur, producteur, réalisateur) a jeté pour sa part quelques éléments de réflexion concernant la thématique abordée. À commencer par le paradoxe des productions libanaises et de leur identité. « Depuis les années 90, la quasi-totalité des films, courts ou longs-métrages, de cinéma produits ces 15 dernières années l’ont été avec des fonds étrangers. Cela nous donne des films comme celui de Hani Tamba, Beyrouth After Shave, réalisé par un Libanais, qui raconte une histoire libanaise, avec des acteurs libanais, en langue arabe. À l’arrivée, il remporte le César pour meilleur court-métrage français. » Cet exemple pose ainsi la question de la « libanité » d’une œuvre et de ce qui la définit. Est-ce la nationalité du réalisateur, le sujet de l’œuvre ou l’origine du financement ? « Lorsque la production cinématographique d’un pays est assez fournie, elle peut contribuer à constituer une identité nationale et collective propre à ce pays. Et à offrir une identité au cinéma lui-même. » Tout cela demande une volonté politique, des moyens économiques et le dépassement des tabous d’ordre politique et religieux. Safieddine pose ensuite la question de l’éducation du public : les spectateurs libanais sont-ils préparés à recevoir des films d’auteur qui relèvent plusieurs niveaux d’interprétation, comme le dernier de Ghassan Salhab ? Toutes ces questions démontrent une fois de plus que notre cinéma cherche sa voie. Il est certes important que comme le cinéma américain, le cinéma indien, il y ait un cinéma libanais. Pour la construction de cette industrie cinématographie tant rêvée, il est impératif qu’une analyse de la situation se fasse sans complaisance, mais aussi sans verser dans le pessimisme. Les trois acteurs que sont les professionnels, l’État et les médias doivent enfin se mettre ensemble pour l’avenir de ce cinéma. Il s’agit peut-être d’un rêve, mais le cinéma n’est-il pas fait pour nous faire rêver ?
Entre le souci de véhiculer un message et l’obligation de rentabilité, le cinéma libanais se cherche une identité. Et les cinéastes du pays restent profondément perplexes face à la problématique. Le 7e art libanais est-il à la croisée des chemins ? Doit-il se contenter de porter des thématiques fortes sans s’embarrasser des contraintes de rentabilité? Ou doit-il songer désormais...