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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Qui de l’Iran ou de la Grande-Bretagne a cillé en premier ?

Par Francis FUKUYAMA* Des commentateurs accusent la Grande-Bretagne d’avoir capitulé devant l’Iran et de lui avoir cédé une victoire humiliante en obtenant la libération de 15 marins britanniques la semaine dernière, mais ce serait plutôt le contraire qui se produit. Pour comprendre pourquoi, il convient de tenir compte de l’ensemble de la politique interne iranienne sur fond de crise. Le problème iranien est en fait lié au Corps des gardes de la révolution islamique (IRGC ou en perse Pasdaran) et aux institutions alliées telles que la milice Basidj. Ces entités de « pouvoir » servent de base politique aux conservateurs d’Iran. En échange de leur soutien, les leaders politiques comme l’ancien président Akbar Hachemi Rafsanjani et le chef suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, ont permis à l’IRGC de devenir un État semi-autonome dans l’État. Il s’agit aujourd’hui d’une vaste entreprise tentaculaire qui contrôle sa propre agence de renseignements, une infrastructure de production et des sociétés d’import-export, à l’image de la FSB russe ou de l’armée chinoise. Depuis son arrivée au pouvoir, l’actuel régime Ahmedinejad a accordé aux filiales de l’IRGC des contrats sans appels d’offres représentant des milliards – ce qui n’a fait que renforcer sa réputation de corruption aux yeux du public iranien. Il est largement admis que le chef suprême Khamenei a mis au pouvoir le président fou Mahmoud Ahmadinejad pour faire contrepoids à l’ancien président Rafsanjani et qu’il regrette cette décision depuis lors, car Ahmadinejad a déblatéré sur l’Holocauste et n’a fait qu’exacerber la situation d’isolement de l’Iran. Le président actuel est issu du IRGC (précisément de l’unité Ramazan des forces Quds) et a utilisé cette organisation et les Basidj pour consolider son pouvoir face à des opposants politiques plus nombreux. Personne ne sait exactement pourquoi l’aile navale de l’IRGC a capturé 15 marins britanniques fin mars. Certains pensent qu’il s’agit d’une décision indépendante du commandement de l’IRGC, ou de la marine, puisque l’occasion se présentait. L’IRGC a probablement voulu mettre les atouts de son côté pour négocier la libération de ses membres retenus en Iran. La capture survient aussitôt après que le Conseil de sécurité a approuvé un ensemble spécifique de sanctions contre l’Iran – doutons qu’il s’agisse d’une coïncidence – ciblant non seulement des filiales de l’IRGC et des institutions financières comme le Groupe des industries des munitions et de la métallurgie et la Banque Sepah, des organisations menant des activités nucléaires ou balistiques, mais aussi un ensemble de hauts dirigeants de l’IRGC, dont Morteza Rezaei, commandant adjoint de la garde, le vice-amiral Ali Ahmadian, le chef d’état-major, et le brigadier général Mohammad Hejazi, commandant des Basidj. En bloquant les biens iraniens en dehors de l’Iran, l’ONU a touché l’IRGC là où le bât blesse, c’est-à-dire au portefeuille. Il est clair que celui qui a décidé de la capture des marines britanniques espérait raviver la ferveur de la révolution de 1979 et s’en est servi pour pousser le reste des dirigeants à une confrontation avec la Grande-Bretagne et l’Amérique. D’où les « confessions » télévisées sur la prise d’otages à l’ambassade américaine (le « nid d’espions ») et les rassemblements contre les ambassades étrangères. Pourtant, la tactique n’a pas fonctionné et un conflit de pouvoir a manifestement éclaté en coulisses entre les différentes parties du régime. Ahmadinejad était censé prononcer un grand discours à l’occasion d’un rassemblement massif à Téhéran, mais a annulé au dernier moment. Lorsqu’il a finalement parlé, c’était pour annoncer que les captifs seraient bientôt libérés. Les prisonniers de l’IRGC en Irak ont été relâchés, mais la Grande-Bretagne n’a pas en retour présenté ses excuses ni admis qu’elle avait mal agi. Il semblerait donc que les Iraniens aient cillé en premier, avant que l’incident ne s’envenime, à l’instar de la crise des otages de 1979. Tout cela ne signifie pas qu’il existe nécessairement des « radicaux » et des « modérés » au sein du régime de Téhéran. Ceux qui tirent les ficelles de l’IRGC sont eux-mêmes engagés dans un programme révolutionnaire et désirent sans doute posséder l’arme nucléaire tout autant que les commandants pasdarans. L’une des raisons pour lesquelles Khamenei refuse que Rafsanjani soit président serait que ce dernier n’est pas assez motivé par le programme nucléaire. Le régime iranien n’est pas un géant totalitaire : les dirigeants ont des points de vue divergents et une faction importante refuse que l’Iran soit isolé. L’IRGC est devenu une sorte d’organisation du type de la mafia, dont les intérêts économiques considérables conduisent à la corruption et éventuellement aux sanctions imposées par la communauté internationale. Il est important de ne pas oublier que ceux qui ont capturé les marins britanniques voulaient précipiter la confrontation, tant pour améliorer leur réputation dans leur pays que pour répondre à des sanctions qui commençaient à se faire sentir. Cela laisse entendre que les actions du gouvernement Bush – renforcer petit à petit les pressions par le biais de la diplomatie, afin de créer une coalition internationale incluant désormais les Russes – sont la voie à suivre. * Francis Fukuyama est doyen de la School of Advanced International Studies à l’Université Johns Hopkins et président de The American Interest (www.theamerican-interest.com). © Project Syndicate/The American Interest, 2007. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre

Par Francis FUKUYAMA*

Des commentateurs accusent la Grande-Bretagne d’avoir capitulé devant l’Iran et de lui avoir cédé une victoire humiliante en obtenant la libération de 15 marins britanniques la semaine dernière, mais ce serait plutôt le contraire qui se produit. Pour comprendre pourquoi, il convient de tenir compte de l’ensemble de la politique interne iranienne...