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Actualités - REPORTAGE

LIBAN-SUD - Un seul point en commun entre les diverses communautés du caza de Bint Jbeil : l’insécurité À Marwahine et à Rmeich, les habitants rêvent toujours d’un désarmement des milices

À Maroun el-Rass: « Nous nous battrons jusqu’à ce que tous les juifs retournent en Europe » Il faudra encore beaucoup, beaucoup de temps pour que le Liban-Sud se remette de la guerre déclenchée le 12 juillet dernier quand le Hezbollah avait enlevé deux soldats, du côté israélien de la ligne bleue. Même si la reconstruction des ponts et des habitations touchés par les bombardements israéliens a déjà été entamée, les habitants souffriront encore longtemps des séquelles de la guerre, et non seulement à cause des pertes humaines et de la destruction. Dans le caza de Bint Jbeil, la tristesse, l’amertume et le désespoir règnent dans les villages abritant les minorités chrétiennes et sunnites de la zone. C’est notamment le cas à Marwahine, un village exclusivement sunnite où 23 habitants avaient perdu la vie le 15 juillet dernier lors d’un raid d’hélicoptère israélien, et à Rmeich, village exclusivement maronite, ayant accueilli les habitants des localités voisines, et ayant été quasiment coupé du monde durant les 34 jours de la guerre entre Israël et le Hezbollah. Dans ces deux localités, on appelle « au désarmement de toutes les milices et l’on souhaite que le gouvernement étende son autorité sur tout le territoire libanais ». L’atmosphère est différente dans les villages chiites, à Aïta el-Chaab, où la localité complètement détruite en juillet dernier est en pleine reconstruction, et à Maroun el-Rass. Dans ce village, les habitants regrettent le fait que les miliciens du « Hezbollah ne soient plus sur la ligne bleue pour les protéger des Israéliens ». Selon eux, « l’armée libanaise ne peut pas faire face aux soldats ennemis ». Ici, beaucoup promettent d’autres guerres jusqu’à ce que « tous les juifs occupant la Palestine retournent en Europe et en Amérique ». Les habitants des diverses communautés de Bint Jbeil ont un seul point en commun : six mois après la fin de la guerre, ils ne se sentent pas en sécurité… Pour des raisons presque diamétralement opposées. Une route perdue, longeant un fil barbelé baptisé « ligne bleue ». De l’autre côté de la frontière, il y a des champs irrigués, un chemin en terre battue où passe par intermittence des véhicules militaires, et des maisons au toit rouge. C’est la colonie israélienne de Zaarit. En face, se dresse depuis octobre dernier un barrage de l’armée libanaise relevant de la onzième brigade, déployée dans le secteur ouest. Un peu plus loin, il y a la porte de Tabrikha, point de passage utilisé avant 1948 entre le Liban et la Galilée. Ce fil barbelé et cette porte se trouvent à l’orée de Marwahine, l’un des six villages sunnites de Bint Jbeil. Fodda, habite à côté du barrage de l’armée libanaise en face de la colonie israélienne. Elle a toujours peur : « Toutes les nuits j’entends les MK (avions sans pilote israéliens). Les Casques bleus sont là, l’armée aussi. Mais les militaires déployés n’empêchent pas les Israéliens de survoler le Liban. Je sais que les soldats étrangers ne sont pas obligés d’être là pour nous, mais je suis consciente aussi que rien ni personne ne peut me protéger des Israéliens », martèle-t-elle. À la place du village, quelques hommes sont en pleine action : ils reconstruisent une clôture en pierres, saccagée par les tanks israéliens lors de la guerre de juillet. « La prochaine fois, c’est ce mur de pierres qui va faire face aux blindés israéliens. C’est ainsi que le village sera protégé », ironise Yasser. « Vous savez, j’entends toujours des gens qui menacent d’une autre guerre…On ne sait jamais ! » s’exclame-t-il. Le jeune homme est maçon. Il raconte qu’avec ses camarades, il a présenté des demandes d’emploi à la Finul, en vain. « Vous savez, les sunnites comme nous sont minoritaires. Ici, nous sommes des laissés-pour-compte. Et pour travailler, il faut des pistons. Aucun parti ne nous a indemnisés, par exemple. Comme si nous n’avions pas souffert des guerres et des occupations », se lamente-t-il. Les habitants de Marwahine avaient été déplacés de leur village au début de la guerre du Liban. Ils y sont retournés durant les années quatre-vingt. Ils ont vécu sous l’occupation israélienne. Durant la guerre de juillet, ils ont été évacués vers Saïda, au lendemain du massacre qui avait tué 23 personnes de la localité. Les armes du Hezbollah Dans ce village, où plusieurs maisons ont été détruites, plus d’un raconte que le Hezbollah a préservé ses armes au Liban-Sud. Certains disent même que des militants circulent la nuit dans le village, malgré la présence de l’armée et les patrouilles de la Finul. Mohammad, qui a perdu son frère et sa famille, lors du massacre de Marwahine, indique que « c’est grâce aux Casques bleus et à l’armée que le calme règne au Liban-Sud ». Il demande cependant : « Comment voulez-vous que je me sente en sécurité quand je sais que toutes les milices n’ont pas été désarmées et que le gouvernement n’a pas étendu réellement son autorité sur tout le Liban. Je ne parle pas uniquement de la situation au Liban-Sud, mais aussi de la situation dans les camps palestiniens ». « Je ne veux être défendu et protégé que par l’armée libanaise », martèle-t-il. Un peu plus loin, sur la ligne bleue, en remontant vers Bint Jbeil, chef-lieu de caza, se trouve Aïta el-Chaab, quasiment détruite lors de la guerre. Cette localité était l’un des fiefs des combattants du Hezbollah. Le village est devenu un immense chantier. « Le Qatar nous a donné l’argent pour reconstruire : une preuve encore qu’ils peuvent détruire les pierres, mais pas notre volonté de vivre », indique Hassan, affirmant que les habitants du village « sont des pacifistes qui accueillent volontiers aussi bien la troupe que la Finul ». Hussein, de son côté, se demande « si les Casques bleus sont là pour aider vraiment l’armée libanaise, car ils ferment les yeux sur toutes les violations israéliennes ». Il affirme que « depuis octobre dernier, les Israéliens ont violé à plusieurs reprises la ligne bleue en face de Aïta el-Chaab au vu et au su de la Finul, mais les médias ne rapportent jamais ce genre d’information ». « Les Casques bleus sont là pour nous épier et nous enquiquiner. D’ailleurs, quand nous avons une camionnette proche de la ligne bleue, ils multiplient leurs patrouilles croyant que nous sommes en train de trafiquer ou de transporter des armes…Or ce n’est pas le cas. Ils sont là pour protéger les Israéliens », s’insurge-t-il. C’est en fait ces trois ou quatre camionnettes bâchées que les habitants de Rmeich, village exclusivement maronite, évoquent quand ils sont interrogés sur les armes du Hezbollah. Beaucoup d’entre eux indiquent voir toujours ces camionnettes, qui étaient destinées au transport des armes, sillonner le village comme avant la guerre de juillet 2006. Il semble, affirment certains, qu’il existe toujours un trafic d’armes non loin de la ligne bleue. Plus d’un dit que « même avant la guerre ils n’ont jamais vu les membres du Hezbollah se promener avec des armes apparentes » et mettent l’accent sur le fait que « beaucoup de caches d’armes n’ont pas été détruites au sud de Litani. Elles sont donc toujours accessibles aux militants du Hezbollah ». Ils disent aussi que « tout le monde peut cacher des armes dans sa propre cave ou sa propre maison, même si toutes les armées du monde sont en train de patrouiller, sur la voie publique, à quelques mètres ». Dans cette localité exclusivement maronite, où plus d’une centaine d’habitants du village se trouvent toujours en Israël depuis le retrait des troupes de l’État hébreu en mai 2000 et où plus de 200, ayant trouvé refuge en Israël pour ensuite émigrer vers l’Europe du Nord, les Amériques ou l’Australie, c’est surtout l’amertume qui l’emporte sur tous les autres sentiments. Du pain destiné aux habitants de Aïta el-Chaab Cette localité, qui compte 8 000 personnes, a accueilli durant la guerre de juillet des habitants venus de Aïta el-Chaab, de Maroun el-Rass, de Aïtaroun, de Aïn Ebel, de Bint Jbeil et de Yaroun. Six mois plus tard, les langues se délient et les souvenirs s’entremêlent. Dans chaque magasin, dans chaque épicerie, on parle du pain que le Hezbollah envoyait deux à trois fois par semaines aux habitants de Aïta el-Chaab réfugiés dans le village, durant la guerre. « Nous les avons accueillis, mais jamais ils n’ont pensé à nous envoyer une miche de pain », indique Fady. « Si la guerre avait duré une semaine supplémentaire, nous aurions crevé de faim. C’est en utilisant les moulins à café que certains de nous ont moulu quelques grains de blé… », ajoute-t-il. Fady parle des armes : « Les Israéliens sont nos ennemis. Je me rappelle en mai 2000 toutes les armes que les soldats de l’Armée du Liban Sud (ALS) ont été obligés de jeter à la frontière pour pouvoir fuir en Israël. Les soldats de l’État hébreu les ont obligés de garder leurs armes au Liban. Ce sont les militants du Hezbollah qui ont ramassé ces armes et ces munitions… Les Israéliens ont ainsi renforcé le Hezbollah. » Ce jeune maronite indique encore : « Le Hezbollah arrange Israël, lui donnant un alibi pour détruire le Liban. Vous voulez que je crois vraiment que la puissante armée israélienne était incapable de venir à bout de trois mille miliciens ? » Lui et ses amis se souviennent de l’eau qu’ils avaient bue du bassin à la place du village et qui était consacrée initialement à l’irrigation et à l’abreuvement des animaux. Samir, un ami à Fady, évoque un militant du Hezbollah qui avait passé des jours entiers au front et qui avait ensuite trouvé refuge à Rmeich, après avoir pris un bain et s’être rasé « mettant ainsi tout le village en danger ». Ce jeune homme qui n’a pas vu sa sœur depuis mai 2000, date du retrait israélien, car elle s’était mariée avec un Palestinien chrétien, à l’instar de plusieurs filles du village, s’insurge contre le fait que l’Église ne soit pas en train de venir en aide à la minorité chrétienne de la ligne bleue. « Nous ne pesons pas lourd », dit-il. « C’est la communauté chiite, le Hezbollah qui fait la loi ici. Ils élèvent leurs enfants dans l’idée du martyre. Il faut voir comment les tout-petits des villages voisins scandent à pleins poumons, même avant d’apprendre à parler correctement “Mort à l’Amérique” et “Mort à Israël”. » Fady renchérit : « De plus, ils ont une autre notion de la défaite et de la victoire. Le Hezbollah parle de victoire divine…Que l’on me montre comment ils ont gagné la guerre. » Samir, Fady et d’autres habitants du village ont peur qu’une guerre éclate à nouveau, malgré la présence de la Finul, soulignant que « les combattants du Hezbollah ont toujours leurs armes à portée de main. Comment voulez-vous qu’on se sente en sécurité ? » Le Hezbollah assurait mieux la sécurité Ce qui est sûr, c’est que dans certains villages de la ligne bleue, le Hezbollah a préservé toute son infrastructure. C’est le cas à Maroun el-Rass. Le village est toujours quasiment détruit et ses habitants vivent dans ce qui reste debout des habitations, plaçant des bâches sur une fenêtre cassée, ou de la tôle pour remplacer un mur ou un toit. « Nous attendons que le gouvernement nous paie des indemnités pour reconstruire », indique Najla, dont une seule chambre de la maison tient encore debout. « C’est la troisième fois que les Israéliens détruisent cette maison, nous finiront par la reconstruire bientôt », dit-elle. Le Hezbollah ne lui a-t-il pas versé des indemnités ? « Le Hezb n’a pas les moyens. Il m’a donné très peu d’argent », affirme-t-elle. Zahra est assise sur les marches d’un escalier menant à une maison touchée par les bombardements de juillet. Elle porte son neveu sur les genoux. Elle acquiesce : « Le Hezbollah nous a payé de petites sommes d’argent. Il nous a dit qu’il ne pouvait pas payer plus. Le Koweït a promis de parrainer le village. Mais nous attendons aussi les indemnisations qui devraient être versées par le gouvernement. » Zahra est contente de la présence de l’armée libanaise et de la Finul « qui regroupe des soldats très bien élevés ». Elle dit qu’elle « se sent désormais en sécurité ». Un peu plus loin, dans une épicerie, le jeune Ali regarde l’écran de son ordinateur. Il passe et repasse les images d’un CD-Rom acheté à Bint Jbeil. « Voici l’armée des juifs, nos ennemis. Il faut voir l’ennemi en face pour pouvoir un jour le combattre », raconte-il. Ce jeune homme de seize ans rêve de se battre à la frontière, d’ailleurs il se sentait « plus en sécurité avant le déploiement de l’armée et de la Finul, car c’est le Hezb qui était la frontière, sur la ligne bleue, juste en face d’Israël. Le Hezbollah est toujours là, mais il n’est plus sur la ligne bleue », raconte-t-il. « L’armée est incapable de nous protéger contre les Israéliens », ajoute-t-il. « La Finul ? Les Italiens et les Ghanéens ne sont pas gênants. Pas les Français. Ils nous manquent de respect et effectuent des patrouilles avec leurs chars à l’intérieur du village. C’est de la nuisance sonore », s’insurge-t-il. Il n’est pas le seul à se plaindre de la « nuisance des Français » Pourtant les rues du village sont trop étroites pour laisser un char passer et normalement les patrouilles de la Finul sont effectuées le long de la ligne et sur les routes principales jamais à l’intérieur du village. La Finul : Pas de patrouilles à l’intérieur du village D’ailleurs, le capitaine Stéphane Egea, responsable de presse du contingent français, indique à L’Orient-Le Jour que les patrouilles de la Finul, à Maroun el-Rass, ne sont pas effectuées à l’intérieur du village, mais uniquement à proximité de la ligne bleue, longeant la localité. Il souligne également que les chars Leclerc ne passent plus à proximité de Maroun el-Rass depuis plusieurs mois. Il précise aussi que la nuit, les patrouilles sont effectuées dans cette zone dans des véhicules à roues (et non à chenilles). Le contingent français, qui tient un poste d’observation à Maroun al-Rass, assure notamment une aide humanitaire aux habitants de cette localité, dans le cadre de son dispensaire ambulant, auscultant gratuitement une fois par semaine les malades. Mais à Maroun el-Rass, la plupart des habitants oublient d’évoquer cette aide humanitaire française, omettant aussi de parler de l’aide koweïtienne à la recosntruction. « Le Hezbollah pourvoit des cartons alimentaires. Même s’il nous a indemnisés, c’est au gouvernement de payer et de reconstruire, c’est lui qui doit être responsable », s’insurge Hassan qui en veut à l’État « qui a délaissé le Sud pour construire Beyrouth ». « Il relève du devoir du gouvernement de s’occuper de nous maintenant qu’il a décidé d’envoyer son armée au Sud. Israël a détruit le village, que le gouvernement le reconstruise », renchérit Jaafar. Hassan et Jaafar sont entourés de trois hommes qui hochent la tête en signe d’approbation à chaque fois que les deux premiers parlent. Hassan indique encore que la Finul « est incapable de protéger quiconque. D’ailleurs, elle ne pourra pas se protéger en cas de problème. Tous les jours les tanks israéliens violent la ligne bleue, entrent du côté de Maroun el-Rass en territoire libanais. Les Casques bleus et l’armée n’interviennent pas et ce genre d’informations n’est jamais rapporté par la presse », affirme-t-il. Hassan qui assure qu’il était à Beyrouth lors de la guerre de juillet croit dur comme fer que pour protéger le Sud des offensives israéliennes « il faut que l’État mise sur le Hezbollah, que la milice soit le pilier de la défense au Sud. Les combattants du Hezb sont les seuls prêts à mourir pour le Liban, à effectuer des opérations-kamikaze contre les juifs. Depuis qu’ils ont quitté la ligne bleue, je ne me sens plus en sécurité ». « Même sous une tente je suis digne » La conversation s’anime, chaque homme y met du sien : on accuse le gouvernement Siniora d’avoir encouragé les Israéliens à bombarder le Sud, on affirme que le Hezbollah a gagné la guerre (malgré le millier de morts, la centaine de ponts et les dizaines de villages), que grâce aux résistants, les Libanais ont préservé leur dignité. Mais comment peut-on préserver sa dignité en prenant la fuite et en vivant sous des tentes ? Un homme du groupe indique : « Même sous une tente, je reste digne parce que les résistants se battent pour moi. » Et puis tout le monde parle en même temps : on affirme que les habitants de Maroun el-Rass se battront de génération en génération contre Israël, que grands et petits sont prêts à mourir en martyrs pour la cause, et qu’ils veulent même libérer Jérusalem… Où est donc la solution ? « Revenir à avant 1948, avant la création de l’État d’Israël. Nous nous battrons jusqu’à ce que tous les juifs retournent en Afrique, en Amérique, en Europe. Il n’y aura pas de répit, même si ça prendra cent ans », martèle Hassan. Hassan et ses camarades, qui ne savent probablement pas faire la différence entre un juif et un Israélien, n’ont pas de plan concret pour les juifs originaires du Moyen-Orient, ceux qui habitaient la Syrie, l’Irak, la Palestine et le Liban. « Ceux-là peuvent rester s’ils le veulent », assure Hassan sans trop accorder d’importance à la question. En mai 2000, l’armée israélienne avait quitté le Liban-Sud, la « zone de sécurité » créée en 1978, année qui avait vu la naissance de la première mission de la Finul, conformément aux résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité. De 2000 à 2006, l’armée libanaise n’a pas étendu son autorité sur le territoire libéré par Israël…Jusqu’à l’adoption de la 1701. On n’a plus qu’à espérer que les autorités libanaises, assistées par la Finul renforcée, puissent assurer pour très longtemps le calme tout le long de la ligne bleue et la sécurité des habitants des villages frontaliers, épargnant ainsi au Liban les plans de ceux qui tiennent à mener des guerres éternelles. Patricia KHODER
À Maroun el-Rass: « Nous nous battrons jusqu’à ce que tous les juifs retournent en Europe »

Il faudra encore beaucoup, beaucoup de temps pour que le Liban-Sud se remette de la guerre déclenchée le 12 juillet dernier quand le Hezbollah avait enlevé deux soldats, du côté israélien de la ligne bleue.
Même si la reconstruction des ponts et des habitations touchés par les...