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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - «Page 7», de Issam Bou Khaled et Fadi Abi Samra, au Tournesol Au pays des rois de l’absurde

Si Samuel Beckett pouvait entendre les dialogues vains et vils de certains de nos politiciens et s’il assistait aux querelles byzantines des deux camps adverses, l’auteur d’«En attendant Godot» se serait retourné mille fois dans sa tombe. Le roi du théâtre absurde aurait difficilement pu faire à ce sujet plus vain, plus déraisonnable, plus insensé, mais aussi plus extravagant, saugrenu et… stupide (disons-le, n’ayons pas peur des mots). En tout cas, cette conjoncture n’a pas échappé aux deux observateurs finauds que sont Issam Bou Khaled et Fadi Abi Samra. Auteurs-acteurs de «Page 7», ils se sont inspirés de la situation actuelle au Liban pour fignoler un spectacle vif, drôle dans la ligne des mises en scène de Beckett lui-même. Où l’on coupe le cheveu en quatre sur le sexe des anges, mais en toute subtilité. Au théâtre Tournesol, à 20h30, jusqu’au 8 avril. Pour défendre le peuple, deux clochards. Pour représenter le Liban, un lieu indistinct où le temps piétine. Pour retrouver la tragédie, des vermines qui écument les funérailles pour trouver de quoi se mettre sous la dent. Aïe, la pique fait mouche. Dans un pays, ne l’oublions pas, qui voit ses leaders se lancer des chapelets d’injures à l’occasion des enterrements qui sont hélas bien plus nombreux que les mariages. Avec son humour grinçant (mais si profondément fraternel), la comédie noire de Issam Bou Khaled et Fadi Abi Samra (épaulés par Sarmad Louis, qui signe également la lumière et le son) touche là où ça fait mal. Elle remue le couteau dans la plaie. «Une plaie tellement infectée que la gangrène l’a gagnée», indiquent les deux auteurs. Mais il ne sert à rien d’amputer le membre malade (là aussi allusion à des déclarations politiques récentes) puisque le mal, la gangrène, c’est les clochards eux-mêmes! (peuple et leaders confondus).» En voilà une pièce déroutante et des personnages tout aussi déroutants. On a l’impression que les protagonistes de la pièce sont là, et c’est tout. Le spectateur n’a pas l’impression de voir un rôle, mais de voir simplement une discussion entre deux clochards qui traînent là, plus ou moins par hasard. Deux SDF qui sont aussi deux amis. On ne sait pas trop ce qui les a rapprochés, ni ce qui les unit encore. On ne sait rien d’eux. Sauf qu’ils ont la fâcheuse habitude de se disputer les spotlights pour y brandir des deux doigts le V de la victoire. Et, aussi, de défricher la fameuse «Page 7» (le chiffre, en arabe, c’est aussi la victoire), celle des nécrologies, pour dénicher le festin du jour. Ou comment tirer profit de la mort d’un autre… Les dialogues aussi valent leur pesant d’or. La plupart du temps, il s’agit d’un chapelet d’injures. Des insultes qui vont crescendo et qui rivalisent dans les figures de styles. D’autres fois, l’un n’écoute pas l’autre, ou au contraire ne prend pas d’initiative et répète ce que vient de dire le précédent. On finit par être plié de rire devant ces personnages qui nous rappellent tant d’autres dans la vraie vie. Mais les personnages de la Page 7 ne sont ni psychologiques ni des individualités au sens classique du terme. Ce sont des ombres, des figures, des incarnations d’une certaine situation et surtout ce sont des voix. Des voix qui peuvent être uniques, ou multiples, ou quasi anonymes. Des voix qu’on ne cesse d’entendre, comme si parler pour elles équivalait à être, à subsister, à continuer malgré l’effondrement de tout. Leurs corps sont certes des corps de souffrance, mais ils sont surtout des objets de théâtre que l’on montre aussi comme accessoires ou comme marionnettes, et que chaque personnage s’évertue à mettre en scène de son mieux. «Les personnages et les dialogues de la pièce n’ont rien de fortuit, indiquent Bou Khaled et Abi Samra. Toute ressemblance entre l’absurdité de ce théâtre et celui, plus grand, de la vie est préméditée.» Une œuvre qui nous fait prendre conscience du pessimisme de l’existence, plus particulièrement de la situation libanaise. Une actualité qui repose sur un non-sens, qui est absurde, et qui nous fait penser que le bonheur est une illusion. Elle va plus loin même. Jusqu’à proposer que la démarche même qui consiste à se demander pourquoi c’est absurde est absurde, puisque tout est fait pour montrer que nous n’avons pas les moyens d’y répondre et que le désespoir vient du fait qu’on se pose des questions sur le pourquoi des choses. Heureusement que le rire est là pour nous sauver. Maya GHANDOUR HERT
Si Samuel Beckett pouvait entendre les dialogues vains et vils de certains de nos politiciens et s’il assistait aux querelles byzantines des deux camps adverses, l’auteur d’«En attendant Godot» se serait retourné mille fois dans sa tombe. Le roi du théâtre absurde aurait difficilement pu faire à ce sujet plus vain, plus déraisonnable, plus insensé, mais aussi plus extravagant,...