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Actualités - ANALYSE

ANALYSE Le Liban partout, sauf… à Beyrouth

Damas, Téhéran, Ryad, Paris, Bruxelles, Washington… Plus que jamais, le Liban est aujourd’hui livré à son pire démon, son incapacité à trouver en lui-même les fondements de son existence, de sa gestion, de sa défense et surtout de sa survie. Les Libanais en viennent donc une fois de plus à placer leur sort sur l’arène internationale. Or celle-ci, on le sait, est semée de pièges, de contradictions, d’écueils de toutes sortes qui feront que même si un compromis y est en fin de compte ponctuellement imposé à la crise que leur pays traverse, il ne pourra être que superficiel, bancal et tributaire du moindre déplacement d’équilibre dans le jeu des nations. Pour le moment, le tableau se présente à peu près de la manière suivante : – Aux États-Unis, l’Administration Bush promet une nouvelle fois à Walid Joumblatt qu’elle ne conclura de marché avec personne au détriment du Liban. Il n’y a probablement pas de raison objective, à l’heure actuelle, de douter de la sincérité de cet engagement. On peut tout de même s’interroger sur le point de savoir si, vu de Washington, l’arbre libanais pourra indéfiniment cacher la forêt moyen-orientale. En tout état de cause, et contrairement à une idée fixe permanente chez les Libanais, la question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si les États-Unis « vendront » ou pas le Liban lors d’éventuelles négociations avec de tierces parties. Ce serait plutôt de déterminer jusqu’où ils iraient – et n’iraient pas – dans la défense de ce qu’ils estiment servir simultanément leurs intérêts et ceux d’un Liban véritablement fort et indépendant. Par exemple, sachant que le règlement par voie diplomatique d’un dossier comme celui des fermes de Chebaa ferait très bien l’affaire du gouvernement libanais et desservirait au contraire les ambitions de l’axe syro-iranien et de son relais local, l’Administration américaine devrait théoriquement exercer toutes sortes de pressions en ce sens sur son allié israélien. Or, le poids que représente le Liban aux yeux de Washington, même s’il a été révisé à la hausse ces dernières années, suffit-il pour que de telles pressions soient exercées ? L’aide financière est certes importante, car sonnante et trébuchante. Mais l’argent peut venir de n’importe où, d’Europe, du monde arabe, d’Asie, des Libanais de l’étranger. C’est surtout de soutien politique que le Liban a besoin d’outre-Atlantique. – À Bruxelles, Saad Hariri reçoit l’engagement de la Commission européenne d’aller jusqu’au bout dans le processus devant conduire au tribunal international, y compris en franchissant des obstacles posés par une partie des Libanais. N’étant pas membre permanent du Conseil de sécurité et disposant d’une diplomatie jusqu’ici pétrie quasi exclusivement de bonnes intentions, l’UE peut se permettre de contracter de belles promesses. Au bout du chemin, il serait peut-être possible de ne pas faire cas des entraves en provenance de Beyrouth ou de Damas. Mais vaincre les réticences de grandes puissances concrètes (y compris parmi les propres membres de l’UE) à recourir au chapitre VII de la Charte de l’ONU, parce que cela pourrait avoir des implications futures contre elles, ne serait certainement pas une mince affaire. – À Paris, Nicolas Sarkozy s’assigne, s’il est élu à la présidence de la République, la tâche de défendre le Liban et affirme qu’il ne saurait être question de laisser mourir ce « miracle ». À n’en point douter, le candidat de l’UMP vient en quelques mots de prendre une très sérieuse option sur les voix de plusieurs milliers d’électeurs français ou libano-français, qui envisageaient avec une réelle angoisse le départ prochain de leur héros de toujours, Jacques Chirac, et se méfiaient comme de la peste de la ribambelle de candidats de droite ou de gauche qui ont l’outrecuidance de prétendre lui succéder. Mais Sarko n’est pas encore à l’Élysée et ce n’est point avec quelques mots – aussi bien sentis qu’ils soient – qu’on pourra prendre la relève de l’homme d’État le plus libanophile de l’histoire. – À Ryad, le roi Abdallah est très impliqué lui aussi dans la recherche d’une solution à l’amiable à la crise libanaise. Toutefois, il semble présentement préoccupé par deux soucis majeurs : d’abord réussir « son » sommet arabe, prévu le 28 mars à Ryad. Un tel succès nécessite de sa part un raccomodage d’une façon ou d’une autre avec Bachar el-Assad, qui l’avait implicitement qualifié l’été dernier de « sous-homme ». Ensuite, éviter autant que possible les frictions sunnito-chiites hors du théâtre irakien, ce qui justifie le dialogue en cours avec l’Iran, un dialogue toutefois subordonné à la volonté de contenir l’impérialisme perse. – À Téhéran aussi, on craint les débordements à caractère sectaire et l’on cherche à y remédier, mais de façon qui – justement – ne remette pas en question les ambitions fondamentales de puissance de la République islamique, tant pour ce qui est de se doter de l’arsenal nucléaire qu’en ce qui a trait au rôle assigné aux relais à l’extérieur des frontières. « Le projet américain sera défait au Liban », promettait Ali Khamenei, il y a quelques mois. Hassan Nasrallah enchaîne quelque temps après : « Haro sur le gouvernement de Feltman ! » Le premier détermine l’objectif général, le second fixe la cible locale. Ainsi, il n’y a plus de confusion possible : le « projet américain », c’est tout naturellement… « le gouvernement de Feltman ». Dont acte. Une petite parenthèse ici : la participation d’un Michel Aoun à cette curée-là, sous prétexte que chez lui elle est motivée par d’autres causes, restera inexplicable et inexpliquée. Enfin, Damas, la capitale la plus proche - et donc la plus dangereuse - de toute la liste. Le régime syrien répète à qui veut l’entendre ces jours-ci qu’il soutiendra tout ce qui fera l’objet d’un accord entre les Libanais. Voilà bien résumé en quelques mots le caractère pernicieux de la politique syrienne au Liban, celle de toujours. Tout d’abord, un État étranger, quel qu’il soit, n’a pas à se préoccuper de ce qui fait l’objet d’accord ou de désaccord entre les habitants d’un autre État. Il est censé se prononcer sur les décisions que prend le gouvernement de cet État. Quitte à les désapprouver, c’est son droit. Voilà pour le principe. Ensuite, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne se soucie nullement de conformité entre les mots et les actes sur les bords du Barada. S’il est vrai que la Syrie est en faveur de tout ce qui unit les Libanais, pourquoi a-t-elle rejeté ou mis en échec les points qui avaient été convenus à l’unanimité lors des séances de la conférence de dialogue à Beyrouth, comme le tracé de la frontière ou l’échange d’ambassadeurs, sans parler du tribunal international ? Serait-ce parce que ses alliés libanais ne les avaient acceptés que du bout des lèvres ? D’un côté, prétendre rechercher l’accord des Libanais ; de l’autre, tout faire pour perpétuer leurs désaccords : seule parmi tous, y compris Israël, la Syrie est capable de jouer ce jeu-là. Les autres joueurs extérieurs sont en mesure d’influencer des Libanais, de disposer de relais parmi eux, de leur fournir des armes, d’exercer des pressions, etc. L’histoire, la géographie et le comportement de certaines parties libanaises font néanmoins que seule la Syrie peut s’insinuer dans le tissu politique, étatique, social, sécuritaire et économique libanais, au point de provoquer son explosion. Que son armée y campe ou non, n’en déplaise à qui affirme que l’occupation syrienne est derrière nous. Élie FAYAD

Damas, Téhéran, Ryad, Paris, Bruxelles, Washington… Plus que jamais, le Liban est aujourd’hui livré à son pire démon, son incapacité à trouver en lui-même les fondements de son existence, de sa gestion, de sa défense et surtout de sa survie.
Les Libanais en viennent donc une fois de plus à placer leur sort sur l’arène internationale. Or celle-ci, on le sait, est semée de...