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Actualités - CHRONOLOGIE

Solidarité - L’inoubliable présence de l’Abbé Pierre au Liban Comment les Chiffonniers d’Emmaüs ont donné naissance à l’Oasis de l’espérance

La disparition de l’Abbé Pierre a affecté certains Libanais autant qu’elle a profondément touché ceux, en France, qui suivaient son itinéraire de prêtre et de militant social. Beaucoup s’interrogent sur l’origine des liens qui le rattachent au Liban. C’est à Camille Asmar, l’infatigable animateur du Cénacle libanais, à l’affût de toute idée neuve, que l’on doit le premier passage de l’Abbé Pierre au Liban, en 1959. Ce dernier se rendait en Inde. Beyrouth figurait comme escale de repos sur son itinéraire. Elle fut prolongée pour permettre à l’Abbé Pierre de faire une conférence. Mais il était vite apparu que la petite salle de la place Debbas ne contiendrait pas tous les curieux qui voulaient entendre, ou voir de près, l’Abbé Pierre qui avait fait tant de bruit en France avec ses Chiffonniers d’Emmaüs vivant sur les déchets de la société d’abondance. On loua donc la salle du cinéma Capitole, place Riad el-Solh, et l’on fit bien. La foule prit d’assaut les confortables fauteuils du cinéma à deux étages, orchestre et balcon, pour écouter l’ardente plaidoirie de l’Abbé Pierre en faveur des sans domicile fixe. Son engagement chrétien, se souvient Mgr Grégoire Haddad, qui devient un familier de l’association Emmaüs international, se résume en quelques principes bien simples. « C’est en sauvant de la misère qu’on se sauve. » « Notre superflu est le besoin de l’autre. » « On ne récupère pas des déchets, on récupère des hommes. » Les Chiffonniers d’Emmaüs, du nom de cette bourgade de Palestine où Jésus ressuscité était apparu à deux disciples découragés, firent école au Liban. Avec l’aide de son évêque et du conseil diocésain, le père Grégoire Haddad prit ses quartiers dans une ancienne caserne de l’armée française, rue du Musée. Naquit la célèbre Oasis de l’espérance qui, la première au Liban, lança l’industrie de récupération : fer, verre, carton et papier à recycler, etc. Sait-on, par exemple, que c’est à l’Oasis de l’espérance qu’on doit l’invention du fameux « narit », ce sac en papier plein de copeaux et de sciure de bois imbibés d’huile de vidange brûlée destiné aux cheminées et aux chauffe-eau traditionnels. On s’engoua à Beyrouth pour ces idées dont l’écho emplit les conversations de salon. Le nom d’Oasis de l’espérance fut choisi pour éviter toute connotation chrétienne. De fait, parmi les fondateurs de l’Oasis de l’espérance figuraient aussi bien des chrétiens que des musulmans. Parmi les membres fondateurs figurait par exemple le député Anouar el-Khatib, qui devient même président des Chiffonniers d’Emmaüs. Grâce au président Charles Hélou, également membre de ce comité de l’Oasis de l’espérance, on put fonder une école professionnelle à Bourj Hammoud. Pendant quelque vingt-cinq ans, l’Oasis devint le modèle d’une action sociale au service des plus démunis. Mais à la longue, on constata que les conditions sociales au Liban étaient bien différentes de celles qui prévalaient en France. Et en particulier, que les vieux étaient généralement pris en charge par leurs familles et les sans domicile fixe plutôt rares. En outre, il ne se trouva plus de « compagnons » engagés pour résider à l’Oasis de l’espérance, et en superviser le fonctionnement comme abri de fortune, foyer, lieu d’accueil et d’échange, notamment pour des migrants arabes. L’idée évolua. L’Oasis donna naissance à d’autres formes d’action sociale. C’est là que naquit par exemple l’association d’entraide professionnelle, une petite société de micro-crédit toujours active, qui continue son apostolat auprès des plus démunis et qui est toujours affiliée à Emmaüs international. On compte pas moins de sept passages de l’Abbé Pierre au Liban. Son dernier passage date de 2001, où on le vit ou redécouvrit aussi curieux des hommes et des choses, aussi anticonformiste que toujours dans ses jugements et sa charité. La presse française a monté en épingles des prises de position controversées de l’Abbé Pierre. De fait, certaines ont dérangé. Son geste de solidarité envers Roger Garaudy, penseur marxiste converti à l’islam, mettant en doute la vérité historique de l’Holocauste, a choqué. Par-delà ses erreurs et ses fautes, qu’il n’a pas cherché à cacher, l’Abbé Pierre restera un homme de compassion révolté par les injustices, un être faillible aussi qui a tenté de se mettre à l’écoute des plus petits. Son bon sens fera école. Roulant un jour dans la Békaa, il répond du tac au tac à un jeune qui avait fait, en voyant le Concorde passer, une réflexion sur le retard technologique des Orientaux. « Arrangez les crevasses de la route, et après, vous arriverez aux avions. » Fady NOUN

La disparition de l’Abbé Pierre a affecté certains Libanais autant qu’elle a profondément touché ceux, en France, qui suivaient son itinéraire de prêtre et de militant social. Beaucoup s’interrogent sur l’origine des liens qui le rattachent au Liban. C’est à Camille Asmar, l’infatigable animateur du Cénacle libanais, à l’affût de toute idée neuve, que l’on...